Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord une évidence : toute forme de recentralisation des fonctions collectives est préjudiciable aux intérêts de la ruralité, car elle appauvrit une relation de proximité, par exemple entre les services déconcentrés de l’État et les citoyens ou entre les élus et les citoyens, relation de proximité indispensable au « mieux vivre » collectif des personnes concernées.
Or, la récente réforme territoriale, tout comme la révision générale des politiques publiques, est génératrice de distanciation, de perte de sens du mandat électif pour les échelons régional et départemental, au bénéfice des représentants de l’État : transfert de diverses missions, méthode présidant au redécoupage des cantons et au schéma départemental de coopération intercommunale.
Prenons l’exemple du département. Cette année sera celle du cent quarantième anniversaire de la loi du 10 août 1871, principale loi organisant la vie de l’assemblée départementale avant les lois de décentralisation de 1982 et de 1983. Pour ce cent quarantième anniversaire, le conseil général, comme collectivité locale, ne méritait-il pas mieux que d’être soumis à une attente inquiète, à savoir sa probable disparition à l’issue d’une phase transitoire personnalisée par le conseiller territorial ?
Pour notre part, nous ne cesserons de vanter les mérites en milieu rural d’un échelon départemental de proximité et de solidarité pour nos concitoyens, mais également de repère et d’équilibre dans une mondialisation qui ne cesse de gagner du terrain.
Derrière la révision générale des politiques publiques, le démantèlement des services publics, la fragilisation des conseils généraux et régionaux, derrière la réforme territoriale, y a-t-il une vision historique de l’organisation territoriale de la République et du futur de la ruralité ?
Non ! Nous constatons simplement l’application d’une logique comptable entraînant la réduction brutale des effectifs et des dépenses, sans anticipation de l’avenir mais assortie d’une incompréhensible uniformisation des décisions. Ainsi se multiplient aveuglément les restructurations judiciaires, militaires, scolaires, hospitalières... Par exemple, dans mon département, la Creuse, l’unique service de radiothérapie vient de fermer, obligeant des patients souvent gravement malades à parcourir plus d’une heure de route pour trouver un service de cette nature, au moment où le cancer devient la première cause de mortalité en France !
Dans notre pays, c’est l’État qui a construit la nation. La déliquescence de l’accès pour tous à des services publics comme la santé, l’éducation ou la sécurité émiette le socle de notre République et les valeurs de protection et d’équité qu’elle représente.
Il en va de même avec la suppression de la taxe professionnelle et son corollaire, la coupure du lien entre l’entreprise et son territoire. Or toute politique nationale indifférente aux liens charnels entre l’homme, son territoire, sa production et sa culture s’avérera mortifère pour la dignité de nos terroirs et de leurs habitants, car elle est ignorante des réalités de la campagne et bêtement méprisante pour une prétendue « France profonde » qui ne se situe pas toujours là où on le croit.
Oui, le monde rural est bien plus vivant et plus complexe que ce qu’imaginent certaines administrations. Il est surtout capable de prendre en main son destin, dès lors qu’on ne crée pas les conditions de sa résignation. Demain – on en voit déjà certaines prémices –, les conséquences sociales, humaines, financières, sanitaires, psychologiques, sécuritaires et environnementales de l’hyper-concentration urbaine seront telles que la ruralité sera de plus en plus désirée et sollicitée. C’est cette appréhension de la société de demain que nous devons anticiper dès aujourd’hui.
La ruralité peut être une chance pour la France si certaines conditions sont remplies : une politique ambitieuse, globale, transversale, intégrant ses spécificités dans les schémas nationaux des infrastructures, un régime dérogatoire pour les services publics, une attention spécifique au réseau des PME-PMI, une reconnaissance majeure des zones d’élevage dans les déclinaisons budgétaires de la future politique agricole commune, une action plus forte face aux menaces de fracture numérique, le maintien de dispositifs analogues aux zones de revitalisation rurale, les ZRR, mais spatialement plus concentrés, une attention déterminée portée aux conditions d’accueil de nouvelles populations ou activités, ou bien encore la création d’une véritable cinquième branche de la sécurité sociale concernant le risque de dépendance en faveur des personnes âgées, nombreuses dans les espaces ruraux.
En période de crise, il est impératif d’apporter plus à ceux qui en ont le plus besoin ; cela vaut aussi pour les territoires.
L’urgence est telle que nous devons aller plus loin que les simples appels à candidatures pour les pôles d’excellence rurale, les PER. Par ailleurs, la baisse de 14 %, en 2011, des moyens d’intervention de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, n’est pas de nature à rassurer les porteurs de projets.
L’aménagement du territoire mérite d’être une priorité nationale, la population étant d’ores et déjà hyperconcentrée sur 20 % de la superficie de notre pays, ce qui, selon moi, ne représente nullement un progrès de civilisation. Le face à face État-métropoles va laisser tous les « espaces interstitiels » abandonnés au « chacun pour soi ». Nous regrettons également que le dernier remaniement ministériel ait conduit à la dilution de la ruralité dans un grand ministère « fourre-tout », non complété par un ministère délégué ou un secrétariat d’État spécifique.