Intervention de Jean Desessard

Réunion du 10 octobre 2006 à 22h15
Secteur de l'énergie — Discussion générale suite

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Les bras m'en tombent ! C'est une nouvelle définition du capitalisme, de l'économie de marché.

Maintenant - c'est nouveau ! - les actionnaires, les capitalistes, les fonds de pension n'auraient plus comme objectif la recherche du profit ou le retour sur investissement, mais ils auraient pour fonction de maintenir le coût de l'énergie en France en dessous du prix de marché, d'assurer la distribution équitable auprès de chaque consommateur, de conserver les avantages sociaux des salariés de l'entreprise et, enfin, de conclure avec les pays producteurs de bons contrats qui soient stables et respectés.

Quelles missions ! Vraiment, je doute de l'esprit philanthropique des actionnaires pour réaliser un tel programme qui, pour moi, ne peut relever que d'un service public national ou européen.

Qu'à cela ne tienne ! Partons de l'hypothèse fictive qu'il y ait des patrons, des actionnaires désintéressés, prêts à assumer ces missions et analysons la crédibilité de vos propositions.

Vous dites que la fusion EDF-Suez va créer un géant capable de négocier des contrats très intéressants avec les producteurs de par la force de son pouvoir d'achat.

Monsieur le ministre, j'aurais pu vous parler d'un géant aux pieds d'argile, mais cela aurait été encore trop beau, trop loin de la réalité, puisque dans ce secteur toute entreprise a des pieds d'argile. En fait, j'ai le sentiment que vous allez créer un ogre énergitivore, à la démarche lourde et maladroite, soumis à des spasmes respiratoires à répétition.

Ogre énergitivore, car pour rentabiliser les investissements, il faudra produire et consommer toujours plus - j'y insiste - alors que la solution d'avenir du XXIe siècle, la solution réaliste réside dans la diminution, la restriction, la diversification.

Démarche lourde et maladroite, car ce géant sera empêtré dans les engagements vis-à-vis de l'État français, devra respecter des tarifs imposés mais sans y être vraiment obligé, sera soumis à la concurrence des autres entreprises de l'énergie qui, elles, plus souples, n'auront pas à assurer des quarts ou des dixièmes de missions de service public.

Soumis à des spasmes respiratoires chroniques, car soumis aux aléas politiques des pays producteurs, aux diktats économiques des compagnies productrices, vulnérables aux OPA des géants du secteur.

Cet après-midi, M. le ministre de l'économie nous a expliqué que l'État gardait le contrôle de ce gros pantin avec une participation de 34 %, et d'un ton professoral et quelque peu hautain, il nous a précisé qu'il était à notre disposition pour nous expliquer le droit des sociétés.

Heureusement que le ministre de l'économie n'est pas ministre de l'éducation, car il faudrait constamment réactualiser les manuels scolaires relatifs au droit des sociétés !

Avec la même assurance, on nous a déclaré qu'il fallait une participation de 70 % pour garder le contrôle de l'énergie. Puis, lors de l'examen de la loi de privatisation d'Aéroports de Paris, on nous a expliqué, en faisant preuve de la même certitude, qu'avec 51 % de participation l'État contrôlerait parfaitement la situation. Aujourd'hui, on en est à 34 %. Cela devient grotesque !

Certains sénateurs UMP signalent qu'il aurait pu y avoir d'autres solutions, mais que, compte tenu des directives européennes, nous sommes obligés d'en passer par là. Comme si les directives européennes étaient une opération du Saint-Esprit, une réalité intangible ! Mais elles sont mises en place, validées, entérinées par les gouvernements européens, y compris par le gouvernement français.

Cette ouverture à la concurrence du marché de l'énergie a été acceptée par la classe politique et le Gouvernement. Elle a été voulue par le patronat et les lobbys.

Certes, le peuple français, en particulier le peuple de gauche, a refusé, lors du référendum sur le traité constitutionnel, cette politique du libéralisme économique. Mais on continue, sans tenir compte du vote des citoyens !

Pourtant l'Europe, dans un contexte de crise, de raréfaction de l'énergie, de lutte contre le réchauffement climatique, a un rôle à jouer.

Tout d'abord, elle pourrait étendre les services publics nationaux qui ont fait leurs preuves à l'ensemble des pays et des citoyens européens.

Ensuite, elle pourrait jouer un rôle majeur dans la recherche d'énergies renouvelables, pour engager un plan alternatif.

L'Europe a également un rôle à jouer pour réguler le marché de l'économie, pour assurer des rapports durables avec les pays producteurs.

Enfin, l'Europe doit garantir l'indépendance énergétique de ses pays membres, mais elle doit également veiller à un équilibre mondial dans la répartition des ressources.

Notre planète est fragile ; or nous sommes au XXIe siècle, c'est-à-dire le siècle des coopérations entre les pays, de la solidarité internationale.

Monsieur le ministre, vous l'aurez compris, les sénatrices et le sénateur Verts, comme les sénatrices et les sénateurs socialistes, CRC et radicaux de gauche, ne voteront pas votre projet de loi. Ce texte ne contient aucune mesure sérieuse de maîtrise de l'énergie. Sous couvert de directives européennes, est organisé le bradage aux capitaux privés d'une entreprise qui fonctionne, qui est rentable, qui assure des services de qualité. Cela va aboutir à la création d'un monstre énergitivore, impossible à contrôler, sans réel pouvoir d'action sur les producteurs. Cet ensemble ne pourra assurer les missions que ce projet de loi veut ou feint de vouloir lui confier.

Ce projet de loi traduit l'abandon, en période de crise, de la responsabilité du politique. Vous voulez confier aux capitaux privés, dont le souci est la recherche du profit, la gestion de la crise de l'énergie au niveau français, voire européen. Nul doute que, dans quelques années, les réalités du monde, environnementales et géopolitiques, ne nous obligent de façon dramatique à prendre en urgence, en catastrophe, les mesures que nous pourrions arrêter aujourd'hui sereinement.

Non, monsieur le ministre, ce texte n'est pas l'expression d'une politique de l'énergie crédible et fiable, c'est la traduction du laisser-faire, de l'abandon du politique. C'est donc avec énergie que nous nous opposerons à ce projet de loi tout au long de ce débat.

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