… les réalités de vie sont les mêmes : le fait rural.
Le monde rural est un moteur du développement, notamment économique.
Il n’est pas concevable que ses habitants soient considérés comme des citoyens low cost, confrontés aux pires difficultés concernant l’accès aux services publics primordiaux, comme la santé et l’éducation. Il n’est pas compréhensible que la fracture numérique s’accentue. Il n’est pas acceptable que la question des transports nuise encore à la vigueur économique de ces territoires.
Nous voulons un aménagement du territoire harmonisé et nous devons définir ensemble quelles sont les conditions indispensables au développement des zones rurales pour que ces territoires participent à la construction de la France du XXIe siècle.
Les habitants du monde rural ont des difficultés pour accéder aux services publics primordiaux, comme la santé, qui doit être une priorité.
Des « déserts médicaux » apparaissent aujourd’hui dans nos campagnes et nos montagnes. L’urgence actuelle est de recouvrer un haut degré de proximité. L’absence d’offre médicale et de permanence des soins sur une bonne partie du territoire français prive des pans entiers de notre société de l’accès aux soins. Les délais pour accéder à ces derniers mettent en danger les patients.
Si l’on ajoute à ce tableau la fermeture progressive de services d’urgences, de maternités et de blocs opératoires, on peut situer sans peine le degré d’abandon dans lequel se trouve actuellement le monde rural.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ou loi HPST, a failli. Plus de dix-huit mois après son adoption, rien n’a changé. À Die, dans la Drôme, c’est la croix et la bannière pour trouver un chirurgien, car le service d’urgence et la maternité sont menacés. Et je ne vous parle même pas de l’hôpital de Valréas dans le Vaucluse ou des hôpitaux de proximité de Nyons et Buis-les-Baronnies. En Ardèche, la maternité de Saint-Agrève a fermé au mois d’octobre 2008 ; les femmes enceintes doivent aller jusqu’à Annonay, c’est-à-dire soixante kilomètres plus loin. Dans les Côtes d’Armor, à Paimpol, l’hôpital n’a plus d’activité depuis le mois de janvier. À Doullens, dans la Somme, après avoir perdu le bloc opératoire l’été dernier, c’est la maternité qui est aujourd’hui menacée. Et la liste des inquiétudes est longue : Figeac dans le Lot, Decazeville dans l’Aveyron, Gisors dans l’Eure…
Le doute qui pèse sur les urgences, les blocs opératoires et les maternités conduit les hôpitaux de proximité à avoir mauvaise presse, les citoyens à avoir moins confiance et les personnels à chercher un avenir ailleurs. Le débat sur les hôpitaux a des fortes conséquences sur la présence des médecins généralistes. Et quand l’hôpital est le premier employeur de la ville, comme à Buis-les-Baronnies, petite commune rurale, plus d’hôpital, cela signifierait à moyen terme 150 familles en moins pour les commerçants, les artisans et les écoles !
Il faut donc changer les normes. Le maintien en réseaux de ces structures est tout à fait viable, et il est vital ! Il y va de la sécurité de nos concitoyens !
Outre la santé, l’éducation est une exigence. Pouvoir y accéder est un impératif.
Chaque nouvelle année scolaire possède son lot de fermeture de classes. Les moyens humains mis à disposition de ces territoires semblent se déliter.
L’égalité des chances, c’est le socle de notre République. Quand des écoles de la République ferment, ce sont les fondations de notre idéal républicain qui s’effondrent.
L’éducation et la santé sont les symboles de cette République qui fuit ses responsabilités dans nos campagnes.
Mais que penser lorsque des bureaux de Poste ferment, privant les citoyens d’un moyen de communication ? Que penser lorsque des gendarmeries ferment, privant les habitants du monde rural d’un service régalien ? Que penser lorsque des tribunaux ferment, sinon que la justice française fonctionne à deux vitesses ? Que penser du débat sur le maintien des sous-préfectures, alors même que ces dernières maillent le territoire de l’action administrative de proximité ?
Que penser du passage à la télévision numérique terrestre, la TNT, qui inquiète les élus locaux avec le risque d’un écran noir dans certaines zones ?
Après ce constat, qui peut sembler négatif, je voudrais aborder deux secteurs clés du développement rural : les transports et la communication.
En matière de transports, beaucoup de paramètres structurels sont à améliorer. Je pense notamment aux infrastructures ferroviaires. Aujourd’hui, l’inégalité de desserte est incontestable. Mon collègue Michel Teston en parlera tout à l’heure.
L’entretien et le développement des routes et des autoroutes devraient être assurés, afin de permettre le désenclavement de tous les territoires. J’ai entendu les nombreuses interventions du Président de la République sur le sujet.
La mise en service du dernier tronçon autoroutier Clermont-Béziers est un signe important pour le désenclavement de nos territoires. Il est désormais prioritaire qu’il en soit de même pour la liaison Grenoble-Sisteron.
L’implantation d’entreprises et la dynamisation du tissu économique dépendent notamment de la qualité de la desserte par la route. Les transports collectifs sont essentiels, garants d’un meilleur développement durable, réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, le numérique est une chance historique pour l’aménagement du territoire.
Ce n’est pas seulement une révolution technologique. Notre collègue Hervé Maurey l’a évoqué dans son excellent rapport. C’est une formidable opportunité pour réorienter l’économie vers le savoir et la connaissance. Le développement de la fibre optique dans le cadre du plan national « Très haut débit » constitue un nouveau tournant.
Les collectivités territoriales se sont massivement engagées dans cette voie, qui est synonyme d’aménagement du territoire, de modernité et de progrès. La ruralité à très haut débit : voilà le défi qui nous attend ! L’État doit accompagner les collectivités territoriales à cet égard.
À ce titre, il faut regretter la récente décision gouvernementale supprimant la dotation de 25 millions d’euros dédiée à l’opération « École numérique rurale ».
La fibre peut mettre le monde rural sur un total pied d’égalité avec le monde urbain. Par exemple, plutôt que de fermer une perception en zone rurale pour concentrer son activité dans la ville voisine grâce au haut débit, ne serait-il pas possible de la maintenir et de lui donner par du télétravail, grâce au haut débit, de quoi désengorger les postes comptables des grandes villes ? C’est un exemple, mais il y en a beaucoup d’autres. Cela maintiendrait la présence des services publics en zone rurale.
J’ai la conviction que le champ des possibles est immense.
Au-delà de ces constats, la ruralité est un véritable moteur de développement durable, agricole, économique, culturel et social de notre pays. Elle se définit d’abord par son économie agricole.
Aujourd’hui, les agriculteurs souffrent. Aucune filière n’a été épargnée.
Même si, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, et le ministère de l’agriculture, le revenu annuel moyen agricole s’établirait en 2010 à 24 400 euros, contre 14 600 euros en 2009, soit une progression incontestable de plus de 60 %, ces chiffres doivent être placés dans le contexte de la crise. Il s’agit en fait d’une hausse en trompe-l’œil qui fait suite à une baisse cumulée de plus de 50 % des revenus agricoles. Aucune autre profession n’aurait supporté cela, et je veux rendre hommage aux agriculteurs de notre pays.
Monsieur le ministre, au mois de mai dernier, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, vous avez prononcé cette phrase : « Je ne saurais trop insister : sans régulation, le marché agricole européen ne sera pas viable. »
Il est sans doute trop tôt pour établir le bilan de cette loi. Sur certains points, comme le renforcement de la contractualisation, la création de l’Observatoire des prix et des marges ou encore la définition d’une véritable politique alimentaire nationale, nous pouvons nous retrouver. La régulation, nouveau maître mot de cette loi, n’est pas encore entrée en vigueur. Oui, l’agriculture française est viable et apte à nourrir les Français grâce à une alimentation de qualité !
Mais pour que notre agriculture ait un avenir, il faut mieux protéger le foncier agricole face à l’artificialisation, renouveler les générations en installant des jeunes agriculteurs et mettre en place des circuits courts permettant aux agriculteurs de mieux vivre de leurs productions et aux consommateurs d’acheter des produits de qualité à des prix abordables. Si nous croyons encore à l’agriculture française, il y a urgence !
Cependant, l’agriculture n’est pas le seul moteur économique de la ruralité, car l’économie rurale tire sa richesse de sa diversité. Il ne faut pas oublier aussi les milliers de commerçants, d’artisans, d’entrepreneurs qui exercent dans nos territoires. Leur apport n’est pas négligeable, surtout en termes d’emplois, car leurs activités ne sont pas délocalisables.
Sans ces entreprises, dont certaines d’entre elles, prestigieuses, sont leaders dans leur domaine d’activité, le monde rural n’aurait pas le potentiel important qu’il a aujourd'hui. Je pense, dans mon département, à l’entreprise Délifruits à Margès, à l’entreprise SKF Aerospace à Saint-Vallier, qui fait de la mécanique de haute précision pour la NASA et EADS, à l’entreprise Lafuma, que chacun connaît, au chocolatier Valrhona à Tain-l’Hermitage, aux Papeteries de Montségur, premier fabricant français de papier de soie, au Clos d’Aguzon à Saint-Auban-sur-l’Ouvèze, à Sanoflore, centre de recherche du groupe L’Oréal à Gigors-et-Lozeron, à Vanatome, qui équipe les centrales nucléaires en robinetterie, à l’Herbier du Diois à Châtillon-en-Diois. Leurs chefs d’entreprise et leurs salariés font vivre nos villages ; ils sont attachés à leur territoire, ils innovent, et leurs enfants sont dans nos écoles.
Tous les sénateurs pourraient dresser le même portrait de leur territoire. Il y a de grandes entreprises dans la Creuse, comme Amis, à Guéret, spécialisée dans le secteur de la forge, ou dans les Pyrénées-Atlantiques, comme Turboméca, leader mondial des turbines d’hélicoptère. Cette diversité économique est en tout cas vitale pour notre pays. Sans elle, pas de maillage économique de la France.
Le rôle joué par l’économie sociale et solidaire est également important.
Fondée sur des principes d’égalité, de responsabilité et de démocratie, l’économie sociale et solidaire propose une autre façon d’entreprendre et de créer. Il faut encourager les activités économiques et solidaires, notamment les métiers à potentiel de développement et créateurs d’emplois pour les personnes peu qualifiées. Ces activités sont indispensables. Mais pourront-elles encore fonctionner avec les baisses de crédits d’État et la baisse des contrats aidés ?
Dans bon nombre de départements ruraux, le secteur de l’aide à domicile est tout simplement le premier employeur du territoire. Je veux saluer ces associations, indispensables au lien social : l’Association d’aide à domicile en milieu rural, l’ADMR, l’association Familles rurales, les maisons sociales comme à Curnier, ou « Vieillir au village » à Puy-Saint-Martin. Ce secteur assure le lien social nécessaire à l’accompagnement, notamment, des personnes âgées, handicapées.
Au-delà, le bouillonnement culturel et social n’est pas à négliger, car la ruralité est aussi synonyme de culture. Des symboles rayonnent à l’échelle nationale. Je pense aux Vieilles Charrues à Carhaix, à Jazz in Marciac, aux Fêtes nocturnes de Grignan, au Festival international du film fantastique de Gérardmer et à de nombreux autres festivals dans notre pays.
Sur tous nos territoires, le monde associatif porté par des passionnés est d’une incroyable vitalité : culture, sport, clubs du troisième âge. C’est un véritable bouillonnement culturel et social, qui permet de construire le lien social, le « vivre ensemble ».
Voilà ce qui attire les citoyens dans nos campagnes, monsieur le ministre. C’est un mélange d’authenticité, de qualité de vie, mais aussi et surtout de dynamisme, d’inventivité, d’innovation perpétuelle, de potentialités de se réaliser, de créer de la richesse économique, sociale et culturelle.
Le monde rural est bien souvent à la pointe de l’innovation. Ses habitants, ses chefs d’entreprise, ses commerçants, ses artisans, ses bénévoles associatifs, ses élus n’attendent pas qu’on leur donne toujours plus de moyens. Ils comptent souvent plus sur eux-mêmes que sur les autres. En revanche, ils attendent qu’on leur garantisse les conditions nécessaires à leur épanouissement et à leur développement.
Se priver de ce potentiel de développement, c’est couper la France en deux. Fermer un hôpital, une école, ne pas construire les routes du numérique dans les territoires ruraux, c’est peut-être réaliser une économie comptable, mais c’est aussi hypothéquer notre avenir commun et se priver d’une chance bien réelle dont la France aura besoin pour construire son futur.
Pour ne pas poser d’hypothèque sur notre avenir, il est nécessaire de concrétiser le principe d’équité territoriale et de se mettre d’accord sur les services de base dont les zones rurales ont besoin.
Le monde rural ne saurait être opposé au monde urbain. Un aménagement du territoire harmonisé, c’est la recherche permanente d’un équilibre territorial entre le monde rural et le monde urbain. L’un ne peut aller sans l’autre.
Dans ce débat, le mot « cohésion » me semble essentiel, car la cohésion est le résultat recherché.
Dans cette quête permanente d’équilibre, l’État a un rôle central à jouer en matière d’aménagement du territoire. Néanmoins, je crains que la création du conseiller territorial ne soit un très mauvais signal.
L’État détient des leviers d’aménagement et de développement. Il doit se réengager aux côtés des collectivités territoriales pour le développement des territoires ruraux. Il doit accompagner la mutation que nous constatons au quotidien. Il doit être en mesure de garantir les fondamentaux d’un développement équilibré.
Il faut une volonté politique forte. Le « bouclier rural », que nous voulons instaurer, témoigne de ces difficultés croissantes. Le « bouclier rural », c’est la mise en place d’une politique volontariste qui pose le principe d’équité territoriale au sommet de nos valeurs. Le « bouclier rural », c’est tout simplement la défense et la promotion des services publics. Le Gouvernement devrait s’engager dans cette voie.
Il existe aujourd’hui de nombreux outils d’aménagement du territoire : intercommunalités, parcs naturels régionaux, pays. À l’instar de ce qui s’est fait pour les contrats urbains de cohésion sociale, ne pourrait-on explorer la création de contrats ruraux de cohésion territoriale ? Il s’agirait tout simplement de définir des aires géographiques sur lesquelles des services communs doivent être accessibles à tous, en tenant compte des distances à parcourir. Il serait important de déterminer la carte de tous les services sur la base de temps d’accès garanti.
En conclusion, les défis que rencontre le monde rural sont nombreux. Plusieurs questions se posent aujourd’hui.
Le Gouvernement est-il prêt à réinvestir la ruralité ? Comment entend-il se réengager aux côtés des collectivités ? Est-il prêt à mener une politique volontariste à l’égard de ces zones pour réduire la fracture territoriale ? Aujourd’hui, notre pays souffre de ce déséquilibre pesant.
Cependant – nous l’avons tous constaté – tous les jours, les élus locaux, les associations, les chefs d’entreprise se battent et font preuve d’optimisme. Parce qu’elle incarne aujourd’hui une nouvelle forme de modernité sociale et territoriale, j’ai confiance en la ruralité, j’ai confiance en son formidable potentiel de développement économique et social pour notre pays tout entier. La ruralité est porteuse de perspectives et de cohésion. J’ai la conviction, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’elle est une chance pour la cohésion et pour l’avenir de la nation tout entière.