Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est, il faut bien le reconnaître, un texte paradoxal, et ce à plus d’un titre.
D’abord, le calendrier qui nous est imposé pour son examen n’est pas acceptable, d’autant que, une fois de plus, la procédure accélérée a été engagée, une précipitation sans doute commandée, monsieur le secrétaire d'État, par la proximité des élections régionales et par l’empressement d’un gouvernement soucieux d’apaiser les artisans confrontés à ce qu’ils dénoncent comme une concurrence déloyale des auto-entrepreneurs.
Le calendrier est d’autant plus insupportable que le texte lui-même renvoie à plusieurs décennies de débats et d’évolutions législatives.
Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que de vous voir proposer dans la précipitation un texte dont l’objectif est de mettre un terme à un principe juridique, vous l’avez dit vous-même, « biséculaire », mais des plus injustes !
De ce premier paradoxe en découle logiquement un second.
La création de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est une initiative tout à fait louable, à laquelle on ne peut que souscrire. Il s’agit en effet de mettre fin au principe d’unicité du patrimoine des entrepreneurs en nom propre. Ce principe, énoncé à l’article 2284 du code civil, a en effet pour conséquence de rendre l’entrepreneur responsable sur l’ensemble de ses biens, sur son patrimoine personnel.
Ce principe a parfois des conséquences douloureuses et dramatiques quand une entreprise est mise en liquidation. Comme nombre d’entre nous l’ont évoqué, beaucoup d’entrepreneurs, beaucoup de petits artisans ont ainsi perdu tous leurs biens. À travers eux, c’est aussi tout leur entourage qui est affecté par cette situation injuste et traumatisante. On ne peut donc que se réjouir de voir le législateur tenter de remédier à cela.
Pour autant, au-delà de l’ambition affichée, ce projet de loi contient des dispositions qu’il nous faut examiner avec la plus grande attention. La discussion doit donc porter non pas seulement sur un constat que nous partageons tous, mais surtout sur les moyens à mettre en œuvre pour remédier au problème.
Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui seraient pour la création du patrimoine professionnel et, de l’autre, ceux qui seraient insensibles aux conséquences du maintien de l’unicité. C’est là un point important. En effet, si l’on peut partager, au fond, les préoccupations qui ont inspiré ce projet de loi, on n’est pas nécessairement obligé de souscrire à toutes les dispositions qu’il contient.
Je crois devoir apporter ces précisions pour éclairer le plus largement possible mon sentiment sur ce texte.
Ce projet de loi part d’un présupposé qu’il faut interroger.
Vous voulez, monsieur le secrétaire d’État, aider les Français à créer et à pérenniser leur entreprise. L’entreprise individuelle serait donc, dans cette perspective, la solution idoine.
Il est vrai que nous assistons à une explosion du nombre d’entrepreneurs en France. Quelque trois millions de Français ont créé leur entreprise ; près de la moitié l’ont fait en nom propre ; désormais, on dénombre près de 400 000 auto-entrepreneurs. Diverses mesures ont été adoptées pour faciliter la création d’entreprises, et la création de l’EIRL doit venir, en quelque sorte, parachever ce mouvement.
Il me semble pourtant que la première question qu’il faudrait se poser avant de légiférer est celle de l’utilité des dispositifs existants. Or, et c’est un autre paradoxe de ce texte, il est certes révolutionnaire, comme ont pu le dire certains, mais il est aussi inutile !
Ce texte est révolutionnaire parce qu’il met fin à l’unicité du patrimoine pour les entrepreneurs en nom propre, mais il est inutile parce que les moyens juridiques pour protéger le patrimoine personnel existent déjà. Je pense notamment, comme beaucoup d’orateurs l’ont dit avant moi, à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, créée en 1985, …