Intervention de Michel Teston

Réunion du 10 octobre 2006 à 22h15
Secteur de l'énergie — Discussion générale suite

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l'article 1er de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique dispose que « la politique énergétique repose sur un service public de l'énergie [et que] sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique », nous entamons aujourd'hui l'examen d'un texte dont l'objectif réel est la privatisation d'un opérateur historique dont l'activité se situe dans un champ absolument stratégique.

Il s'agit moins de s'attarder sur les renoncements du Gouvernement que de souligner le manque criant de cohérence de la politique qui est la sienne dans un domaine pourtant essentiel : l'énergie.

En matière d'approvisionnement en gaz, la France est aujourd'hui largement dépendante. Ainsi, les importations de gaz en provenance de l'ex-URSS représentent plus de 20 % du total des importations françaises.

Dès lors, comment comprendre la démarche du gouvernement français dans un marché international en pleine évolution et en l'absence de politique européenne de l'énergie ?

Force est de constater la dérégulation complète du marché énergétique mondial. Dans ce schéma, l'énergie devient une « arme économique ». Nous avons pu prendre toute la mesure de cet état de fait lorsque, le 2 janvier 2006, la société Gazprom a décidé de suspendre ses livraisons de gaz à l'Ukraine. Cette décision s'est traduite en Europe par une baisse de l'approvisionnement de l'ordre de 20 %.

La prise de conscience de l'insécurité des approvisionnements en énergie a conduit un certain nombre de pays à mettre en place des politiques volontaristes afin de contrer les effets pervers de cette dérégulation. À l'inverse, le gouvernement français décide de l'accentuer encore en privatisant l'opérateur historique. Les nombreuses conséquences de cette décision ont été ou seront évoquées par les intervenants du groupe socialiste au cours des débats.

Je développerai mon propos autour de deux idées : d'une part, ce projet de loi ôte des atouts stratégiques à la France et, d'autre part, il existe une alternative à ce projet, à savoir la constitution d'un pôle public de l'énergie s'inscrivant dans une politique européenne de l'énergie.

J'aborderai tout d'abord la perte d'atouts stratégiques, qui me paraît être l'un des risques majeurs de ce texte.

Selon le Gouvernement, le groupe issu du rapprochement de Suez et de GDF atteindrait une taille lui permettant de jouer un rôle important sur le plan mondial. Or, même si la nouvelle entité devient le premier acheteur et fournisseur de gaz naturel en Europe, avec environ un cinquième du marché, elle risque bien de ne pas pouvoir lutter longtemps à armes égales avec des groupes tels que Gazprom ou Sonatrach, qui viennent d'ailleurs de se rapprocher, et qui fournissent à eux seuls un tiers du gaz naturel consommé par l'Union.

En outre, la fusion envisagée ne mettrait pas le nouveau groupe à l'abri d'une prise de contrôle par un concurrent. Je ne développe pas davantage, si ce n'est pour rappeler que, comme cela a été souligné ici même par Roland Courteau et démontré lors du débat à l'Assemblée nationale, cette entité fusionnée, GDF-Suez, resterait entièrement opéable.

Quant à l'action spécifique prévue également à l'article 10, le fait qu'elle ait été, semble-t-il, acceptée par la Commission le 8 septembre dernier ne constitue pas une garantie absolue.

Comment ne pas rappeler que ce dispositif ne prémunit pas contre une éventuelle action devant la Cour de justice des Communautés européennes, dont la jurisprudence, cela vient d'être confirmé par un arrêt récent, est de considérer que les actions spécifiques sont contraires aux règles relatives à la libre circulation des capitaux ?

Mais les conséquences de cette fusion sont aussi négatives dans les domaines de la sécurité de l'approvisionnement et de l'égal accès à l'énergie.

En diluant sa participation dans le nouveau groupe, l'État perdrait, de fait, le contrôle sur les infrastructures de stockage, de transport et de distribution d'énergie. Comment être sûr, dès lors, que l'approvisionnement de notre pays serait assuré ? En cas de pénurie de gaz, par exemple, qui déciderait du réseau à utiliser et de la desserte à fournir : l'État français ou bien le marché ?

On constate régulièrement que de nombreux clients regrettent d'être « sortis » des tarifs régulés. Loin de les avantager, la concurrence les a lésés. Ces clients professionnels ont vu leur facture augmenter de manière très importante. Dans ce contexte et pour faire passer ce projet de loi, ou pour essayer de le faire passer, à l'Assemblée nationale, la majorité a proposé la mise en place d'un tarif transitoire d'ajustement au marché, tarif sur lequel les membres du groupe socialiste auront l'occasion de s'exprimer lors de l'examen de l'article 3 bis. Mais on sait déjà à peu près qui payera si cet article reste en l'état.

Au Gouvernement qui accompagne la dérégulation en donnant la priorité à l'intérêt actionnarial avant de se préoccuper de l'intérêt général, les membres du groupe socialiste opposent la mise en place d'un véritable pôle public de l'énergie qui trouverait toute sa place dans une politique européenne coordonnée. C'est la proposition alternative qui va faire l'objet du second thème de mon intervention.

L'énergie n'est pas un bien ordinaire. La conséquence en est que l'État doit garder le contrôle sur les opérateurs historiques que sont EDF et GDF, lesquels doivent se rapprocher. Ils ont d'ailleurs développé des synergies fortes dans la distribution. Ce rapprochement pourrait prendre la forme d'une fusion ou encore d'une holding commune.

Je sais que M. Breton et vous-même, monsieur Loos, avez déjà déclaré que cette proposition ne vous semblait pas compatible avec les exigences européennes. Nous n'avons pas la même appréciation dans la mesure où EDF et GDF demeurent encore aujourd'hui fortement spécialisés, l'une dans l'électricité et l'autre dans le gaz.

En fait, si l'on se réfère aux contreparties déjà exigées par la Commission européenne, ne serait-ce pas plutôt la fusion entre GDF et Suez qui ne répond pas aux dispositions communautaires ?

Comme cela a déjà été souligné, la création d'un pôle énergétique public autour d'un noyau dur formé par EDF et GDF permettrait d'associer les autres acteurs de l'énergie, Areva, par exemple, via des prises de participations ou par la simple mise en place de partenariats industriels.

Un tel montage offrirait à la France la possibilité d'assurer sa sécurité d'approvisionnement, mais aussi de diversifier son offre, deux objectifs qui, je le rappelle, font partie des domaines prioritaires énoncés dans le Livre vert publié par la Commission européenne le 8 mars dernier.

Ce pôle public aurait, par ailleurs, la possibilité de nouer des alliances européennes avec d'autres groupes ; pourquoi pas avec Enel ?

L'essentiel est de considérer l'Europe comme un unique marché domestique et de penser la politique énergétique en fonction du critère de l'intérêt général européen.

La mise en oeuvre de stratégies énergétiques par ces pôles ou groupes trouverait sa place dans une politique européenne coordonnée. N'oublions jamais que la construction européenne a débuté par le secteur de l'énergie. L'Europe doit à nouveau investir ce domaine stratégique. D'ailleurs, le Conseil européen de Hampton Court, en 2005, a relancé l'idée de la politique énergétique européenne. C'est bien, en effet, à l'échelle européenne que les États pourront assurer leur sécurité d'approvisionnement et que les groupes nationaux pourront nouer des alliances.

Dans l'attente d'une directive-cadre relative aux services d'intérêt économique général, et qui concernerait donc l'énergie, il convient que les principaux acteurs mettent en place des stratégies concertées, afin d'influer sur le marché mondial.

Le nouveau « paquet énergétique » annoncé par la Commission européenne devrait être l'occasion de relever ce défi. Monsieur le ministre, la France doit se mobiliser pour que cette politique intégrée soit mise en oeuvre, en demandant, notamment, la création d'un régulateur européen.

En conclusion, avec ce texte, ce sont bien deux conceptions opposées de la politique énergétique qui s'affrontent.

Pour certains, l'énergie est un bien stratégique et vital, qui doit faire l'objet d'une réelle politique publique coordonnée et soucieuse du seul intérêt général. C'est notre choix !

Pour d'autres, l'énergie est un bien ordinaire qui peut être soumis aux règles classiques de la concurrence. C'est le choix du Gouvernement, et ce choix, nous ne l'acceptons pas !

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