Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 28 avril 2010 à 14h30
Saisie et confiscation en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi

Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 juin 2009, vise à refondre les règles applicables en matière de saisie, à mettre en place une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués et, enfin, à renforcer nos mécanismes de coopération pénale en cette matière.

Ce texte permettra d’appréhender le plus largement possible les avoirs criminels, quelle qu’en soit la nature, en encourageant le développement des enquêtes patrimoniales, ce qui facilitera l’action des services de police et de la justice.

Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincu que ce nouvel outil deviendra un instrument incontournable pour lutter plus efficacement contre l’économie souterraine et les trafics qui l’alimentent.

Nous le savons tous en tant qu’élus de terrain, l’argent des trafics et l’économie souterraine ne sont pas de simples sujets de discussion entre nous. Derrière, se cachent des drames, des morts, des personnes en souffrance, quand ce ne sont pas les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques qui sont remis en cause.

Je tiens ici à saluer l’efficacité tant des groupements d’intervention régionaux, de la police, de la gendarmerie, des douanes que des juridictions interrégionales spécialisées, notamment, qui, nous le constatons tous les jours sur le terrain, obtiennent déjà des résultats remarquables dans ce domaine.

Il est cependant plus que nécessaire de moderniser notre droit pour empêcher les organisations criminelles de se sentir impunies. En effet, les peines privatives de liberté ne constituent pas, dans ces cas, à elles seules, une réponse efficace.

L’expérience le montre, les délinquants redoutent d’être privés plus encore, ou, à tout le moins, autant, du fruit de leurs crimes que de leur liberté. Le modèle de l’argent facile illégalement acquis peut séduire les plus jeunes en particulier ; c’est sur ce terrain-là aussi qu’il nous faut combattre.

Permettez-moi ici de saluer le remarquable travail réalisé par M. Zocchetto, qui, en tant que rapporteur, a su parfaitement traduire les attentes des enquêteurs et des magistrats, en conciliant celles-ci avec les enjeux juridiques et financiers qui se rattachent à ce texte.

En 2008, le montant des biens gelés ou saisis s’élevait à près de 94 millions d’euros, soit une hausse, en valeur, de 41 % par rapport à l’année précédente. Ce chiffre pourrait être beaucoup plus élevé si ne se posaient pas plusieurs difficultés liées à la mise en œuvre des saisies des avoirs des criminels. Nous voulons franchir ces obstacles avec cette proposition de loi.

D’une part, il est indispensable de se doter d’un cadre procédural spécifique – tel est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi – pour permettre la réalisation d’enquêtes patrimoniales à côté des investigations dont la finalité est la recherche de la preuve matérielle de l’infraction.

Les enquêteurs pourront ainsi mener des perquisitions pour identifier ou localiser les biens confiscables. Il s’agit d’un dispositif indispensable et parfaitement complémentaire de la plateforme d’identification des avoirs criminels mise en place depuis septembre 2005 au sein de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière.

Ce texte permettra également la saisie de biens qui pourront être confisqués, même s’il ne s’agit pas directement de l’instrument ou du produit de l’infraction. Il n’était en effet pas cohérent que la loi prévoie les confiscations sans avoir fourni les moyens juridiques de nature à éviter la disparition de ces biens avant l’exécution du jugement.

D’autre part, les mesures conservatoires rendues possibles depuis 2004 sont prises selon les règles civiles des voies d’exécution, lesquelles sont difficiles à appliquer dans un cadre pénal.

La saisie des actifs immobiliers et immatériels des délinquants soulève souvent des questions extrêmement complexes. Ce n’est pas sans raison que le crime organisé privilégie depuis longtemps d’ailleurs les investissements dans la pierre ou les fonds de commerce, les placements financiers ou encore les actions et les titres.

Pour adapter notre droit aux pratiques délictueuses, ce texte définit un cadre juridique parfaitement adapté, qui distingue les diverses catégories de biens spéciaux. Il s’agit, au moyen de saisies sans dépossession, d’assurer la représentation des biens qui ne sont pas matériellement saisis et retirés à leur détenteur.

Enfin, les difficultés pratiques et juridiques nombreuses et les frais engendrés amènent trop souvent les enquêteurs et les magistrats à renoncer à ces saisies.

Dès lors, le nombre de décisions de confiscation se voit limité, puisque, le plus souvent, les juridictions ne prononcent la confiscation que des seuls biens déjà saisis.

De plus, chaque année, la conservation des biens saisis nous coûte plus de 15 millions d’euros. Parallèlement, les ventes anticipées de biens en cours de procédure n’ont rapporté, en 2008, que 3 millions d’euros.

Il est donc essentiel de faciliter la mise en œuvre des saisies et confiscations par le biais de la création d’une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. C’est ce que prévoit la présente proposition de loi.

Cet établissement public à caractère administratif, présidé par un magistrat de l’ordre judiciaire, placé sous la cotutelle du ministre de la justice et de celui du budget, relaiera l’action des enquêteurs et des magistrats et assurera une gestion plus rationnelle des biens saisis et confisqués, notamment des biens « complexes », tels que les sociétés commerciales, les fonds de commerce, les bateaux, les immeubles, les animaux…

Cette agence agira sur mandat de justice pour assurer la saisie et le gel des biens que les magistrats veulent appréhender. Elle pourra, ensuite, en assurer la gestion et, éventuellement, la vente avant jugement. Elle sera, enfin, chargée de réaliser les confiscations ordonnées par les juridictions pénales. Son action encouragera et facilitera une appréhension plus large des bénéfices tirés par les délinquants de leurs activités. L’objectif est de permettre à cette agence de s’autofinancer assez rapidement non seulement par le produit de la vente des biens confisqués lorsqu’elle est elle-même intervenue pour leur gestion et leur vente, mais aussi par une partie du produit du placement des sommes saisies ou acquises par la gestion des avoirs saisis et versées sur son compte à la Caisse des dépôts et consignations.

Cette proposition de loi accorde également une place importante à la victime en lui permettant d’obtenir le paiement de ses dommages et intérêts sur les biens confisqués.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce combat ne peut plus être celui d’un seul pays, face aux offensives d’organisations criminelles souvent très sophistiquées et de plus en plus internationales. Depuis longtemps, la criminalité ne connaît plus de frontières. La suppression du contrôle aux frontières et la libre circulation des personnes et des capitaux facilitent la dissimulation à l’étranger des avoirs criminels. C’est pourquoi tous les pays doivent s’engager à lutter de concert pour mettre fin à ces trafics.

La transposition de la décision-cadre du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation répond à ces objectifs.

Cette décision-cadre facilite la coopération entre les États membres de l’Union européenne en instaurant un mécanisme de reconnaissance mutuelle et d’exécution des décisions de confiscation de biens. Les États membres seront tenus de reconnaître et d’exécuter sur leur territoire les décisions de confiscation rendues, en matière pénale, par un tribunal compétent d’un autre État membre. La transposition de cette décision-cadre permettra d’adresser la décision de confiscation à plusieurs États membres, notamment lorsque le même bien est susceptible de se trouver sur le territoire de plusieurs États ou lorsque les éléments d’actifs visés sont dispersés.

Je me réjouis que ce texte permette de codifier dans le code de procédure pénale les dispositions relatives à la coopération judiciaire applicables en matière de saisie et de confiscation.

Que ce soit au sein de l’Union européenne ou hors de l’espace communautaire, la France disposera ainsi des textes lui permettant d’offrir son concours dans la lutte contre la délinquance et la criminalité transfrontalières.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous invite à adopter cette excellente proposition de loi, qui donnera aux enquêteurs et aux magistrats les outils nécessaires pour appréhender et confisquer les profits réalisés par la délinquance et le crime organisé.

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