Intervention de Michel Charasse

Réunion du 3 décembre 2008 à 15h00
Loi de finances pour 2009 — Compte spécial : prêts à des états étrangers

Photo de Michel CharasseMichel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Madame le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’aide publique au développement baisse sensiblement en part du revenu national brut, le RNB, depuis deux ans et les perspectives pour 2009 demeurent incertaines.

Malheureusement, la France ne fait pas exception à cette tendance internationale, avec une aide de 0, 38 % du RNB en 2007 et 0, 37 % prévus en 2008, soit 7, 3 milliards d’euros, hors taxe sur les billets d’avion.

Comme chaque année, il est annoncé une forte augmentation de l’effort d’aide publique au développement, l’APD, pour l’année suivante – près de 2, 3 milliards d’euros de plus pour la France en 2009 –, mais je doute que nous y arrivions, car les aléas pesant sur les annulations de dettes sont élevés.

Même si la réalité est plus complexe, les pays pauvres ont le sentiment de « faire les frais » de la crise économique et financière, quand les nations développées sont si promptes à recapitaliser leurs banques et à garantir le crédit interbancaire.

Certes, le Président de la République a assuré samedi dernier encore, le 29 novembre, à Doha que l’Union européenne respecterait sa promesse de consacrer 0, 7 % de son RNB à l’aide en 2015. Mais nous devrons fournir un effort énorme à partir de 2010 pour « tenir le rythme », alors que la programmation triennale des finances publiques françaises jusqu’en 2011 ne prévoit que la stabilité de l’aide en euros constants, du moins sur le plan budgétaire.

Nous savons, d’ores et déjà, que tous les objectifs du Millénaire ne pourront malheureusement pas être réalisés partout, en dépit de réels progrès accomplis dans plusieurs domaines : réduction de la mortalité infantile, traitement des pandémies ou éducation primaire.

Les chiffres sont importants, car ils ont notamment trait à la dimension d’engagement politique de l’aide publique au développement, à laquelle le Sénat a toujours été très attaché, mais ils ne peuvent résumer à eux seuls la finalité de l’aide. Dans la période de fortes tensions budgétaires que nous connaissons, il n’y a plus vraiment de domaine sanctuarisé. L’essentiel est donc d’assurer avant tout la lisibilité et l’efficacité de notre aide, et de mobiliser de nombreux acteurs sur des projets précis et aux effets mesurables.

De ce point de vue, la récente évaluation par les pairs conduite sous l’égide de l’OCDE a montré que notre système était encore trop complexe et compartimenté – nous le disons depuis des années, mais ça bouge peu – bien que je relève cependant une vraie prise de conscience, qui se traduit par des réformes structurantes, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Sans revenir sur les détails, certaines orientations sont particulièrement bienvenues : redéfinition de la zone de solidarité prioritaire, la ZSP, recentrage de la Direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, pilotage plus « pointu » et vigilant des opérateurs, fusion des services de coopération et d’action culturelle, les SCAC, et des instituts culturels, volonté de mobiliser de nouvelles ressources et de nouveaux acteurs.

L’État ne peut pas tout faire lui-même, et il doit aussi, par sa force d’entraînement et son rôle prescripteur, renforcer l’effet de levier de ses concours d’APD.

Cette recherche de l’efficacité est d’ailleurs cohérente avec les principes de la déclaration de Paris de mars 2005 et se traduit dans les nouveaux objectifs et indicateurs du programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », qui sont pertinents et qui restituent beaucoup mieux les dimensions de l’aide.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser la stratégie et les moyens de votre initiative « Cap 8 », qui a l’ambition de renouveler notre coopération avec l’Afrique, car je n’ai pas très bien compris les contours de cette affaire ?

Simplification et lisibilité de la stratégie de l’État, recours à des opérateurs, renforcement de l’AFD comme opérateur privilégié sur tous les secteurs relevant des objectifs du Millénaire, différenciation de l’aide en prenant également en compte nos intérêts politiques, économiques et migratoires : tout cela est légitime si les opérateurs n’agissent pas en « électrons libres », s’ils ne reproduisent pas à leur tour les gaspillages et les doublons, et si leurs initiatives et leurs projets sont parfaitement cohérents avec les priorités de l’action extérieure de l’État. La contractualisation des objectifs et des moyens est donc un préalable nécessaire.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous décrire rapidement les contours et les modalités de création du futur opérateur sur la mobilité, qui doit regrouper, notamment, Egide et France coopération internationale, FCI ?

La RGPP doit également aboutir à un meilleur suivi de nos contributions aux organismes et aux fonds multilatéraux, qui peuvent être appréhendés comme de quasi-opérateurs. Nous prévoyons, avec mon collègue rapporteur de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, et à la demande de ce dernier, d’effectuer un contrôle conjoint sur ce thème dans les prochains mois.

Ce contrôle est d’autant plus nécessaire que le canal multilatéral, mystérieux et invisible pour les populations, exerce une contrainte croissante sur notre budget d’APD, au détriment de l’aide-projet bilatérale, visible, elle, dont les crédits de paiement diminueraient de près de 22 % en 2009. Je regrette fortement cette inflexion, car cette aide est sans doute la plus perceptible pour les populations. Je vous proposerai, à cet égard, un amendement de la commission des finances visant à augmenter significativement les subventions-projets à l’AFD.

Cette emprise de l’aide multilatérale est également illustrée par le Fonds européen de développement, le FED, dont la dotation budgétaire en 2009 est probablement sous-budgétisée – c’est une habitude –, comme en 2008.

Les décaissements du Fonds progressent indéniablement. Mais quiconque se rend sur le terrain constate plusieurs choses : les progrès sont plus lents que la croissance des effectifs des délégations ; ces délégations sont parfois installées dans un luxe relatif alors que nos propres services vivent chichement et font de plus en plus attention ; les procédures sont complexes malgré la déconcentration ; les décaissements sont facilités par les dotations multilatérales et par l’aide budgétaire plutôt que par l’aide-projet.

Cela n’a pas empêché d’adopter un dixième FED de 22, 7 milliards d’euros, soit près de 80 % de plus que le précédent ! Doit-on alors s’attendre à ce que les versements du dixième FED se poursuivent jusqu’en 2020 ?

La lourdeur et l’inertie de ce « paquebot » qui mobilise le quart des crédits budgétaires sont inquiétantes, et je souhaite connaître l’état d’avancement des négociations avec nos partenaires européens sur sa budgétisation.

Je relève, cependant, que l’Europe est capable d’agir rapidement, comme l’illustre le récent accord sur le financement de la facilité alimentaire, pour 1 milliard d’euros supplémentaire sur trois ans.

Il reste que nos débats et considérations budgétaires sur la mission « Aide publique au développement » ne concernent que le tiers de notre effort global d’aide prévu en 2009.

Je ne reviens pas sur les raisons de cette inévitable discordance entre les crédits de la mission, les crédits budgétaires et le montant notifié à l’OCDE. Je persiste, néanmoins, à regretter la débudgétisation intégrale des contrats de désendettement-développement et la quasi-contraction de dépenses et de recettes que constitue le « recyclage » du résultat de l’AFD. Je vous présenterai un amendement de la commission des finances qui a pour objet de mettre fin à cette pratique contraire à la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, et dénoncée régulièrement par la Cour des comptes.

Je déplore, également, le maintien d’une opacité, que je finis par croire délibérée, sur la comptabilisation de l’écolage et de l’aide aux réfugiés en APD.

Le document de politique transversale, détaillé et éclairant sur bien des points, est quasiment muet sur ce sujet et les ministères ne prennent plus la peine de répondre à nos questions. Le syndrome de la « boîte noire » n’a pas disparu. Quelles initiatives, monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il prendre pour améliorer l’information du Parlement en la matière ?

Cela nous conduit aussi à nous interroger sur les perspectives de renégociation des critères de notification à l’OCDE, afin d’inclure certaines dépenses, qui sont des dépenses réelles d’aide au développement, et d’en exclure d’autres, qui n’ont rien à voir avec cette dernière.

Pour terminer, je me livrerai à quelques observations sur la politique de développement solidaire. J’espère que je ne ferai pas perdre trop de temps à M. Hortefeux, qui a un conseil restreint à l’Élysée dans peu de temps.

La politique de développement solidaire est encore modeste en termes de crédits, mais elle n’en a pas moins de grandes ambitions. Le rôle de l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations, l’ANAEM, et les cofinancements de projets prennent progressivement de l’ampleur, en particulier dans des pays pilotes tels que le Sénégal ou le Mali.

Il importe donc que ces dispositifs soient intégrés dans les documents-cadres de partenariat et bien coordonnés avec les ambassades à l’échelon local.

Il me semble aussi qu’avec 7 000 euros – M. le ministre en a parlé – le plafond de l’aide au projet individuel financée par l’ANAEM est sans doute insuffisant pour amorcer la création d’entreprises dans les pays partenaires. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’une moyenne. Il conviendrait, sans doute, de relever à 15 000 euros ou à 20 000 euros ce montant, en posant des conditions strictes quant au sérieux et à la pérennité du projet présenté.

Enfin, les deux instruments de mobilisation de l’épargne des migrants, le compte épargne codéveloppement et le livret d’épargne codéveloppement, démarrent très lentement. M. le ministre l’a souligné à cette tribune il y a quelques instants.

Seules deux conventions ont été signées, et la Banque Postale ne distribue pas ces produits alors qu’elle devrait manifestement figurer parmi les établissements privilégiés.

Il y a pour l’heure peu ou pas de souscripteurs. Il faudra donc s’interroger sur l’opportunité du maintien de ces dispositifs s’ils ne parviennent pas réellement à « décoller ». J’ai noté, évidemment, avec intérêt la confirmation de M. le ministre sur le taux de consommation de ces crédits. Au mois de septembre, nous étions plus près de 10 % ou de 15 % que de 80 %. Ces crédits de mission ne sont pas d’une ampleur considérable, et ce serait véritablement perdre du temps que de les traîner pendant trois ou quatre ans avant de les exécuter.

Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de deux amendements que je vous présenterai tout à l’heure, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, de voter les crédits de cette mission.

Cette année, sur décision de la commission des finances, le traditionnel rapport sur l’aide publique au développement a été scindé en deux parties. La deuxième partie, qui concerne les comptes spéciaux du Trésor, est hors budget général, et son examen a été confié à mon collègue et ami M. Edmond Hervé, ce dont je me réjouis.

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