Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a pour objet de faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Il s’agit donc d’améliorer, dans ce domaine, le dispositif actuel, tout en généralisant les saisies conservatoires pour la quasi-totalité des poursuites engagées en matière criminelle et délictuelle.
Ce texte est pour le moins consensuel, puisque l’Assemblée nationale l’a adopté à l’unanimité, bien qu’il ne me semble pas véritablement coordonné avec le projet de réforme de la procédure pénale, auquel semblent particulièrement tenir le Président de la République et Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. Mais j’espère que vous nous apporterez, monsieur le secrétaire d’État, dans le cadre de la discussion de cette proposition de loi, quelques éclaircissements sur ce sujet.
Si les confiscations et les saisies en matière pénale se rapprochent d’un point de vue matériel, en ce qu’elles font perdre au propriétaire la disposition d’un ou plusieurs biens, elles possèdent toutefois des natures juridiques bien distinctes, et ce pour au moins deux raisons.
Tout d’abord, les confiscations sont des peines, prononcées uniquement par des juridictions de jugement, qu’elles soient, selon les cas, alternatives, lorsqu’elles sont encourues pour des délits et des contraventions de la cinquième classe, ou complémentaires, lorsque la loi ou le règlement en dispose expressément, tandis que les saisies sont des actes d’enquête ou d’instruction, créées à des fins probatoires.
Si la réforme du dispositif actuel est demandée, c’est d’abord parce que les cadres juridiques existants sont éparpillés et manquent, de ce fait, d’efficacité. Une telle situation est, on voudra bien l’admettre, particulièrement dommageable, dès lors qu’il s’agit de matière pénale. Nous en sommes tous persuadés.
Pour adapter la procédure pénale aux saisies des biens immeubles ou meubles incorporels ainsi qu’aux saisies n’impliquant pas de dépossession, ce texte tend à refondre complètement l’encadrement juridique des saisies et confiscations autour de trois axes principaux, qui ont été rappelés par M. le secrétaire d’État et notre excellent rapporteur.
Le Gouvernement a fait apporter deux modifications à ce texte, lors de son examen, en première lecture, par l’Assemblée nationale.
La première concerne la création de l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, établissement public à caractère administratif placé sous la double tutelle de la Chancellerie et du ministère du budget, dont la mission consistera à assurer la gestion ainsi que l’aliénation ou la destruction des biens saisis ou confisqués en exécution d’une décision émanant d’une juridiction nationale ou étrangère.
La seconde permet de transposer des textes étrangers dans le code de procédure pénale, en application d’une décision-cadre du Conseil de l’Union européenne et conformément à la convention des Nations unies contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes.
J’en prends acte, la commission des lois du Sénat souhaite, de son côté, aligner les régimes de la peine complémentaire de confiscation, aménager les compétences de ceux qui la prononcent et prendre un certain nombre de dispositions relatives à la future agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
L’évolution de la grande criminalité organisée et internationale doit indéniablement conduire le législateur à mettre en place des dispositifs pour la combattre sinon à armes égales, du moins avec une efficacité suffisante. Dans une telle perspective, claire et volontaire, les saisies conservatoires et les confiscations constituent, il est important de le souligner, un outil utile dans la lutte contre la criminalité organisée. Ces dernières, d’une part, privent les délinquants des outils et des fruits de leurs infractions et, d’autre part, donnent à l’institution judiciaire la possibilité d’éviter la dissipation du patrimoine technique à laquelle les réseaux criminels sont rodés. De surcroît, si l’augmentation du champ d’application des peines de confiscation emporte un accroissement incontestable de la répression, elle n’est pas contraire aux principes fondamentaux de la procédure pénale.
J’évoque naturellement des situations concernant des personnes jugées et non pas mises en examen ou simplement suspectées. En effet, les individus étant présumés innocents, il ne saurait à l’évidence être question, au moment de l’enquête, de les priver de leur patrimoine, celui-ci étant aussi important que leurs droits. C’est la raison pour laquelle je suis quelque peu réservée sur cette question.
De même, si je suis favorable au principe d’une coopération avec les pays étrangers, je ne comprends pas pourquoi les infractions visées sont limitées aux crimes et délits contre les biens, les victimes des délits contre les personnes ne bénéficiant pas de la même protection. Selon moi, il faut saisir l’occasion qui nous est donnée en instaurant une complémentarité dans ce domaine.
J’ai relevé d’autres points qui peuvent appeler de ma part certaines réserves.
À l’article 2, qui vise à introduire dans le code de procédure pénale un titre XXXI intitulé « Des mesures conservatoires », le texte proposé pour le deuxième alinéa de l’article 706-167 pose question. Il prévoit en effet que la condamnation vaut validation des mesures conservatoires et permet l’inscription définitive des sûretés. Or il peut y avoir un recours par voie d’appel. En procédure civile, il faut une condamnation passée en force de chose jugée ou, aux risques du créancier, au moins exécutoire.
Quant au dernier alinéa de cet article, qui prévoit que les mesures prévues à titre conservatoire sur les biens de la personne mise en examen sont applicables, y compris après la date de cessation des paiements, il constitue une négation de la procédure collective, puisque, par hypothèse, les faits poursuivis sont antérieurs à l’ouverture de celle-ci.
Le texte proposé pour l’article 706-143 du code de procédure pénale dispose que « le propriétaire ou, à défaut, le détenteur du bien est responsable de son entretien et de sa conservation ». Mais si la personne est détenue, comment pourra-t-elle endosser une telle responsabilité ?
Le texte proposé pour l’article 706-144 du code de procédure pénale tend à maintenir la compétence du juge pénal et non celle du juge de l’exécution, ce qui restreint les libertés au regard du dispositif actuel. Il en est de même au deuxième alinéa de l’article 706-145 du code de procédure pénale, avec l’imperium de la saisie pénale sur toutes les saisies civiles, la saisie pénale entraînant la suspension ou l’interdiction de toute procédure civile d’exécution, ce qui empêche les créanciers d’être réglés sans motivation.
Le texte proposé pour le deuxième alinéa de l’article 706-150 prévoit que la saisie pénale de l’immeuble porte sur la valeur totale de celui-ci, au mépris du démembrement de propriété – nue-propriété ou usufruit – ou de la propriété indivise postcommunautaire due à une séparation de biens ou particulière, ce qui est contraire aux règles du code civil.
Voilà quelques exemples des imprévoyances de ce texte. Elles expliquent, monsieur le secrétaire d’État, les raisons pour lesquelles le groupe du RDSE sera attentif, d’une part, aux éclaircissements que le Gouvernement acceptera d’apporter sur les points les plus obscurs de cette proposition de loi et, d’autre part, au sort qui sera réservé aux amendements déposés par l’ensemble de nos collègues, de droite comme de gauche, amendements dont l’objet est précisément d’améliorer un texte qui a déjà bénéficié, grâce à notre excellent rapporteur et à notre commission des lois, de véritables améliorations rédactionnelles.