Intervention de Michel Houel

Réunion du 8 avril 2010 à 15h00
Entrepreneur individuel à responsabilité limitée — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Michel HouelMichel Houel, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enjeu de ce texte est important. Il s’agit de créer un outil permettant d’éviter que les entrepreneurs individuels qui essuient un revers de fortune ne se trouvent ruinés. Ces derniers sont en effet responsables sur la totalité de leur patrimoine des dettes issues de leur activité. Au-delà de l’entrepreneur lui-même, cette loi vise à protéger aussi ses proches, conjoint et enfants, afin que l’échec d’une aventure économique ne plonge pas toute une famille dans la précarité. Selon moi, personne ne peut s’opposer à cet objectif généreux.

Les législateurs que nous sommes n’ont d’ailleurs pas attendu le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, ou EIRL, pour s’intéresser à la notion de patrimoine affecté. Cependant, jusqu’à présent, les velléités législatrices dans ce domaine se sont heurtées à des difficultés juridiques et pratiques de mise en œuvre, la volonté politique se révélant trop timide pour les surmonter. La loi a donc mis en place des palliatifs permettant l’affectation du patrimoine à travers l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou EURL, et la déclaration d’insaisissabilité.

Si ces deux dispositifs ont des qualités, force est de constater qu’ils n’ont jamais vraiment convaincu les créateurs d’entreprise, notamment dans le domaine de l’artisanat. Ainsi, l’Assemblée permanente des chambres de métiers et l’UPA, l’Union professionnelle artisanale, n’ont eu de cesse de réclamer la création d’un patrimoine d’affectation. Aujourd’hui, cette demande ancienne des entrepreneurs individuels est en voie d’être satisfaite. Je m’en réjouis, car, à mes yeux, il s’agit d’un progrès, et ce d’un triple point de vue.

Premièrement, la création de l’EIRL étend la gamme des outils de protection patrimoniale offerts aux entrepreneurs, notamment à tous ceux qui, pour des raisons diverses, ne trouvaient pas dans le statut d’EURL ni dans la déclaration d’insaisissabilité une réponse adaptée à leurs besoins.

Deuxièmement, cette réforme contribue à rétablir l’équité entre les entrepreneurs, puisque la prise de risque est désormais la même, quelle que soit la forme juridique choisie pour l’activité. Il pouvait en effet paraître injuste que, en cas d’échec, un entrepreneur individuel assume un niveau de responsabilité supérieur à celui que supporte l’entrepreneur ayant opté pour une forme sociétaire. Au passage, je me réjouis que la recherche d’une plus grande équité ait conduit nos collègues députés à étendre aux entreprises agricoles le champ d’application de l’EIRL, réparant ainsi une injustice qu’aurait engendrée l’application du texte initial. Je reviendrai sur ce point tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.

Enfin, cette réforme met en adéquation les formes juridiques avec la réalité économique des petites entreprises. On sait bien en effet que, pour contourner les risques patrimoniaux inhérents à l’entreprise individuelle, certains entrepreneurs optent pour une forme sociétaire, sans toutefois bien mesurer la nature des obligations imposées, pour ce qui concerne tant la gestion quotidienne que la cession ou le changement d’activité. On a affaire dans ce cas à des entrepreneurs agissant et pensant comme des entrepreneurs individuels, mais dans un cadre sociétaire inadapté à leurs besoins.

Au bout du compte, en contribuant à la limitation du risque d’entreprendre, le statut d’EIRL permet également de lever un frein à la création d’entreprise.

Pour toutes ces raisons, l’adoption de l’EIRL constituera une avancée. Je m’en félicite, d’autant que ce progrès n’allait pas de soi. En effet, comme je l’ai dit il y a un instant, si l’idée de patrimoine d’affectation est séduisante, elle reste difficile à mettre en œuvre. Pour lui donner corps, le Gouvernement, l’Assemblée nationale et les deux commissions du Sénat saisies de ce texte ont réalisé un gros travail, qui va se poursuivre ce soir.

À mon sens, un dispositif d’affectation du patrimoine doit réussir à concilier – c’est le principal problème – la protection des entrepreneurs et celle des créanciers, dans le cadre d’un formalisme allégé.

Il est évident en effet que la restriction de l’engagement personnel de l’entrepreneur individuel à une fraction seulement de son patrimoine accroît le risque d’un refus de soutien de la part des créanciers, ce qui n’est bon ni pour les entrepreneurs eux-mêmes ni pour l’ensemble de la vie économique. Il faut donc imaginer des garanties susceptibles de rassurer les créanciers.

Ces garanties passent forcément par le respect d’un formalisme comptable et d’une publicité minimale. Avant de s’engager, un créancier voudra disposer d’une information claire et fiable sur la composition et la valeur du patrimoine affecté qui lui sert de gage. Il voudra également obtenir des garanties sur le fait que les biens affectés ne seront pas retirés du patrimoine et que leur valeur ne diminuera pas.

Le formalisme allégé d’une entreprise individuelle classique n’offrant pas assez de garanties et devant donc être renforcé, le projet de loi résulte d’un arbitrage entre souplesse et confiance. Pour les très petites entreprises, les fameuses TPE, qui sont principalement concernées par le statut d’EIRL, les formalités de constitution et de gestion imposées doivent en effet rester simples et peu coûteuses, sous peine de placer les entrepreneurs dans l’impossibilité de les assumer. En même temps, on ne peut pousser trop loin la recherche de la souplesse sans risquer de saper la confiance des créanciers et sans créer une insécurité juridique dont les entrepreneurs eux-mêmes seraient bien sûr les premières victimes.

Le dispositif prévu par le projet de loi résulte donc de la recherche d’un équilibre satisfaisant entre ces deux exigences contradictoires. Concrètement, le texte impose à l’EIRL le respect de plusieurs formalités nouvelles, principalement l’inscription de la déclaration d’affectation sur un registre public, le passage devant notaire en cas d’affectation d’un bien immobilier, la certification, par un professionnel du chiffre, de la valeur des actifs lorsque celle-ci dépasse un certain seuil, l’assujettissement aux règles de la comptabilité commerciale et, enfin, le dépôt annuel du bilan, qui vaut actualisation de la composition et de la valeur du patrimoine affecté.

En tant que rapporteur pour avis, j’ai cherché les moyens de rendre l’accès au statut d’EIRL aussi simple que possible, tout en évitant de créer une insécurité économique pour les créanciers et une insécurité juridique pour les entrepreneurs. J’ai proposé plusieurs amendements en ce sens. Ils ont été adoptés par la commission de l’économie, puis par la commission des lois, notamment grâce au travail de M. Jean-Jacques Hyest, de sorte que les dispositions en question sont désormais intégrées au texte.

Ainsi, lorsqu’un notaire recevra l’affectation d’un bien immobilier dans le patrimoine professionnel d’une EIRL, ses émoluments seront fixés de manière forfaitaire, et non pas proportionnellement à la valeur du bien, le but étant de limiter le coût de cette formalité.

J’ai aussi proposé que la liste des personnes habilitées à évaluer la valeur des biens affectés au patrimoine professionnel soit étendue aux notaires pour les biens immobiliers et aux associations de gestion et de comptabilité, car le dispositif doit, selon moi, intégrer des interlocuteurs de proximité des entrepreneurs.

Enfin, j’ai proposé qu’une EIRL puisse désormais faire l’objet d’une donation entre vifs, ce que ne prévoyait pas le projet de loi initial.

En définitive, il fallait éviter que l’EIRL ne devienne, si vous me permettez l’expression, une « usine à gaz ». §Ce risque a pu être écarté. Le dispositif qui devrait résulter des travaux du Parlement est en effet d’un abord raisonnablement simple. Parallèlement, toutefois, l’EIRL, sur l’échelle de la complexité, supplante nettement, il faut en être conscient, l’entreprise individuelle classique. Les entrepreneurs qui saluent à juste titre ce nouveau dispositif ne doivent pas croire que l’EIRL n’est qu’une entreprise individuelle classique, avec un niveau de sécurité patrimoniale supérieur.

Le non-respect des formalités prévues dans le cadre de l’EIRL s’accompagne en effet de conséquences parfois lourdes. Dans plusieurs cas, le texte prévoit même que la séparation entre patrimoines personnel et professionnel peut être remise en cause. Tel sera le cas si la valeur déclarée du patrimoine s’avère surestimée. Tel sera également le cas si les obligations comptables, fiscales ou sociales font l’objet de manquements importants. Bref, le dispositif assure bien l’étanchéité des patrimoines professionnel et personnel, sous réserve, cependant, du respect par l’entrepreneur des formalités imposées. Il ne fait pas de doute que les créanciers vérifieront scrupuleusement cet aspect en cas de défaillance de l’entreprise. Le cas échéant, ils n’hésiteront pas à contester devant les tribunaux la validité des déclarations d’affectation.

Par conséquent, la qualité de l’accompagnement, de l’information et du conseil des entrepreneurs, notamment par les chambres consulaires, sera décisive pour le succès de l’EIRL.

Par ailleurs, il faut, selon moi, que les entrepreneurs puissent conserver la possibilité de recourir à la déclaration d’insaisissabilité. Je rappelle à cet égard que le projet de loi, dans sa rédaction initiale, prévoyait l’extinction de ces déclarations, au motif qu’il ne faut pas multiplier les dispositifs de protection des entrepreneurs si l’on veut garder un système lisible. Cependant, c’est évident, tous les entrepreneurs individuels n’opteront pas pour l’EIRL, cette structure impliquant un certain formalisme. Il est donc important de maintenir un dispositif alternatif de protection des entrepreneurs. L’insaisissabilité est à cet égard un bon palliatif, à la fois simple et peu coûteux. Ces arguments ont poussé la commission de l’économie et la commission des lois du Sénat à modifier le texte du Gouvernement, en vue de maintenir la déclaration d’insaisissabilité.

Pour en finir avec la question de la conciliation des intérêts des entrepreneurs individuels et des créanciers, je souhaite faire une dernière remarque importante. Il est clair que l’EIRL risque d’être un échec si les banques contournent le dispositif, en demandant systématiquement des sûretés personnelles ou réelles. Il est tout aussi clair qu’on ne peut pas interdire aux banques de prendre des garanties, car cela relève de la relation d’affaires.

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