Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 10 octobre 2006 à 22h15
Secteur de l'énergie — Discussion générale suite

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie étant un secteur éminemment stratégique, nous sommes aujourd'hui saisis d'un projet de loi qui suscite beaucoup de passions. Celles-ci sont à la mesure des enjeux puisqu'il est question d'indépendance énergétique, de compétitivité économique et de gestion de l'environnement.

En effet, dans un contexte mondial où les ressources énergétiques sont très disputées en raison de l'augmentation constante de la demande, les tensions sur les marchés sont de plus en plus fréquentes.

La dépendance énergétique s'accroît d'autant plus que les fournisseurs s'organisent sous la forme de puissants monopoles.

En 2030, le taux de dépendance énergétique de l'Union européenne approchera les 70 %. S'agissant de notre pays, notre dépendance aux gaz russe et algérien est de plus en plus marquée et atteint aujourd'hui 41 %.

Compte tenu de la recomposition du paysage énergétique européen, et même mondial, nous devons faire des choix politiques et économiques qui permettent à la France de relever les nouveaux défis.

Le présent projet de loi est censé contribuer au renforcement des acteurs français de l'énergie. En effet, en théorie, il vise à concilier la sécurité de l'approvisionnement, la compétitivité de nos entreprises dans un marché libéralisé et le développement durable.

Monsieur le ministre, si nous souscrivons bien évidemment à ces trois objectifs, nous pouvons déplorer l'option choisie pour les atteindre, c'est-à-dire la fusion entre Suez et GDF. Ce choix est d'autant plus malvenu que le Parlement est également confronté à un problème de méthode.

Nous sommes entrés dans le processus législatif alors que les négociations se poursuivent entre la commissaire européenne en charge de la concurrence, le groupe Suez et GDF. Nous légiférerons « à l'aveuglette » parce que la privatisation de GDF, puisque c'est bien de cela dont il s'agit avant tout, est devenue une priorité pour le Gouvernement.

Alors que le débat concerne l'avenir d'un secteur vital, les députés ont examiné le projet de loi sans connaître la lettre de griefs de la Commission européenne, au motif que celle-ci contenait des informations commerciales confidentielles. Nos collègues ont légiféré sans savoir quels actifs seraient cédés par les deux entreprises concernées.

Les remèdes proposés par les deux groupes pour répondre au problème de concurrence commencent tout juste à être rendus publics. On nous demande finalement de signer un chèque en blanc pour les actionnaires, qui décideront in fine des conditions de la fusion.

Par ailleurs, en 2004, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'époque avait pris, au nom du Gouvernement, un engagement et celui-ci est inscrit dans la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. À cet égard, permettez-moi de mentionner à mon tour l'article 24 de cette loi, qui dispose ceci : « Électricité de France et Gaz de France sont transformés en sociétés dont l'Etat détient plus de 70 % du capital. »

Aujourd'hui, ce principe n'a plus de valeur. En effet, si le projet de loi est adopté, la participation de l'État au capital de GDF, qui est actuellement de 80 %, passera mécaniquement à 34 %. Quelle inconstance !

C'est donc dans ces conditions d'opacité et de total revirement que nous devons nous prononcer sur le projet de fusion.

Sur le fond, votre démarche suscite plusieurs interrogations.

Tout d'abord, est-on certain que la fusion entre Suez et GDF réponde à une logique industrielle ? Si la réponse est oui, cette opération permettra-t-elle de diminuer les tarifs et de préserver l'emploi ?

S'agissant des contours de la politique tarifaire, il n'est pas sûr que les consommateurs s'y retrouvent. Bien au contraire !

Depuis un an, les tarifs de gaz des usagers ont augmenté de 23 %. Comme nous le savons, dans le domaine énergétique, le seul jeu de la concurrence entre les grands groupes ne suffit pas à faire baisser les prix.

En effet, l'énergie est fournie au travers d'un réseau. Les choix en matière de production, de transport et de distribution sont donc également déterminants pour le calcul des tarifs.

Ensuite, avant l'arrivée sur le marché de nouveaux entrants, GDF et Suez se retrouveront en situation de monopole et auront donc une totale liberté pour imposer leurs tarifs.

Certes, les usagers pourront choisir entre les tarifs régulés et les tarifs libres. Mais, comme il est difficile d'anticiper l'évolution du marché, un tel choix n'est pas toujours aisé, surtout si les contrats à long terme sont remis en cause.

Comme nous le savons, les entreprises qui ont choisi le marché libre à partir de 2004 sont actuellement confrontées à une flambée des prix : la différence entre le prix réglementé et le prix libre est de 66 %.

Aujourd'hui, la création d'un tarif de retour illustre bien la difficulté de libéraliser totalement le secteur de l'énergie.

Un autre volet ne semble pas faire partie de vos préoccupations : quelles sont les garanties en termes d'emploi ? Les syndicats s'inquiètent légitimement des 20 000 suppressions de postes qui pourraient être la conséquence des cessions d'actifs demandées par Bruxelles. Monsieur le ministre, vous savez qu'un rapport sur ce sujet est en circulation. Nous avons besoin d'être éclairés sur ce point, car l'emploi est bien évidemment une question primordiale pour nous et, je l'espère, pour vous aussi.

Cette fusion représente aussi un risque pour EDF, qui va se retrouver face à un concurrent puissant. Complémentaires depuis 1946, EDF et GDF entreront en concurrence alors que ces entreprises sont toutes deux investies de missions de service public.

Monsieur le ministre, il faut bien le dire, la tentative d'OPA de l'italien Enel vous a donné un bon prétexte pour privatiser GDF. Vous dissimulez cette volonté en invoquant la sécurité de l'approvisionnement. Pourtant, rien dans ce projet de loi ne garantit cet objectif : hier, le danger c'était Enel, demain, ce pourra être Gazprom, qui rêve d'intégrer la production et la distribution de gaz en Europe.

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