Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est invitée à se prononcer sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 4 juin 2009, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
J’invoquerai une fois de plus ici les mânes de Beccaria : « Pour qu’un châtiment produise l’effet voulu, il suffit qu’il dépasse l’avantage résultant du délit. »
À cette fin, ce texte tend à améliorer les outils juridiques dont dispose l’État pour confisquer les profits tirés d’activités illicites. Il s’inscrit dans un ensemble de réformes plus globales engagées par l’Union européenne et tendant à améliorer la lutte contre le blanchiment de capitaux et la coopération internationale en matière de lutte contre le crime organisé.
En France, la peine de confiscation existe déjà, mais elle ne peut être prononcée que dans le cadre d’une procédure pénale et ne peut être exécutée qu’une fois la décision de condamnation devenue définitive.
Ainsi, lorsque plusieurs années séparent l’ouverture de l’enquête de la décision définitive de confiscation, la personne mise en cause a eu, vous le comprendrez aisément, tout le temps nécessaire d’organiser son insolvabilité ou de « faire disparaître » les éléments de son propre patrimoine, quand bien même celui-ci aurait été acquis grâce à des activités illicites.
En dépit des différents textes en vigueur, les tribunaux ne prononcent, en réalité, que très rarement la confiscation des biens qui n’ont pas été rendus indisponibles au cours de l’enquête.
Depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, la confiscation est encourue de plein droit pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an. De plus, sont susceptibles d’être confisqués tous les biens qui ont servi à commettre l’infraction, tous ceux qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction ainsi que tout bien, meuble ou immeuble, défini par la loi ou le règlement qui réprime l’infraction.
Enfin, la confiscation peut porter sur l’ensemble des biens du condamné, d’une part, lorsque ce dernier a été condamné pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, et qu’il n’a pu justifier l’origine des biens dont la confiscation est envisagée ; d’autre part, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit expressément. C’est notamment le cas en matière de traite des êtres humains, de proxénétisme, d’actes de terrorisme ou de trafic de stupéfiants.
Ainsi, le régime juridique de la peine complémentaire de confiscation apparaît très dissuasif.
Néanmoins, son application est largement privée d’effectivité et, force est de le reconnaître, notre législation présente de graves lacunes, regrettées par tous ceux qui interviennent dans la chaîne pénale.
Aujourd’hui, il est possible de saisir des biens dans le cadre d’une mesure tendant à la manifestation de la vérité.
La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite Perben II, permet au juge des libertés et de la détention d’ordonner des mesures conservatoires sur l’ensemble des biens d’une personne mise en examen, afin de garantir le paiement des amendes encourues, l’indemnisation des victimes et l’exécution de la confiscation.
Néanmoins, le juge des libertés et de la détention ne dispose d’aucune prérogative de puissance publique pour ces mesures conservatoires, qui sont ordonnées selon les modalités prévues par les procédures civiles d’exécution. Or ces procédures peuvent se révéler complexes à mettre en œuvre, particulièrement en matière immobilière, d’autant que les juges habitués à traiter de questions pénales sont peu familiarisés avec les procédures civiles d’exécution ; c’est du moins ce qu’ils nous ont dit.
Dans le silence des textes, certains magistrats ont néanmoins considéré que, puisque cela n’était pas interdit, rien ne s’opposait à ce qu’un juge d’instruction puisse saisir des biens. Certains l’ont fait. Cette analyse n’est cependant pas partagée par la majorité des magistrats.
La jurisprudence n’a jamais réellement tranché la question, d’où une situation d’insécurité juridique, alors qu’il est absolument nécessaire d’agir. Il n’est nullement choquant, chacun en conviendra, que l’argent du crime puisse être saisi et confisqué. Sur ce point, un consensus s’est d’ailleurs dégagé non seulement sur l’ensemble de ses travées, mais également au sein de la population française.
L’intervention du législateur est donc indispensable, et elle est attendue.
Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont mis en place différents instruments.
Depuis mai 2002, les groupements d’intervention régionaux, les GIR, regroupent au sein d’unités opérationnelles des agents de la police nationale, de la gendarmerie, des services fiscaux, des douanes et de l’inspection du travail.
En outre, depuis septembre 2005, la plateforme d’identification des avoirs criminels, la PIAC, placée au sein de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière, l’OCRGDF, a pour mission d’identifier des patrimoines des délinquants en vue d’accroître les saisies et confiscations, et de systématiser l’approche financière des investigations contre les organisations criminelles et les délinquants.
Au niveau judiciaire, les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, créées par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction possédant une expérience particulière en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.
Ces dispositions commencent à produire leurs effets. Cela se traduit par une évolution du montant des saisies et mesures conservatoires réalisées par les juridictions, qui est passé de 51 millions d’euros en 2005 à 93 millions d’euros en 2008.
Cela dit, il faut en avoir conscience, ces chiffres restent ridiculement faibles par rapport à ce qu’ils devraient être et surtout par rapport au produit des activités criminelles.
Les heureuses évolutions que je rappelais à l’instant ont été encouragées par l’Union européenne qui, depuis 2001, s’est dotée elle-même d’instruments juridiques. Quatre décisions-cadre ont ainsi été adoptées afin d’améliorer la coopération entre États membres en matière de lutte contre la criminalité organisée.
L’article 10 ter de la présente proposition de loi procède à la transposition de la décision-cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation.
Je n’entrerai pas dans les détails de la proposition de loi, mais je rappellerai que ce texte a trois objectifs principaux, rappelés à l’instant par M. le secrétaire d'État.
Premier objectif, il s’agit d’élargir le champ des biens susceptibles d’être saisis puis confisqués en accordant une attention particulière aux valeurs mobilières et aux biens incorporels tels que les fonds de commerce. En effet, les délinquants malicieux organisent une partie du recyclage de ce qu’il est convenu d’appeler « l’argent sale » à travers des schémas qui reposent sur des sociétés civiles immatriculées à droite et à gauche, et qui sont parfois difficiles à déceler. L’idée est de faire en sorte que tout ou quasiment tout puisse être saisi !
Deuxième objectif, il s’agit de créer une procédure pénale spéciale à des fins de confiscation pour remédier à la difficulté que pose au juge pénal le recours aux procédures civiles d’exécution.
Enfin, troisième objectif, il s’agit d’améliorer la gestion des biens saisis et confisqués en créant un établissement public administratif : une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Aujourd’hui, malgré la bonne volonté et la détermination des magistrats, des policiers et des gendarmes qui tentent de lutter contre l’argent sale, j’oserai dire que l’on ne fait que du bricolage, car la tâche est très difficile. La gestion des biens saisis et confisqués constitue une charge non seulement pour les juridictions, lesquelles ne parviennent pas à l’assumer en raison des autres préoccupations du quotidien, mais aussi pour France Domaine, qui assume cette mission en sus des siennes propres. Le travail est donc très imparfaitement fait. Lorsque sera mise en place cette agence, dont ce sera la mission unique, le dispositif sera plus opérationnel.
Enfin, la proposition de loi comporte un certain nombre de dispositions tendant à améliorer la coopération internationale en matière d’exécution des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve et de confiscation.
L’ensemble des auditions auxquelles nous avons procédé au sein de la commission des lois a montré que cette proposition de loi était très consensuelle et très attendue.
Notre souci, aux uns et aux autres, quelle que soit notre appartenance politique, a été, me semble-t-il, de collaborer pour parvenir à la meilleure rédaction possible, c’est-à-dire celle qui présente la plus grande sécurité juridique. En effet, dans cette lutte contre la criminalité organisée, nous avons affaire à des adversaires redoutables. Agissant dans le champ de la mondialisation, ils ont les moyens de bénéficier de conseils, et pas seulement sur le plan de leur défense pénale. Il est donc d’autant plus important d’avoir un texte qui soit fiable et qui ne permette aucune procédure dilatoire.
Au cours de ses travaux, la commission des lois a mis au point une série d’améliorations qui figurent dans son texte et sur lesquelles, a priori, nous ne reviendrons pas aujourd’hui, mais je vous en proposerai un certain nombre d’autres tout à l’heure.
Un premier amendement me paraît important : il consiste à confier le maximum de prérogatives au juge des libertés et de la détention plutôt qu’au procureur de la République pour autoriser les saisies et les confiscations.
Cette disposition traduit le souci de prendre en compte l’arrêt Medvedyev c. France, par lequel la Cour européenne des droits de l’homme a mis en cause la capacité des magistrats du parquet français à autoriser un certain nombre d’opérations. En l’occurrence, il s’agissait des mesures de retenue et de garde à vue.
Puisque nous souhaitons nous doter de procédures de saisie et de confiscation fiables, ne nous privons pas de confier, d’emblée, le maximum de pouvoirs à un magistrat du siège, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention, plutôt qu’au parquet. Tel est le sens du premier amendement que je vous présenterai.
Le deuxième concerne les contrats d’assurance sur la vie. En effet, nous nous sommes vite aperçus que le moyen très fréquemment utilisé par les criminels pour recycler l’argent issu des activités illicites était l’assurance sur la vie : il suffit de placer au nom d’une tierce personne bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie les sommes issues de la criminalité.
Parvenir à un texte n’a pas été simple. Cela dit, la disposition que nous vous soumettrons permettra de prononcer le gel des contrats d’assurance sur la vie pendant la durée des procédures jusqu’à ce que l’on obtienne une condamnation définitive. Nous considérions qu’il était très important de compléter le dispositif en permettant aux magistrats, aux policiers et aux gendarmes de bloquer toutes ces sommes placées sur des contrats d’assurance sur la vie.
Enfin, la commission des lois a souhaité aligner le régime juridique de la peine de confiscation encourue par les personnes morales sur celui qui est applicable aux personnes physiques.
En conclusion, je vous propose d’adopter le texte mis au point par la commission des lois, les amendements que je présenterai en son nom et quelques-uns des amendements qui seront présentés par nos collègues.
Comme à l’Assemblée nationale, je forme le vœu que l’ensemble de l’hémicycle s’associe à ce vote très attendu.