Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 13 janvier 2011 à 9h30
La ruralité : une chance pour la cohésion et l'avenir des territoires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ruralité a été longtemps associée à la seule activité agricole et perçue comme un espace périphérique, assimilé à un simple lieu de loisirs ou de vacances et à une vaste réserve foncière au service d’une urbanisation et d’un aménagement non réfléchis. Après un déclin certain, elle connaît un renouveau depuis une dizaine d’années, notamment avec l’arrivée de nouvelles populations. Par exemple, tous les mois, 1 500 habitants supplémentaires rejoignent le territoire de mon département de l’Hérault. Aujourd’hui, comment ne pas voir que cette ruralité est une chance pour la France ?

Au-delà des agriculteurs qui demeurent le « cœur battant » de nos campagnes, les artisans, les commerçants, les PME industrielles et de services forment un tissu économique dynamique. Le succès des pôles d’excellence rurale prouve bien à quel point les territoires ruraux fourmillent de talents et d’initiatives, dans le domaine des bio-ressources, du patrimoine, du tourisme, ou encore des nouvelles technologies. Les villes n’ont plus le monopole de l’excellence, de la compétence ou de l’innovation !

Terre de culture, de traditions, de valeurs de solidarité, de convivialité et de confiance, la ruralité est aussi source d’équilibre dans une société à la recherche d’un sens, d’un ancrage au territoire et d’une qualité de vie bien difficile à trouver en ces temps de crise. Enfin, occupant 80 % de la superficie de la France, elle est garante des équilibres environnementaux et constitue un atout pour relever les défis alimentaire et énergétique de demain.

C’est dire la responsabilité qui nous incombe – elle incombe en premier lieu à l’État – quant au soutien de ces territoires ruraux. En effet, si la campagne séduit, son attractivité est inégale suivant les régions ou les départements, que ce soit en termes d’accès aux technologies numériques, aux transports, aux soins, à la culture et au logement. Une telle inégalité est inadmissible dans notre République. Lorsque les services périscolaires manquent, lorsque les écoles ferment, lorsqu’il faut attendre six mois avant d’obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologiste ou chez un autre spécialiste, lorsque la désertification médicale inquiète nos concitoyens, lorsqu’il faut parcourir des kilomètres pour étudier ou travailler, comment, dans ces conditions, fixer une population sur un territoire, attirer de nouvelles familles et ouvrir des perspectives de vie aux jeunes ?

Je relisais récemment le discours tenu par le Président de la République à Morée, en février 2010. Il y prend des engagements en faveur des territoires ruraux : maisons de santé, couverture en téléphonie mobile et très haut débit, développement de lignes TGV supplémentaires, désenclavement routier des territoires les moins bien desservis. On ne peut évidemment que souscrire à de tels objectifs, mais force est de constater, monsieur le ministre, que ces engagements sont quelque peu contredits par les décisions politiques et les arbitrages budgétaires.

S’agissant des services de l’État et des services publics, dont le maintien est essentiel, en particulier dans les territoires les plus isolés et à faible densité démographique, la politique menée par le Gouvernement semble répondre à une logique de concentration et de rentabilisation dictée par la révision générale des politiques publiques. Avec la réforme de la carte judiciaire, de la carte hospitalière, de la carte pénitentiaire et de la carte scolaire, tout un ensemble de services sont transférés vers les métropoles régionales ou économiques. Mais tous les départements ne sont pas irrigués par de telles métropoles ! Pour ceux qui ne le sont pas, les écarts se creusent avec les autres territoires.

Aujourd’hui, il faut se battre pour obtenir simplement le maintien des services, alors qu’il faudrait améliorer et moderniser ces derniers. Un accord de partenariat a certes été signé au mois de septembre 2010 entre l’État et onze acteurs nationaux, dont neuf opérateurs de service public. Toutes les régions sont concernées, mais seulement une partie des départements. Quoi qu’il en soit, la précédente charte signée en 2006 n’avait pas donné les résultats espérés.

S’agissant des transports, l’avant-projet de schéma national d’infrastructures de transport, le fameux SNIT, ne nous rassure guère sur le désenclavement des territoires les moins desservis. Les routes nationales, les voies ferrées de fret et les transports express régionaux, les TER, sont délaissés au profit de quelques grandes lignes à grande vitesse et autres axes autoroutiers.

Autre défi de taille : la fracture numérique. Il est clair qu’on ne fera jamais venir un jeune médecin, avec son conjoint, dans une commune dépourvue d’accès au numérique de nouvelle génération ! C’est donc une priorité absolue pour des communes rurales vivantes. Mais, avant de se lancer dans le « très haut débit », achevons déjà la couverture en « haut débit », car certains territoires n’y ont pas encore un accès effectif, bien que certains départements se soient lancés dans ces projets. On ne peut avoir, d’un côté, des populations qui bénéficieront d’accès au très haut débit et, de l’autre, des populations qui devront se contenter durablement d’une connexion à haut débit de mauvaise qualité, voire, dans certains cas, d’une connexion à bas débit pourtant commercialisée à des tarifs comparables, sinon plus élevés. Les pouvoirs publics se doivent de remédier à cette inégalité. Dans son rapport remis le 26 octobre 2010 au Premier ministre, notre collègue Hervé Maurey propose notamment d’inclure le haut débit dans le périmètre du service universel. Quelle est votre position sur cette question, monsieur le ministre ?

J’en viens à une autre contradiction : comment pouvez-vous appeler de vos vœux le développement des services à la personne quand, dans le même temps, vous supprimez dans le projet de loi de finances pour 2011 les allégements de charges dont bénéficiaient les prestataires, qui font pourtant un travail indispensable et remarquable en faveur des personnes fragilisées en milieu rural ?

Comme vous le constatez, monsieur le ministre, les inquiétudes sont réelles, d’autant que vous appartenez à un gouvernement qui a fait le choix de brider les marges de manœuvre des collectivités territoriales, acteurs économiques pourtant incontournables en matière d’aménagement du territoire. Celles-ci doivent de plus en plus suppléer aux défaillances de l’État, notamment en matière d’infrastructures ou de services au public. Comment pourront-elles continuer à le faire avec des hausses de dépenses liées à des transferts de compétences insuffisamment compensés, la mise à mal de leur autonomie financière ou le gel de leurs dotations pour les prochaines années, sans parler des financements croisés, dont personne ne sait ce qu’ils vont devenir ?

Il y aurait évidemment bien d’autres choses à dire, notamment sur le développement d’une offre de logements locatifs à prix raisonnable, sur l’accompagnement de l’emploi, sur le maintien d’une agriculture forte et diversifiée, nécessaires à la vitalité du monde rural.

S’agissant de l’agriculture, c’est toute la ruralité qui souffre lorsqu’elle est en crise ! Vous le savez d’ailleurs plus que tout autre, monsieur le ministre. De ce point de vue, vous n’êtes pas resté inactif, bien que nous ne souscrivions pas totalement à la vision développée dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Nous comptons sur vous pour défendre les principes de la politique agricole commune dans les négociations à venir et pour soutenir, en particulier, les petites exploitations.

Monsieur le ministre, dans un contexte difficile, avec des crédits en baisse, quelles perspectives la République est-elle en mesure d’offrir à la ruralité et à ceux qui la font vivre au quotidien ? Nous comptons sur votre détermination, à la fois comme ministre de la ruralité et de l’aménagement du territoire et comme élu d’un département rural, pour faire en sorte que tous nos concitoyens, sur l’ensemble des territoires ruraux, soient traités avec la même attention que les habitants des grandes agglomérations.

Ainsi que l’a souligné notre collègue Didier Guillaume, nous avons confiance en l’avenir de la ruralité, à condition que soient accordés à cette dernière les moyens de son développement.

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