Un scandale qui voulait qu’un artisan, un commerçant, un professionnel libéral ou un agriculteur puisse, après un revers professionnel, perdre l’ensemble de ses biens personnels et se retrouver littéralement à la rue, ruiné, sans possibilité de rebondir.
Un scandale qui voulait que nous avions tacitement et collectivement accepté le fait que des dizaines de milliers de nos compatriotes se retrouvent totalement ruinés en cas de difficultés, quand, dans le même temps, nous nous efforcions – et de manière légitime ! – de renforcer les protections sociales de toutes les autres catégories de la population.
Un scandale qui entretenait, de fait, une inégalité entre ceux qui dirigent des entreprises, y compris de très grandes entreprises, et les 1, 5 million d’entrepreneurs qui dirigent leur activité en nom propre.
Chacun d’entre vous a connu l’expérience douloureuse de recevoir dans sa permanence parlementaire des personnes qui, parce qu’elles avaient connu un échec professionnel, se voyaient saisir leurs biens personnels, étaient alors contraintes de vendre leur maison, leur voiture, leurs meubles, au risque de mettre en danger leur couple et leur famille. Qu’aviez-vous d’autre à leur offrir qu’une certaine compassion ? Peu de chose...
J’en suis convaincu, devant de telles situations, chacun d’entre vous a ressenti l’indignation, ainsi qu’un pénible sentiment d’impuissance.
Outre ses conséquences sur les situations financière, familiale et psychologique des entrepreneurs individuels en situation de faillite, notre système d’unicité du patrimoine a aussi eu pour effet de mettre un terme – c’est un point sans doute encore plus important ! – à la volonté d’entreprendre de dizaines de milliers de personnes qui, en créant leur entreprise, avaient souhaité améliorer leur condition, s’émanciper professionnellement et offrir un horizon meilleur à leur famille. Il faut bien avoir présent à l’esprit que l’échec d’un entrepreneur individuel condamné à perdre ses biens personnels éteint, par contagion, de nouvelles volontés d’entreprendre.
Avec la création de l’EIRL, l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, nous pouvons faire en sorte que la création d’activité ne soit pas vécue comme une « route sans retour », avec des conséquences personnelles irréparables en cas d’échec.
Telle est la raison principale pour laquelle je suis heureux et fier de porter aujourd’hui devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi visant à créer le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
Vous l’avez compris, l’objectif de ce texte est de rompre avec un dogme, comme il en existe souvent dans notre société, le dogme, en l’occurrence biséculaire, de l’unicité du patrimoine pour les entrepreneurs individuels, en permettant à ces derniers d’affecter à leur activité un patrimoine professionnel, distinct de leur patrimoine personnel. En cas de défaillance, l’entrepreneur ne serait responsable que sur le patrimoine affecté à son activité.
Le processus parlementaire a nettement contribué, à partir de ce principe général, à enrichir le texte. À cet égard, je tiens tout particulièrement à saluer l’apport et le travail de Jean-Jacques Hyest, éminent président de la commission des lois. Merci, cher Jean-Jacques, de votre volonté d’avoir préservé la philosophie du texte, tout en ayant apporté les sécurités et les clarifications juridiques que vous jugiez nécessaires.
Mes remerciements vont également à Michel Houel, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, et spécialiste, en tant que président du groupe d’études Artisanat et services du Sénat, des sujets dont nous traiterons aujourd’hui. Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez travaillé avec les membres de la commission sur la question des garanties et des sûretés personnelles, ainsi que sur le rôle d’OSEO dans le dispositif – j’y reviendrai dans quelques instants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez ici l’occasion d’adopter un texte attendu – c’est un fait notable – par les entrepreneurs individuels depuis plus de trente ans ! Si, aujourd’hui, l’idée de l’affectation du patrimoine pour les entrepreneurs individuels s’est imposée, celle-ci a été le fruit d’un long débat, je dirai même d’un long combat, car il a fallu remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier.
Permettez-moi de citer quelques dates.
Peut-être vous souvenez-vous du rapport Barthélemy, en 1993, des rapports Hurel, en 2002 puis en 2008, de la proposition de loi de Jean-Pierre Raffarin, éminent sénateur. Tous recommandaient la mise en place d’un patrimoine d’affectation, mais aucun n’a été suivi d’effet ! Un nouvel élan, décisif cette fois, a été donné, en 2008, à l’occasion des débats relatifs au texte qui est devenu la loi de modernisation de l’économie. De nombreux parlementaires, députés ou sénateurs, avaient demandé que le Gouvernement se saisisse du sujet.
J’ai donc confié une mission sur ce sujet à Xavier de Roux, qui, dans le rapport qu’il a remis en novembre 2008, a conclu de façon claire en faveur de la création d’un patrimoine d’affectation.
Nous avons ensuite procédé à une large consultation. Il est apparu que le projet de création d’un nouveau statut d’EIRL faisait consensus : les chambres de métiers et de l’artisanat, l’ordre des avocats, des notaires, les représentants des experts-comptables ont soutenu le projet et continuent de le faire.
On peut se demander pourquoi tous ces professionnels sont parvenus à un consensus aussi fort en faveur de la création de ce nouveau statut.
Premièrement, les autres statuts existants n’ont pas complètement convaincu. La possibilité de protéger son patrimoine personnel en créant une société n’a pas séduit les entrepreneurs.
Avec la création, en 1985, de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, l’EURL, les pouvoirs publics entendaient promouvoir l’exercice professionnel sous forme de société. Mais, en un quart de siècle, seules 200 000 sociétés unipersonnelles ont été créées. L’EURL ne représente aujourd’hui que 6, 2 % du total des entreprises. A contrario, le nombre des créations en nom propre, qui représentaient déjà plus de la moitié des créations ces dernières années, a atteint, en 2009, un ratio de 75 %, et ce grâce au phénomène de l’auto-entrepreneur, qui est, bien entendu, la première forme d’entreprise individuelle.
Deuxièmement, la possibilité, instaurée en 2003, puis renforcée dans la loi de modernisation de l’économie, de rendre insaisissables les biens immobiliers pour les entrepreneurs individuels n’a pas rencontré un réel succès, avec moins de 20 000 déclarations d’insaisissabilité enregistrées jusqu’à présent. Il fallait donc faire davantage, et, certainement, autrement, pour répondre à la demande de protection émise par plus de 1, 5 million d’entrepreneurs individuels.
Au-delà de ces raisons techniques, nous avions besoin d’adresser un signe fort à tous ceux qui souhaitent entreprendre, mais hésitent à passer à l’acte, tant les conséquences peuvent être dramatiques si les choses se passent mal.
La France a souffert d’un paradoxe. Alors que les études d’opinion montraient que les Français étaient très désireux de créer leur entreprise, cet appétit tardait à se concrétiser dans les chiffres. Ces mêmes études nous apprenaient que le principal frein était, pour nos concitoyens, la peur de l’échec.
En France, plus qu’ailleurs, création d’entreprise rimait avec prise de risque excessive. Pour beaucoup de nos concitoyens, elle était perçue comme une entreprise aventureuse, avant d’être une aventure entrepreneuriale, et ce à cause d’un environnement social, fiscal et juridique qui représentait un frein à l’initiative. Bien sûr, il n’est pas question de supprimer le risque, car celui-ci est inhérent à l’acte même d’entreprendre, mais l’entrepreneur ne peut pas le prendre à n’importe quel prix.
La création d’entreprise doit être encouragée parce qu’elle porte des valeurs fondamentalement positives : la volonté de construire, d’innover, de prendre en main son destin et de contribuer en tant qu’individu au fonctionnement de la collectivité.
Par ailleurs, elle est sans doute le meilleur ascenseur social. Pour lancer votre entreprise, on ne vous demande pas votre diplôme, votre origine, votre statut social, on ne vous demande pas de passer un concours ! C’est à vous de faire la démonstration de vos capacités et de valoriser vos compétences, sans autre juge que la réussite de votre projet.
C’est parce que nous avons pris acte de ces réalités que nous avons créé hier – il y a un peu plus d’un an – le statut de l’auto-entrepreneur et que nous créons aujourd’hui celui de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
Pour que la création d’entreprise s’adresse réellement à tous, il faut que les formalités soient simples. Nous avons voulu que le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée soit accessible sur une simple déclaration au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, pour tous les entrepreneurs, qu’ils soient artisans, commerçants, professionnels libéraux ou agriculteurs. L’entrepreneur déclarera la liste des biens qu’il affecte à son activité professionnelle, séparant ainsi son patrimoine personnel de son patrimoine professionnel. Il restera propriétaire des deux patrimoines, et la déclaration d’affectation n’entraînera pas la création d’une société. L’entrepreneur évitera ainsi la complexité liée à la gestion d’une personne morale distincte.
Des règles particulières sont prévues pour l’affectation de biens immobiliers, qui devra être reçue par acte notarié, de même que pour l’affectation de biens communs ou indivis nécessitant l’accord exprès du conjoint ou des co-indivisaires.
Quelles seront les conséquences à l’égard des créanciers dont les droits sont nés après la déclaration d’affectation ?
Les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle auront pour seul gage le patrimoine affecté, les autres créanciers ayant pour seul gage le patrimoine non affecté, c’est-à-dire le patrimoine personnel. En cas de faillite, seul le patrimoine professionnel sera liquidé, les biens personnels – la maison, la voiture, l’épargne – seront donc préservés.
Sur le plan fiscal, nous avons également réparé une injustice fiscale.
En effet, l’entrepreneur en nom propre pourra enfin bénéficier du même régime fiscal que l’associé unique d’une société. L’entrepreneur individuel aura le choix d’opter soit pour l’impôt sur le revenu, soit pour l’impôt sur les sociétés. Par défaut, le régime des sociétés de personnes, c'est-à-dire l’impôt sur le revenu, s’appliquera, mais l’entrepreneur pourra, s’il le souhaite, opter pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, c'est-à-dire l’impôt sur les sociétés.
Le dispositif de l’EIRL ne crée pas un régime fiscal ou social nouveau, dans la mesure où tout entrepreneur individuel peut d’ores et déjà choisir l’option de l’impôt sur les sociétés, en créant une EURL.
Il faut le reconnaître, la commission des lois du Sénat a largement amélioré le texte. Elle est revenue sur l’application du dispositif aux créances en cours, pour des raisons de cohérence juridique auxquelles le Gouvernement ne pouvait qu’être attentif. Elle a prévu de faire coïncider l’entrée en vigueur de la loi avec celle de l’ordonnance qui doit adapter le droit des procédures collectives à l’existence de deux patrimoines distincts. Elle a également précisé et complété les cas de transmission du patrimoine affecté, lequel doit, comme une entreprise, pouvoir être cédé ou passer à un héritier, le cas échéant, à l’occasion d’une donation.
Enfin, la commission a clarifié les procédures de déclaration d’affectation, au moment de la création de l’entreprise comme dans la vie de celle-ci.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons voulu que ce nouveau dispositif soit le plus simple et le plus souple possible. En matière d’entreprise, en matière de vie économique, ma conviction est en effet que la simplicité est le nerf de la guerre. Et c’est un combat que nous sommes en passe de gagner avec le statut de l’auto-entrepreneur, qui agit depuis un an comme un détonateur de talent et de volonté d’entreprendre.
À ce propos, je l’indique d’emblée, l’idée souvent évoquée depuis quelques mois de limiter dans le temps le statut de l’auto-entrepreneur va à l’encontre de la philosophie même qui a présidé à sa création, à savoir la simplicité, encore la simplicité, toujours la simplicité !
Il n’est pas illégitime de vouloir encadrer, plafonner, sécuriser, limiter des dispositifs, avec comme objectif louable d’éviter des abus. Mais, ce faisant, nous le savons, on court toujours le risque de rendre ces mêmes dispositifs inopérants, voire caducs.
Nous aurons l’occasion d’examiner un amendement, voire plusieurs amendements, visant à limiter le statut de l’auto-entrepreneur à une durée de trois ans pour les personnes exerçant au titre de leur activité principale. Je veux dire d’emblée mon opposition à une telle proposition.