Pour protéger les entrepreneurs du pire, ce projet prévoit de leur permettre d’opérer une scission entre leur patrimoine personnel et le patrimoine affecté à leur activité professionnelle.
Pour cela, le projet rompt avec le principe de l’unicité du patrimoine.
Chaque entrepreneur pourrait disposer d’un patrimoine personnel et d’un, voire de plusieurs patrimoines d’affectation. Ainsi, en cas de faillite, les biens faisant partie du patrimoine personnel de l’entrepreneur seraient épargnés.
Théoriquement, ce projet devrait donc permettre de limiter significativement le risque encouru par l’entrepreneur de voir ses biens propres ou sa maison saisis par ses créanciers professionnels. Je dis « théoriquement » parce que, dans la pratique, il paraît peu probable que ce projet opère une réelle atténuation de ce risque – vous le reconnaissez, monsieur le secrétaire d’État.
Après tout, un entrepreneur doit prendre des risques, c’est certain, mais là n’est pas le problème. Les entrepreneurs en nom propre existant aujourd’hui, qui sont au nombre de 1, 5 million, ne verront certainement pas leur prise de risque réelle disparaître grâce à ce projet puisque celui-ci ne permet même pas de la limiter.
Pour que la prise de risque des entrepreneurs diminue, il aurait fallu un projet beaucoup plus ambitieux.
Ce projet se borne à prévoir et à organiser la scission des patrimoines. Or, force est de le constater, sur ces deux points, ce projet de loi ne répond pas aux attentes : il n’offre aucune protection réelle du patrimoine personnel contre les banques.
Quand il s’agira de négocier un emprunt auprès des banques, première difficulté des petits entrepreneurs, l’étanchéité aura vécu. Certes, comme le prévoit l’article 1er, le patrimoine affecté ne comprendra que « les biens, droits, obligations ou sûretés » utilisés pour l’exercice de l’activité professionnelle.
Mais on ne voit pas en quoi la reconnaissance d’un tel patrimoine affecté empêchera les banques d’exiger des sûretés réelles constituées sur un bien du patrimoine personnel pour garantir un emprunt nécessaire à la poursuite de l’activité, et d’en faire la condition de l’obtention du prêt.
On se demande même d’ailleurs si, eu égard à la définition du patrimoine affecté proposée à l’article 1er, les sûretés accordées sur un bien issu du patrimoine personnel et nécessaire à la poursuite de l’activité n’opéreront pas l’affectation indirecte de ce bien au patrimoine professionnel.
Ce qui s’est passé avec l’EURL se passera encore avec l’entrepreneur individuel. Vous auriez dû tirer la leçon de cet échec !
La personnalité morale de la société était une bien faible protection contre l’avidité des banques. Le patrimoine d’affectation le sera également. Dans son avis, M. Houel le souligne d’ailleurs assez clairement : « Les banques contournent […] la séparation patrimoniale permise par l’EURL ou la déclaration d’insaisissabilité en exigeant des sûretés réelles ou personnelles ».
Les banques ne connaissent que les lois du marché, elles sont sourdes aux incitations et aux imprécations des uns ou des autres. On a pu s’en rendre compte avec la crise boursière !
Ce projet de loi n’apporte pas de réponse claire aux problèmes réels des entrepreneurs individuels et des petites entreprises. Le texte ne contient aucune obligation à la charge des banques et, de surcroît, il ne mettra pas fin à leurs pratiques actuelles.
Une mesure plus efficace aurait consisté à prévoir que les banques puissent d’abord se retourner contre OSEO, avant de poursuivre l’entrepreneur individuel, ou encore à interdire aux banques de demander des garanties sur le patrimoine personnel des entrepreneurs individuels et d’en faire la condition sine qua non de l’obtention d’un prêt.
Nous aurions aussi pu exiger des établissements de crédit qu’ils cessent de faire pression sur les entrepreneurs pour que ceux-ci renoncent aux protections instituées par la loi elle-même, notamment la déclaration d’insaisissabilité de leur résidence principale, sous peine de se voir refusé l’accès au crédit.
En définitive, après ce projet, les entrepreneurs individuels n’auront, pas plus qu’actuellement, les moyens d’accéder au financement sans mettre en péril les biens nécessaires à leurs familles.
En outre, en cas de faillite, ils seront toujours victimes des établissements bancaires puisque ces derniers se retourneront en premier lieu contre l’entrepreneur avant même d’agiter les établissements de garantie et de caution mutuelle. Sur ce point encore, le projet de loi n’apporte pas de modification au système actuel.
Les dispositifs de garantie complémentaire existants garantissent les seuls risques des établissements financiers et non ceux de l’entrepreneur. Les établissements de garantie et de caution comme OSEO continueront à ne payer que le solde dû aux banques après que celles-ci auront fait jouer toutes les sûretés dont elles disposent contre l’entrepreneur.
Aujourd’hui, les stipulations des contrats proposés par OSEO encouragent même les banques à continuer cette pratique consistant à réclamer et à actionner des sûretés sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Sur ce point, l’article 6 bis est non pas une remise en question du système, mais simplement une redistribution des risques finaux entre les banques et OSEO ou entre les banques elles-mêmes. L’entrepreneur individuel est exclu de ce nouveau partage dont il ne tire aucun bénéfice.
Le projet de loi qui nous est soumis manque de crédibilité pour répondre aux problèmes réels des entrepreneurs individuels.
En revanche, de nombreux ajouts ont été insérés dans le texte au fil des débats. Il en résulte un texte pour le moins fourre-tout, qui comporte des cavaliers législatifs, émanant tant du Gouvernement que des parlementaires. On s’en convaincra en relisant, par exemple, l’article 9 qui concerne une modification du régime de la revente des médicaments à l’étranger, ou l’article 8 qui porte sur le nouvel indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, lequel n’a qu’un rapport ténu avec l’objet du projet de loi.
Quant à l’article 6 bis A, qui entend réviser les statuts d’OSEO, il n’apporte pas les réponses nécessaires, mais, surtout, il aurait dû être examiné dans le cadre du projet de loi de régulation bancaire et financière. Cet article n’a pas sa place dans le texte que nous examinons aujourd’hui puisqu’il ne règle pas les problèmes bancaires.
En conclusion, on ne peut que se demander si, une fois encore, le Gouvernement, sous le prétexte de libérer le travail et d’agir dans l’urgence, n’est pas en train de créer un statut qui ne supportera pas l’épreuve de la pratique.
À cet égard, le statut d’auto-entrepreneur est significatif. En mars dernier, avec l’affaire des sans-papiers des jardins de Bagatelle, ce statut a encore montré ses dérives et ses limites.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez minimisé l’ampleur des abus qui, selon vous, ternissent un peu l’image d’un dispositif largement plébiscité. Or ce système permet des dérives absolument inadmissibles !
Le statut d’auto-entrepreneur est devenu pour certains patrons le moyen de contourner les garanties du salariat et de faire l’économie des cotisations patronales. On ne peut que se demander si le statut d’entrepreneur individuel aura le même destin, ce que je n’espère pas, bien évidemment.
La question de la modification, dans ce texte, du statut d’auto-entrepreneur ne peut être réglée ainsi. Beaucoup de points sont à revoir concernant l’utilisation de ce statut.
Nous ne voterons pas ce texte.