Intervention de Robert Hue

Réunion du 6 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Défense

Photo de Robert HueRobert Hue :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons le budget de la défense pour 2005 dans un contexte international fragile.

Vous comprendrez, madame la ministre, que j'évoque, à l'occasion de ce débat - comme d'autres l'ont fait, d'ailleurs -, la crise ivoirienne qui, comme j'ai eu l'occasion de le dire ici, est sans doute l'une des plus graves dans lesquelles la France et les militaires français se sont trouvés impliqués directement.

Permettez-moi encore une fois, au nom du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, de rendre hommage aux victimes françaises, à nos soldats tués et aux victimes ivoiriennes, à leurs familles, à nos compatriotes réfugiés qui vivent des heures extrêmement difficiles.

Cette brusque dégradation de la situation en Côte d'Ivoire illustre la fragilité du processus de paix. La situation est délicate et ne peut se résumer, pardonnez-moi, à une opération de désinformation ou de détournement de l'attention des uns ou des autres. Plus le temps passe, plus les rancoeurs s'accumulent et risquent de laisser des traces profondes.

La polémique que se livrent votre ministère et les autorités ivoiriennes sur le bilan et les circonstances des violences s'est déplacée sur un terrain médiatique. Le président de la fédération internationale des ligues des droits de l'homme ne vient-il pas de se montrer à nouveau extrêmement sévère sur le comportement des soldats français ?

Alors que le sang a coulé, il faut repartir sur de nouvelles bases et recréer les conditions du dialogue et d'un retour à la confiance. Nous avons assez perdu de temps. Comme je l'ai demandé à votre collègue Michel Barnier, n'attendons plus pour avoir un grand débat sur ce que doivent être les orientations des relations entre la France et les peuples africains et les conditions de la présence française en Afrique.

Examiner pour 2005 un budget comme celui de la défense, c'est examiner obligatoirement la place et le rôle de notre pays dans le monde ; c'est le faire à un moment où la situation internationale est extrêmement tendue et source d'inquiétude dans de nombreux endroits de la planète. C'est aussi nécessairement réfléchir au rang de la France dans un contexte où la communauté internationale, au travers de l'ONU, voit son autorité trop souvent mise à mal.

La question qui nous est donc posée au moment d'aborder l'examen de ce budget devrait être celle de l'originalité et de la spécificité française, non inféodée à l'hégémonie américaine et porteuse de cette volonté au sein de l'Europe.

Rappelons que les forces françaises sont intervenues et interviennent encore sous mandat de la communauté internationale en Afghanistan, dans les Balkans, en Haïti, et plus récemment et plus tragiquement encore en Côte d'Ivoire. Elles sont également présentes par le biais d'accord bilatéraux dans de nombreux autre pays africains.

Nul ne peut dire comment va évoluer la situation au Moyen-Orient et dans d'autres pays d'Afrique. Ces événements témoignent de façon gravissime de l'importance et du rôle particulier de nos militaires pour la défense de la paix et la protection de nos concitoyens.

Ce contexte éclaire particulièrement la question des OPEX. Jusqu'à présent, elles n'étaient jamais inscrites en loi de finances. Cette année, le projet de budget prévoit leur financement à hauteur de 100 millions d'euros, inscrits au titre III. Nous nous en félicitons. Cependant, madame la ministre, alors que vous souhaitez porter cette enveloppe à 300 millions d'euros en loi de finances initiale, le montant prévisionnel des OPEX pour 2005 est évalué à 600 millions d'euros. Le surcoût provoqué par l'aggravation de la crise en Côte d'Ivoire est estimé entre 6 millions et 7 millions d'euros pour les six dernières semaines de l'année. Quelle que soit, d'ailleurs, l'évolution du dispositif militaire en Côte d'Ivoire - maintien et/ou renforcement de notre implication -, cela accroîtrait de toute façon le coût des OPEX.

Au demeurant, tout cela n'est qu'évaluation, car ces missions sont par nature imprévisibles. Cependant, la question est de savoir comment redéployer les crédits afin de couvrir ces dépenses supplémentaires, soit environ un peu plus de 500 millions d'euros.

Tout doit être mis en oeuvre pour assurer le rapatriement de nos ressortissants de Côte d'Ivoire. En effet, des milliers de nos compatriotes ont quitté ce pays sous la menace et l'hostilité : on parle ainsi de plusieurs milliers de réfugiés dans les pays limitrophes.

J'en viens au budget de la défense lui-même, qui est certes en hausse, mais, chacun le sait, un budget qui augmente n'est pas forcement un bon budget : tout est question de choix. Or, nous venons de le voir, les crédits affectés à la défense ne répondent pas aux enjeux internationaux et ne couvrent pas les besoins de la représentation de la France à l'étranger. L'image de la France risque de s'en trouver encore détériorée.

Pourtant, s'agissant du cas précis de la Côte d'Ivoire, la tâche reste immense : malgré une certaine évolution, la situation demeure tendue et les soldats français subissent de dures épreuves. Il ne fait aucun doute, madame la ministre, que ce projet de budget n'est pas sans conséquence sur leur moral : créations de postes gelées sans explication, prévisions de recrutement inexistantes, différences de traitement entre les différentes armes, OPEX non ou mal remboursées. Le malaise est profond.

A cela, il faut ajouter l'insertion économique de nos compatriotes à l'étranger. Les 100 millions d'euros prévus pour le financement des OPEX n'y suffiront pas !

Il est vrai que, si l'on s'en tient au discours qu'il a prononcé le 16 novembre dernier au Palais-Bourbon, le Premier ministre compte sur le dévouement des parlementaires qui reçoivent des réfugiés dans leur département...

Je ne doute pas que vous estimiez, madame la ministre, que la représentation française et la protection de nos compatriotes méritent d'autres moyens.

Avant de conclure, je veux, à l'occasion de ce débat, réitérer la demande que j'ai adressée à la Haute Assemblée, dès le 1er décembre dernier, en faveur de la création d'une mission d'information parlementaire sur la situation en Côte d'Ivoire.

Madame la ministre, votre projet de budget suscite de sérieuses interrogations - je viens d'en évoquer quelques-unes - qui touchent, à travers nos armées, à la question majeure de la représentation de la France, en Afrique et dans le monde.

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