Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 6 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Défense

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le contexte international est lourd de menaces pour notre sécurité. Certes, ces menaces ne sont pas de même nature que celles qui résultaient, jadis, des confrontations dues à la guerre froide. Mais, aujourd'hui, le terrorisme de masse, les conflits qui s'éternisent au Proche-Orient ou en Asie, l'aggravation de la fracture entre le Nord et le Sud nous obligent à analyser le monde avec le souci de mieux définir notre stratégie de sécurité et de défense.

En Irak, ainsi, nous avons l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire !

Les questions de sécurité et de défense n'appellent pas toujours une réponse militaire, même si celle-ci doit rester disponible à la décision politique. Des concepts tels que la prévention et le renseignement sont ainsi prioritaires. La capacité à prévoir les mauvais coups, à anticiper l'essor de la menace apporte une différence significative.

L'acquisition de cette capacité vitale passe par la maîtrise d'un certain nombre de technologies pouvant déboucher sur des outils performants, qu'ils soient spatiaux, de communication ou de renseignement. Il convient d'avoir un ensemble de défense adapté avec le développement des capacités de prévention en matière d'alerte avancée contre les menaces balistiques et de protection dans les domaines nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique.

L'Europe devra se doter de ces mêmes capacités en développant des programmes autour du spatial militaire, élément structurant de la défense européenne.

Or je remarque le niveau insuffisant des crédits consacrés au domaine spatial. Après la forte baisse enregistrée en 2004, dans le projet de budget pour 2005, les crédits dévolus à l'espace militaire ne représentent que 3, 1 % des crédits d'équipement des titres V et VI. Nous voudrions comprendre les raisons de cette situation très compromettante pour l'avenir de notre sécurité.

M. Xavier Pintat, l'un des rapporteurs pour avis, s'en étonne et signale qu'« alors que le rôle croissant des équipements spatiaux dans les opérations militaires ne cesse d'être souligné, on ne peut qu'être frappé par la contraction concomitante du budget spatial militaire français ».

Les crédits consacrés à l'espace ont régressé sur une longue période. Ils se situaient en moyenne à environ 600 millions d'euros courants par an au début des années quatre-vingt-dix et sont revenus autour de 400 millions d'euros par an au cours des dernières armées.

Ce projet de budget fait la part belle aux programmes du passé, aux situations acquises, et ne traduit pas un souci suffisant de l'avenir. Si la recherche et les programmes spatiaux sont maltraités, en revanche, les crédits consacrés au nucléaire continuent d'augmenter.

Actuellement - mais ce n'est pas nouveau - le financement du nucléaire militaire représente 20, 7 % du budget d'équipement des armées. Ce n'est pas négligeable : sur un budget total de 32, 92 milliards d'euros, la France dépensera 3, 14 milliards d'euros pour financer sa dissuasion nucléaire. Cette dépense ne mériterait-elle pas un débat parlementaire approfondi ?

Je veux rassurer tout de suite les « gardiens du temple sacré », s'il en est ici, qui seraient tentés de réfuter aveuglément cette proposition : il ne s'agit pas de remettre en cause notre concept de dissuasion nucléaire, je le dis à l'intention notamment de M. Fréville.

Je le souligne de façon liminaire pour éviter les malentendus, volontaires ou involontaires, car le débat, aujourd'hui, est inexistant : il est purement et simplement confisqué au pays.

Je ne suis pas le seul à condamner cette paralysie de la pensée stratégique : des députés socialistes ont, récemment, réclamé un débat sur le poids du nucléaire militaire en fonction des insuffisances notoires constatées sur le financement d'autres projets nécessaires à notre défense.

Le président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale a osé, en septembre dernier, soulever un coin du voile en préconisant, selon une dépêche de l'AFP que j'ai sous les yeux, « une pause de vingt-cinq ans dans le nucléaire militaire à partir de 2015 environ, jugeant que la France ne pourrait pas supporter longtemps le coût de la recherche dans ce domaine ». Avant d'être fermement rappelé à l'ordre, il avait cependant eu le temps de déclarer qu'il craignait « que nous ne puissions pas supporter en même temps le coût du nucléaire et celui de l'entretien de notre armée ».

Le chef d'état-major des armées, le général Henri Bentegeat, a, lui aussi, droit à une opinion sur la question, puisqu'il a déclaré qu'il était nécessaire et légitime de savoir si notre doctrine était adaptée à la réalité des menaces et si l'effort financier consenti en faveur des forces nucléaires était dimensionné au bon niveau.

Si un débat approfondi sur la dissuasion ne semble pas faire peur aux militaires, pourquoi faudrait-il que les politiques restent, eux, muets et disciplinés ?

Pourquoi les crédits consacrés au nucléaire restent-ils à un niveau si élevé ? La « stricte suffisance » nous oblige-t-elle à moderniser encore et encore notre panoplie nucléaire et à poursuivre les dépenses ? Avons-nous changé de doctrine et, en conséquence, sommes-nous à la recherche d'armes nouvelles ? On m'objectera que la part du nucléaire dans les titres V et VI était plus élevée il y a quelques années.

Parlons chiffres : en 1990, la part du nucléaire était de 31, 7 %. Il est vrai aussi qu'à l'époque la « guerre froide » était encore toute chaude ! Dès 1995, cette part est tombée à 21, 9 % pour, en 2000, être ramenée à 19 %. Or, en 2005, le mouvement reste à la hausse, avec 20, 7 %.

Il n'est pas question de « baisser la garde ». Nous savons tout aussi bien que quiconque ici que la prolifération des armes de destruction massive, notamment nucléaires, reste un problème majeur sur la scène internationale. Ce risque ne saurait être négligé.

L'affaiblissement des instruments juridiques internationaux de désarmement est, dans le même temps, un réel motif d'inquiétude. L'attitude européenne face à la situation nucléaire iranienne constitue une démarche très positive qu'il convient d'encourager.

Quelle est la meilleure utilisation des crédits que l'effort des Français met à la disposition de la défense ? Je crains sincèrement que notre effort de défense ne soit par trop dépendant du poids financier de l'armement nucléaire.

Madame la ministre, en cinq minutes, il est impossible d'aborder sérieusement l'ensemble des questions soulevées par cette problématique. Voilà pourquoi, d'ailleurs, nous sommes hostiles à cette forme de débat tronqué qui nous est imposée. Pour une fois, ce n'est pas un reproche qui s'adresse à vous. J'ai simplement voulu vous dire honnêtement qu'il est nécessaire de réexaminer les dépenses de défense de la France à la lumière du débat stratégique qu'il convient d'ouvrir sans tarder.

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