Intervention de Hélène Luc

Réunion du 6 octobre 2005 à 10h30
Diverses dispositions relatives à la défense — Adoption d'un projet de loi

Photo de Hélène LucHélène Luc :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de ratification de l'ordonnance du 20 décembre 2004 relative à la partie législative du code de la défense pourrait paraître anodin et n'être qu'une formalité. Pourtant, il soulève, à mon avis, certaines questions de fond et ne répond qu'imparfaitement aux objectifs qu'il prétend atteindre.

Cette ordonnance a été prise sur la base de la loi du 2 juillet 2003, qui, en habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, l'autorisait, dans son article 34, à adopter par ordonnance la partie législative de ce code.

Je ne conteste pas, loin s'en faut, l'utilité et la nécessité de la codification. Elle permet de rassembler des textes épars, de les organiser de façon cohérente, d'harmoniser et d'actualiser leur rédaction. En cela, elle contribue à la modernisation et à la simplification du droit en le rendant plus facilement accessible aux utilisateurs que sont les citoyens, les élus ou bien les entreprises.

Je ne conteste donc pas la nécessité de codifier des textes fondamentaux qui régissent l'organisation et le droit de la défense.

En effet, nombre de ces textes législatifs sont antérieurs à la Seconde Guerre mondiale, certains remontant même à la Révolution, au Premier Empire, à la Restauration ou à la Monarchie de Juillet. Il en va ainsi, par exemple, de la loi du 28 germinal an VI, qui régit l'usage des armes par les gendarmes, de la loi de 1791 relative aux relations des autorités civiles et militaires, des dispositions relatives aux régimes juridiques exceptionnels, comme le temps de guerre, l'état de siège et l'état d'urgence, ou bien encore du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime du matériel de guerre et des armes.

Il est donc nécessaire d'adapter ces textes aux exigences de notre époque et de les actualiser. Mais je réprouve la procédure de l'ordonnance et sa ratification, vous le savez, madame la ministre. En procédant ainsi, le Gouvernement écarte toute possibilité de débat sur les problèmes fondamentaux qui ont trait à l'organisation et au droit de la défense.

C'eût été une bonne occasion de discuter de certains problèmes de la défense qui, à mon gré, ne sont pas assez souvent abordés dans notre Haute Assemblée, hormis pendant l'examen du projet de budget.

En effet, le code de la défense traite de problèmes majeurs et comporte cinq parties concernant les principes généraux de la défense, les régimes juridiques exceptionnels de défense, la législation sur les armes et matériels de guerre et les armes prohibées, l'organisation du ministère, les personnels et, enfin, des dispositions administratives et financières.

Le moment venu, vous l'avez dit, madame la ministre, le code de la défense intégrera la loi du 24 mars 2004 relative au statut général des militaires, ainsi que la loi sur les réserves quand elle aura été votée par le Parlement.

Cette codification, bien qu'elle se fasse à droit constant, c'est-à-dire sans modifier le droit existant, n'élimine pas tout à fait le risque d'altération de fond des textes législatifs. Cette altération, si elle n'affecte pas l'esprit de la loi, peut toutefois avoir des incidences sur la forme : le plan d'un code, l'ordre des livres, des titres et des articles qui le composent ne sont pas neutres.

La codification par ordonnance, par la compilation qu'elle entreprend, risque de conduire à la suppression de dispositions figurant dans des textes anciens qu'il est pourtant essentiel de conserver, car ils sont le support de principes fondamentaux.

Le second volet de ma critique porte sur le fait que vous ne vous contentez pas de codifier à droit constant. Votre projet de loi de ratification vise, en outre, à procéder à de nouvelles modifications de dispositions législatives figurant dans le code de la défense, ainsi que des évolutions de ce droit.

En effet, seul l'article 1er du projet de loi porte sur la ratification proprement dite. Les dix-huit autres ne se limitent pas pour autant à corriger des erreurs matérielles de codification ou à apporter des simplifications administratives.

Ce point n'a d'ailleurs pas échappé à nos collègues de l'Assemblée nationale puisqu'ils ont adopté un amendement visant à rendre l'intitulé du projet de loi plus conforme à son contenu.

Il s'agit donc non plus d'un projet de loi tendant à ratifier une ordonnance, mais d'un projet de loi portant modification de diverses dispositions relatives à la défense.

Votre texte, madame la ministre, vise à introduire des modifications sur des sujets aussi divers que la protection des installations d'importance vitale et la sécurité des installations nucléaires, le régime des armes, munitions et matériels de guerre, ainsi que sur la lutte contre les mines antipersonnel.

Permettez-moi une petite parenthèse. Aujourd'hui, se tient au Sénat un colloque, organisé par Handicap international, qui réunit de nombreux participants. La France conduit une action importante et positive dans ce domaine.

Je citerai un chiffre : deux millions de bombes sont éparpillées sur le territoire de l'Irak. En outre, il y a maintenant ce que l'on appelle les sous-munitions. Ces bombes, qui sont plus voyantes et qui attirent davantage les enfants, peuvent provoquer des dégâts sur 10 000 mètres carrés. Handicap international invite d'ailleurs les Français à se mobiliser, le samedi 8 octobre, contre l'usage de ces armes et, ce soir, un film sur la lutte contre les mines antipersonnel sera projeté au Sénat.

J'en reviens à l'objet de notre débat. Le projet de loi qui nous est soumis vise également à modifier le régime des poudres et explosifs, l'Institution de gestion sociale des armées, l'entretien des ouvrages de sécurité maritime et la répression du terrorisme en matière nucléaire.

Il modifie, en outre, certaines dispositions du code pénal et du code de procédure pénale. Ainsi, l'article 4 actualise le régime de protection des matières nucléaires et procède de même pour les sanctions pénales afférentes. Il renforce la protection contre la destruction des éléments de structure dans lesquelles sont conditionnées les matières concernées, ce qui ne figurait pas dans les textes en vigueur.

En ajoutant ainsi à la définition des actes de terrorisme les infractions relatives aux matières nucléaires et en complétant la définition et le contrôle des matières nucléaires civiles, nous abordons des questions qui ont trait à la sécurité du pays.

J'estime qu'un sujet aussi important, que l'actualité internationale - avec le refus de certains pays comme la Corée du Nord ou l'Iran de se soumettre aux règles de la communauté internationale - a rendu particulièrement sensible, aurait mérité de trouver place dans un autre texte législatif pour permettre un large débat.

Je tiens d'ailleurs à rappeler que le groupe communiste républicain et citoyen a récemment déposé une proposition de loi relative au suivi sanitaire des essais nucléaires. Nous avons demandé qu'elle soit rapidement inscrite à l'ordre du jour de nos travaux. Il me semble que nous pourrions, par ce biais, engager le large débat auquel je faisais allusion.

Une autre question mériterait une attention plus approfondie. En effet, l'article 10 met un terme au monopole de l'Etat dans le domaine de la production, de la détention et du transport de produits explosifs. Il abroge un article du code de la défense prévoyant que certaines opérations de production, d'importation, d'exportation et de commerce des poudres et substances explosives à usage militaire sont déléguées par l'Etat à des entreprises publiques ou privées dans des conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat.

Madame la ministre, vous justifiez cette abrogation en expliquant que la procédure de délégation du monopole d'Etat serait devenue obsolète en raison de sa lourdeur et de sa redondance et qu'il faut, pour s'adapter à ce marché et être plus réactif aux réalités économiques, lui substituer la procédure plus souple de l'agrément et de l'autorisation des entreprises opérant dans ce secteur, comme c'est le cas pour les produits à usage civil.

Je retiens cependant que la suppression du monopole de l'Etat, actuellement délégué aux deux opérateurs publics que sont la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE, et sa filiale Eurenco-France, ouvre la porte aux opérateurs privés, y compris étrangers, qui pourront venir les concurrencer sur ce marché.

Je m'interroge donc sur la capacité de l'Etat à maîtriser, à l'avenir, ce secteur sensible qui n'est pas un marché comme les autres. Je pense qu'une telle décision peut être lourde de conséquences et qu'elle ne devrait pas simplement être évoquée au détour d'un article en apparence technique.

En dernier lieu, je formulerai quelques interrogations sur l'article 12, qui concerne les oeuvres sociales des armées.

Cet article vise à clarifier le statut de l'Institution de gestion sociale des armées en le qualifiant explicitement d'établissement public à caractère industriel et commercial.

Cette institution assure quelques services publics à caractère administratif, mais elle se consacre essentiellement à la vente de services de loisir.

Le rapprochement qui est ainsi effectué entre le droit commun et certaines règles de fonctionnement de cette institution a pu faire craindre un futur changement de statut aux syndicats des personnels civils de la défense. Pouvez-vous, madame la ministre, nous confirmer que ces craintes peuvent être levées ?

Au total, je considère que la procédure de codification par voie d'ordonnance n'est pas la plus appropriée, car elle écarte toute possibilité de débat réel sur quelques sujets fondamentaux ayant trait aux grands principes qui régissent le droit de la défense.

Je regrette d'autant plus cette absence de débat que, pour l'essentiel, nous partageons les principes qui fondent notre droit de la défense.

Cependant, pour marquer notre désaccord avec la méthode employée, puisque le texte qui nous est soumis ne se limite pas à une simple ratification d'ordonnance et qu'il procède à de nouvelles modifications de dispositions législatives, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi.

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