…comme la défense de la francophonie. Je conçois bien qu’elle favorise le déploiement de l’influence française aussi bien dans les pays en développement que dans les grandes institutions internationales, mais j’ai plus de mal à comprendre son positionnement au sein de la stratégie d’aide au développement stricto sensu menée par la France. Lequel des quatre objectifs stratégiques de l’APD sert-elle ?
Il est vrai que dans la nomenclature de l’aide publique au développement, l’intervention d’urgence sans autre but qu’humanitaire voisine avec des actions affichant clairement l’objectif de « promouvoir l’expertise française dans le domaine du développement durable et de la gouvernance économique et financière », ou encore celui de « promouvoir les priorités stratégiques françaises au sein des banques et des fonds multilatéraux ».
Il est vrai aussi que l’aide publique au développement se décline en dons et en prêts, multilatéraux et bilatéraux, avec des évolutions et des revirements de doctrine ces dernières décennies dans la communauté internationale. On pourrait regretter que les engagements à tenir par la France dans l’abondement des fonds multilatéraux fassent d’autant diminuer, en contexte de pénurie, la part de l’aide bilatérale, que l’on souhaiterait plus importante dans l’ensemble de l’aide envisagée sur la période 2009-2011.
Mais puisque l’aide est en principe conçue pour le développement des pays qui en ont besoin plutôt que pour le rayonnement des pays bailleurs ou donateurs, on devrait pouvoir tout à la fois concevoir des solidarités réellement internationales au service des territoires les plus nécessiteux, et des dispositifs de contrôle de l’usage et de l’efficacité de cette aide permettant à chacun des contributeurs de s’exprimer et de «rayonner », sans divergence stratégique.
Ou alors, plutôt que de défendre la francophonie pour elle-même, ne serait-il pas judicieux que la France se batte davantage pour renforcer sa position dans les instances décisionnelles multilatérales, afin de peser sur toute la chaîne de l’aide – orientation, suivi, contrôle ?
De même, pas plus les prêts que les dons ne me paraissent, en soi, de meilleurs outils d’aide ou de développement. La simple décence voudrait que l’on ne ré-endette pas un pays de façon insoutenable, que l’on n’impose pas des conditions inaccessibles à des États dont la population meurt de faim et que l’on sache discerner le moment et les conditions de l’effet levier optimal d’une aide-projet ou d’une subvention pour un pays qui en a besoin.
Enfin, la géographie de l’aide publique au développement française est vaste, répartie sur tous les continents, mais concentrée sur l’Afrique pour les deux tiers de cette aide, ce qui s’explique autant par l’histoire de ce continent que par la gravité des problèmes qu’il rencontre.
Mais faut-il qu’une histoire ou une langue commune soient les conditions – ça l’est de fait – des partenariats bilatéraux entre les pays développés et les autres, plutôt que la prise en compte, à l’échelle mondiale, de l’inégale importance des besoins ici et là, ou la reconnaissance, à l’échelle régionale, d’intérêts mutuels nouveaux, dans « un monde qui bouge » ?
Ainsi, curieusement, l’outre-mer français est également présent dans la géographie de l’aide publique au développement, notamment à travers l’action déléguée de l’Agence française de développement, l’AFD.
N’y aurait-il pas un intérêt, dès lors, à ce que des liens plus ouverts et plus ambitieux soient tissés entre ces territoires français excentrés et leurs États voisins, dans les océans Indien et Pacifique, dans la Caraïbe, et même dans l’Atlantique Nord, à travers des accords commerciaux, culturels, scientifiques, économiques moins contraints ? Ces derniers serviraient tout autant le développement de ces États que celui des territoires français ultramarins : une forme de codéveloppement sud-sud, en somme, facilitant les échanges commerciaux, réduisant certains coûts de transport de denrées et de matières premières. Je pense, par exemple, au carburant : en Guyane française, le litre de carburant, après avoir baissé de 30 centimes d’euro, coûte actuellement 1, 47 euro ; de l’autre côté du fleuve Maroni, au Suriname, il ne coûte que 0, 77 euro !
Quelles articulations sont-elles envisagées entre l’action « Insertion économique et coopération régionales » du budget 2009 de la mission « Outre-mer » et le programme « Développement solidaire et migrations » de la mission « Aide publique au développement » ? L’Union européenne va, semble-t-il, conclure des accords de partenariat économique, notamment dans l’espace « Caraïbes » et dans l’espace «océan Indien » au cours de l’année 2009, si d’autres urgences ne viennent pas entre-temps changer la donne…
Comme vous le constatez, madame, monsieur les secrétaires d’État, je n’ai guère que des interrogations face au budget actuel de l’aide publique au développement, une politique porteuse de tant d’enjeux pour l’équilibre mondial et tellement mise à mal.
Il est dramatique que les pays développés ne tiennent pas les engagements qu’ils ont pris à l’égard de ceux du sud, surtout quand cela va mal pour tout le monde. Il est d’autant plus inquiétant de penser que même les sommes inscrites dans le budget ne sont pas garanties, puisqu’elles peuvent faire l’objet de décrets d’annulation en cours d’année.
Mais c’est peut-être justement parce que l’heure me semble grave que, au-delà de notre inquiétude devant la baisse générale des crédits de l’aide mondiale, au-delà des appréhensions concernant les impacts encore non mesurables de la crise économique et financière des pays développés sur l’évolution économique et sociale des pays du sud, nous devrions nous interroger sur le sens même de notre politique d’aide au développement, sa destination, ses finalités.
Peut-être qu’après avoir retrouvé ou affirmé les valeurs fondamentales, non négociables et non complaisantes de la vraie solidarité, nous aurons moins à débattre des montants et des affectations des crédits. En l’état, tel qu’il est présenté, je ne peux que voter contre ce budget !