Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 10 octobre 2006 à 22h15
Secteur de l'énergie — Discussion générale suite

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précédents intervenants nous l'ont rappelé, nous sommes réunis ce soir pour traiter du secteur de l'énergie dans sa globalité.

En effet, le sujet qui nous occupe ne se limite pas à la privatisation de Gaz de France ou à la transposition d'une directive. Il nous faut l'aborder aussi et surtout sous l'angle de l'avenir énergétique de la France.

Nous le disions déjà il y a un an : il s'agit bien là d'une question essentielle, qui touche à l'avenir de nos entreprises et au quotidien de chaque Français, tant sur le plan environnemental, dans le contexte du réchauffement planétaire et de la fin des énergies fossiles, qu'au regard de la sécurité des approvisionnements.

Pour se convaincre de l'importance de ce qui se trame au niveau géopolitique, il n'est que de prendre l'exemple des manipulations auxquelles se livre actuellement Gazprom vis-à-vis de l'Ukraine.

Ce quotidien, toutefois, s'exprime aussi et surtout dans l'égal accès de tous à l'énergie, dans un contexte de hausse des prix de celle-ci.

Il s'agit donc de traiter cette question avec la plus grande transparence et le plus grand sérieux, comme la Haute Assemblée a coutume de le faire, mais aussi avec sincérité, sans mentir aux Français ni revenir sur la parole donnée. Ayant d'ailleurs constaté l'énergie et l'habileté déployées par M. le rapporteur, dont je salue d'habitude l'honnêteté intellectuelle, j'ai pensé qu'il voulait sans doute se convaincre lui-même ou écarter les doutes qui auraient pu l'effleurer.

J'évoquerai ce point tout à l'heure mais, pour l'heure, je souhaite insister sur la transposition qui nous est proposée à travers ce projet de loi.

Ainsi que M. le rapporteur l'a souligné, nous arrivons à la dernière étape de transposition des directives 2003/54 et 2003/55 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz.

J'ai bien entendu nos collègues nous rappeler que ce processus avait connu une nette accélération en 2000, à l'occasion du sommet de Lisbonne, puis en mars 2002, à Barcelone.

D'aucuns, dont notre rapporteur, se sont plu à préciser que le chef du gouvernement de l'époque était Lionel Jospin. C'est une réalité indiscutable ! Mais pourquoi cacher que Jacques Chirac était déjà Président de la République ? Or celui-ci précisait, lors de ce sommet de Barcelone, qu'« il n'était pas, du point de vue de la France, acceptable d'aller plus loin » quant à l'exposition des familles aux conséquences de l'ouverture du marché de l'énergie.

Il ne s'agit pas pour moi de faire ici preuve de dogmatisme, car je suis convaincu qu'il est parfois utile d'ouvrir le capital d'une entreprise publique quand il y va de l'intérêt national, c'est-à-dire de l'intérêt de l'entreprise et de ses salariés comme de l'intérêt des consommateurs, c'est-à-dire en fait de l'intérêt des Français.

Ceux qui se plaisent à faire des rappels historiques devraient aussi préciser que les socialistes, accompagnés par un Président nommé Jacques Chirac, avaient alors assorti leur position d'un certain nombre de conditions. Et c'est bien là tout l'intérêt d'une politique européenne : que chaque pays puisse faire connaître et valoir ses arguments ainsi que les modalités permettant de parvenir à un accord.

En ce qui concerne notre débat, ces modalités portent un nom : il s'agit de la condition posée d'une directive-cadre des services d'intérêt économique général.

Déjà, à Nice en décembre 2000, puis à Laeken un an plus tard, le Conseil européen prenait acte des « conclusions » de sa réunion en notant que « la Commission examinera l'opportunité de consolider et de préciser dans une directive-cadre les principes relatifs aux services d'intérêt général qui sous-tendent l'article 16 du traité en tenant dûment compte des spécificités des différents secteurs concernés ».

Précisément, lors du Conseil européen de Barcelone, en mars 2002, l'une des conditions demandées par Lionel Jospin, et soutenues par le Président Chirac, était que la Commission européenne « poursuive son examen en vue de consolider et de préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs aux services d'intérêt économique général ».

Les parlementaires européens ont, eux aussi, soutenu cette démarche en demandant en 2001 à la Commission européenne « une analyse détaillée de l'impact de la libéralisation des services d'intérêt général, avant d'engager de nouvelles étapes de libéralisation ».

Les eurodéputés ont en outre demandé au Conseil européen de Laeken de soutenir une proposition de la Commission en vue d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général qui devrait garantir que le public peut disposer de tels services : services de transport, services postaux, télécommunications, éducation, services hospitaliers, services sociaux, élimination des eaux usées et des déchets et approvisionnement en eau et en énergie. C'est bien ce dernier point qui nous intéresse aujourd'hui. Le Parlement européen précisait déjà à l'époque que « ces services doivent être fournis dans des conditions fiables : qualité élevée, disponibilité générale, prix optimal, équilibre social et sécurité d'approvisionnement durable ».

Il ne s'agit pour aucun d'entre nous de demandes incantatoires, mais le texte qui nous est proposé aujourd'hui nous conforte dans notre volonté de voir certains objectifs généraux figurer dans cette directive-cadre préliminaire.

Ainsi, tout d'abord, il importe de réactiver le débat sur la question de savoir si les services publics sont, oui ou non, au coeur du modèle social européen, de démontrer que l'Union européenne n'est pas seulement un marché, comme le résultat d'un certain référendum l'a d'ailleurs montré - continuez sur cette voie et vous verrez comment se construira une Europe politique et sociale ! -, mais qu'elle est sous-tendue par des valeurs universelles : égalité des chances, solidarité, cohésion territoriale.

Il faudrait préciser que les services publics ne doivent pas seulement être encadrés par des directives sectorielles ; il faut aujourd'hui arrêter un principe général pour les définir et les protéger.

Vous l'aurez compris, l'objectif à court terme est de demander au Conseil européen de décembre 2006 qu'il exige de la Commission la rédaction d'une directive-cadre. Plus exactement, il s'agit de demander à la présidence finlandaise de proposer au Conseil européen de décembre une déclaration qui aille au-delà des formules de Laeken, Nice et Barcelone et qui comporte un paragraphe demandant explicitement à la Commission européenne d'élaborer des propositions pour clarifier la notion de services publics.

Voilà, mes chers collègues, les orientations qui devraient être les nôtres au moment où nous allons aborder l'avenir de la filière énergétique et, plus spécifiquement, celle du gaz. En lieu et place de ces garanties, nous n'avons que des interrogations sans réponses, des paroles non tenues, des actes qui vont à l'inverse des discours.

Ainsi, dès novembre 2002, Mme Nicole Fontaine a accepté l'ouverture des marchés, sans préalable et sans directive-cadre, malgré les engagements pris à Barcelone et malgré ses déclarations devant notre assemblée.

Aujourd'hui, M. le ministre de l'économie veut nous tranquilliser sur l'avenir formidable de Gaz de France ; je lui rappellerai simplement qu'avec la même assurance, le même aplomb, il nous garantissait, voilà quelques mois, que Mittal et Arcelor ne fusionneraient jamais !

Enfin - et ce n'est pas le moins ! -, un certain ministre d'État, alors ministre de l'économie, nous a promis que jamais l'État ne réduirait à moins de 70 % sa participation dans un certain grand groupe énergétique, ...

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