Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie cristallise par nature toutes les tensions, toutes les oppositions. Nous en avons eu une éclatante démonstration lors de trois semaines de débats passionnés devant l'Assemblée nationale.
On peut dire en effet que, dans l'énergie, toutes les caractéristiques s'opposent constamment entre elles, qu'il s'agisse du court terme et du long terme, de la sécurité d'approvisionnement et de l'efficacité énergétique, des réseaux interconnectés et des énergies décentralisées, et, bien sûr, des modèles économiques eux-mêmes.
Les conditions d'accès à la ressource gaz, dont il est question aujourd'hui, ne peuvent échapper à cette dialectique. Pour autant, je me garderai de céder à facilité des oppositions, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, ce projet de loi s'inscrit dans un cadre juridique, construit patiemment, par étapes, dont l'objet a toujours été de garantir une ouverture maîtrisée du marché. Ce travail, auquel a participé de manière déterminante notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, ne peut être passé sous silence.
Ensuite, pour avoir étudié plusieurs marchés énergétiques étrangers, je puis affirmer qu'il est fallacieux de faire croire à l'existence d'un modèle optimal d'organisation pour résoudre des questions aussi essentielles que celles qui sont relatives à la volatilité des prix ou aux besoins de capacité. Le dire me semble être un préalable nécessaire à un débat serein sur ce texte.
Que nous est-il demandé aujourd'hui ?
En premier lieu, il s'agit d'achever la transposition en droit interne des règles communautaires présidant à l'ouverture des marchés européens. Ce volet porte sur l'application de directives européennes de 2003 sur l'électricité et le gaz, qui imposent la séparation juridique des gestionnaires de réseaux de distribution et la possibilité, pour tout consommateur qui le souhaite, de faire appel au fournisseur de son choix à partir du 1er juillet 2007.
En second lieu, il s'agit de nous prononcer sur un projet industriel, visant à rendre possible la fusion de Gaz de France et de Suez.
Ces deux sujets appellent de ma part quelques observations.
En ce qui concerne l'ouverture du marché en 2007, la teneur du texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale témoigne d'une volonté largement partagée de prévoir des garde-fous, afin d'éviter d'exposer brutalement le consommateur à des risques de marchés d'autant plus élevés que les marchés concernés, ceux de l'électricité et du gaz, sont encore loin de remplir les conditions de bonne concurrence requises pour que le consommateur soit gagnant.
Ces garde-fous relèvent de plusieurs niveaux de mise en oeuvre, mais l'un des plus pertinents, parce que directement opérationnel, est le niveau local.
L'Assemblée nationale a ainsi prévu que, lorsque le consommateur bénéficie du tarif réglementé de vente d'électricité, le fournisseur exécute sa mission dans le cadre du service public local, organisé par l'autorité concédante de la distribution d'électricité.
En d'autres termes, il y a là la volonté de préserver la possibilité pour le consommateur, qui en fait le choix en toute connaissance de cause, de continuer à bénéficier tout à la fois d'un tarif de service public et de la protection offerte par le contrôle qu'exerce la collectivité concédante sur la façon dont l'opérateur de service public s'acquitte de sa mission.
De même, en ce qui concerne les réseaux de distribution de gaz, le texte qui nous est soumis confirme, dans sa rédaction actuelle, que les communes ou leurs groupements sont propriétaires des ouvrages, à l'instar de ce qui avait déjà été prévu en 2004 pour les lignes de distribution d'électricité.
Le Sénat doit, à son tour, concourir à la mise en place de ces dispositifs de sécurité et de protection, dont il est essentiel de comprendre qu'ils sont la condition sine qua non, sur les plans politique, économique et social, du respect de l'obligation juridique d'ouverture des marchés énergétiques imposée par les directives de 2003.
Seule une approche raisonnable et équilibrée de ce dossier, faisant une place à la fois aux missions d'intérêt général et à la concurrence, nous mettra à l'abri de déconvenues, voire de situations de crise telles qu'ont pu en connaître certains États nord-américains, auxquelles nous exposerait une vision réductrice de nos systèmes énergétiques.
Dans cette perspective, je soutiendrai, au cours de nos débats, quelques propositions d'amendement visant à préserver des fondamentaux, tels que la solidarité territoriale, qui fait, je crois, l'objet d'un consensus parmi nous, et la sécurisation juridique des tarifs administrés, conformément aux orientations ouvertes par nos collègues députés.
En ce qui concerne tout d'abord la solidarité territoriale en matière de desserte électrique, je crois qu'il s'agit là typiquement d'un sujet pour lequel une vision raisonnable et équilibrée est de mise.
En effet, il est crucial de préserver la possibilité, pour nos collectivités territoriales, de contrôler la façon dont le gestionnaire de réseau s'acquitte sur leur territoire de ses obligations de service public, c'est-à-dire, principalement, de l'exploitation, de la maintenance et du développement du réseau.
Il ne faut pas oublier que la qualité physique de l'électricité - la continuité d'alimentation, la tenue de tension - dépend de la façon dont elle est acheminée.
Sur ce point, le contrôle de proximité de la collectivité territoriale est le meilleur gage de l'adaptation du service public aux besoins des citoyens-consommateurs et des entreprises.
Il faut également veiller à préserver une caractéristique essentielle de notre système électrique depuis plus d'un demi-siècle, à savoir l'égalité de traitement, l'égal accès au réseau de distribution de l'ensemble des usagers, qu'ils soient installés sur des territoires urbains ou sur des territoires ruraux, c'est-à-dire dans des zones riches ou dans des zones pauvres.
Cela suppose la mise en oeuvre de certains mécanismes de solidarité territoriale, dont la coopération intercommunale doit être le premier maillon.
Il serait vain, en effet, d'attendre de l'État qu'il prenne en charge cette solidarité si les acteurs locaux, premiers concernés, ne donnaient pas l'exemple de leur capacité à lui donner un contenu concret.
Au moment où nous assistons à l'émergence d'un nouvel ordre électrique et gazier, qui s'accompagne inévitablement de questions et de doutes, il revient au législateur de donner un signe clair de son intention d'encourager plus que jamais, en matière de distribution publique d'électricité, la coopération intercommunale de grande dimension, de niveau départemental. Celle-ci constitue la meilleure synthèse entre la nécessité, pour le service public de la distribution, de préserver une forte proximité avec le consommateur, et l'exigence de cohésion sociale et territoriale, donc de péréquation.
Dans cette perspective, je vous proposerai un amendement tendant à inciter les communes qui n'auraient pas encore franchi ce cap décisif de la coopération électrique à s'y préparer, dans le strict respect, bien entendu, du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et des libertés locales.
J'aurai également l'occasion de plaider en faveur de la sécurisation nécessaire du cadre juridique dans lequel seront proposés les tarifs réglementés de vente de gaz.
Si un travail important a été effectué par l'Assemblée nationale en ce qui concerne la réglementation des tarifs de vente d'électricité, il reste à décliner ce principe dans le domaine gazier. Dès lors que le choix du maintien de ces tarifs réglementés pour le gaz est confirmé - sur ce point, un large consensus semble acquis -, la cohérence juridique, tout comme l'intérêt du consommateur désireux de continuer à en bénéficier imposent de maintenir cette activité de fourniture de gaz au tarif réglementé dans le champ du contrôle, par la collectivité locale organisatrice du service public, de la bonne exécution des missions de service public qui lui sont associées.
Il ne serait pas souhaitable, du point de vue de la décentralisation des compétences énergétiques et de la défense du consommateur, de profiter de la transposition des directives de 2003 pour remettre en cause les bienfaits d'un siècle de compétences locales.
Bien entendu, je veillerai, en vous proposant un amendement sur ce point, à ce qu'il respecte scrupuleusement les obligations juridiques que nous impose ce travail de transposition en ce qui concerne l'objectif d'ouverture du marché gazier à la concurrence.
Enfin, si l'objectif de fusion de Gaz de France et de Suez relève des choix de la politique industrielle de l'État, les collectivités locales organisatrices de la distribution publique de gaz, mais aussi de l'eau potable, dont je souhaite relayer les préoccupations, se doivent, pour ce qui les concerne, de rester attentives à ce que l'évolution de ces grands opérateurs ne remette pas en cause les engagements qu'ils ont souscrits au titre de la gestion des services publics locaux qui leur ont été confiés.
Il nous faut rester fidèle à l'ambition affichée pour la France de garantir le bon fonctionnement des marchés et la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence.
Sur ce plan, la précision apportée par nos collègues sur la propriété des réseaux de distribution publique de gaz, par les collectivités et leurs groupements, est essentielle.
Une telle disposition n'est pas seulement de nature à protéger les intérêts des consommateurs eux-mêmes grâce à l'ancrage local de ce service public ; elle garantit aussi la neutralité du système français d'acheminement gazier par rapport aux intérêts commerciaux des acteurs du marché, conformément aux objectifs visés par les autorités de Bruxelles.
Elle concourt donc à la sécurisation juridique de l'ensemble de l'édifice que nous devons aujourd'hui construire ensemble. Stabiliser et consolider nos systèmes énergétiques est en effet une préoccupation plus que jamais partagée par l'ensemble des acteurs économiques.
C'est pourquoi je tiens à saluer votre écoute, monsieur le ministre. En privilégiant le débat depuis le début, vous avez donné au Parlement les moyens d'aborder de manière équilibrée l'ensemble des enjeux énergétiques de notre pays.