Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 7 février 2006 à 10h00
Questions orales — Désamiantage et démantèlement du clemenceau

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Madame la ministre, je souhaite interroger le Gouvernement au sujet du chantier de désamiantage et de démantèlement de l'ex-Clemenceau.

Compte tenu des divers et trop nombreux aléas juridiques que rencontre ce chantier, je ne peux, en premier lieu, que vous interroger. Combien faudra-t-il de missions, de rapports parlementaires, de drames humains chaque jour révélés par les médias, pour que le Gouvernement prenne la pleine dimension de la catastrophe de l'amiante et de ses conséquences ?

Il nous apparaît tout à fait incompréhensible que le ministère de la défense dont vous avez la charge, condamné plus de 500 fois pour fautes inexcusables vis-à-vis de salariés ayant été exposés sur les chantiers de la défense par les juridictions des affaires de sécurité sociale, n'en tire pas tous les enseignements.

Malheureusement à ce jour, vous n'avez pu apporter aucune des garanties essentielles et nécessaires au désamiantage du Clemenceau.

Nous constatons qu'aucun diagnostic amiante n'a été effectué dans les règles d'indépendance indispensables à ce genre de chantier. Au final, nous ne savons pas quelles quantités d'amiante et de matières dangereuses restent à bord du Clemenceau.

Certains experts annoncent des quantités très importantes, de 500 à 1 000 tonnes. Quand bien même le chiffre de 45 tonnes que vous avancez serait exact, cette quantité représente tout de même un risque majeur pour les ouvriers indiens.

Alors que le Clemenceau continue sa route sur les mers, nous constatons qu'aucun plan de retrait amiante, tel que notre législation le prévoit et l'impose, n'a été établi, qu'aucun suivi médical n'a été envisagé pour les travailleurs indiens exposés et ce, dans un pays où aucune législation, l'amiante n'y étant pas interdite, ne les protège des risques encourus lors du désamiantage.

Vous affirmez pourtant, madame la ministre, que ce chantier s'effectuera dans le respect de la réglementation française. Comment, en effet, pourrions-nous croire sérieusement un instant que les ouvriers de la baie d'Alang, recrutés à plus de 1 000 kilomètres de là, payés à la journée et qui acceptent ces travaux dangereux pour tenter d'échapper à la misère la plus totale, bénéficient de protection et de suivis médicaux équivalents aux travailleurs français ?

Nous savons tous que le chantier indien de recyclage des navires est totalement informel, qu'il ne tient sa relative rentabilité que par des salaires extrêmement bas et des conditions de sécurité minimales et non contrôlées même si, comme vous le dites, quelques améliorations ont vu le jour dans la dernière période à la suite des interventions des syndicats indiens et de la Cour suprême indienne.

Ce constat n'est, du reste, pas une offense exclusive à l'État indien, et je reprends l'avant-propos, puisque la société SDI chargée des travaux en Inde, n'est autre que la filiale du géant de l'acier allemand Thyssen Group.

Madame la ministre, l'affaire du Clemenceau en annonce beaucoup d'autres. Pendant des dizaines d'années, la construction navale a utilisé des milliers de tonnes d'amiante. Toute la flotte doit être à l'image du Clemenceau.

Nous connaissons aujourd'hui, après avoir tant tardé à interdire l'utilisation de l'amiante, le prix à payer en maladies et en vies humaines : 3 000 morts par an, 100 000 annoncés jusqu'aux années 2025.

C'est la raison pour laquelle les associations de défense des victimes, de sauvegarde de l'environnement vous alertent avec autant d'insistance. Elles sont animées, je pense là aux veuves de Dunkerque, par le « plus jamais cela » et se sentent solidaires des travailleurs indiens.

Ne serait-il pas plus judicieux, madame la ministre, pour affronter cette situation lourde et difficile, de s'orienter, comme elles le proposent, vers un projet industriel, innovant, français ou européen pour le traitement et le recyclage de l'ensemble des navires marchands ou nationaux, mais aussi également des voitures motrices ou citernes de la SNCF et de la RATP ?

Ne sommes-nous pas, dans notre pays et en Europe, en mesure de réunir toutes les conditions pour créer une véritable filière industrielle susceptible de répondre aux exigences de sécurité des travailleurs et de l'environnement ?

Nous disposons, même s'il convient de les améliorer encore, de l'expertise, des compétences, des dispositifs de prévention et des mesures de contrôle médical et technique qui permettraient de répondre aux problèmes posés par les très nombreux chantiers de désamiantage à venir.

Alors que la Commission européenne rappelle, par son commissaire à l'environnement, que nous sommes tenus par la directive européenne sur le transport des matières dangereuses intégrant la convention de Bâle, qui précise qu'il ne pourrait y avoir de dérogation militaire, alors que la France est passible de sanctions pour violation des lois communautaires, comment l'État français peut-il s'obstiner dans cette voie catastrophique ?

Avant que la Cour suprême indienne ne rende sa réponse, le 13 février prochaine, sur l'accueil du Clemenceau dans la baie d'Alang, pourquoi, madame la ministre, ne prenez-vous pas la décision de rapatrier le Clemenceau ?

Enfin, je vous demande solennellement de bien vouloir nous éclairer sur les dispositions concrètes que le Gouvernement envisage de prendre pour assurer la pleine sécurité de désamiantage et du démantèlement du Clemenceau dans le respect intégral des règles européennes et internationales de protection des ouvriers et de l'environnement.

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