Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, incontestablement Didier Guillaume a eu raison de poser cette question orale avec débat sur l’avenir de la ruralité, et ce à un double titre.
Tout d’abord, la date est bien choisie, car ce débat s’inscrit dans le prolongement de la suppression de la taxe professionnelle et, surtout, de la réforme des collectivités locales. À cet égard, il appartiendra du reste à la majorité d’assumer ses responsabilités et les conséquences de son vote !
En effet, si le débat sur cette question est momentanément clos dans cet hémicycle, il n’est pas près de s’éteindre dans les territoires, dont les élus s’interrogent à juste titre sur l’avenir de leurs collectivités, particulièrement en milieu rural. Le problème de fond reste entier, d’où la pertinence de la question soulevée par notre collègue Didier Guillaume.
Que l’on me permette, à cet instant, d’évoquer le cas de la Haute-Garonne, département quelque peu atypique où le Grand Toulouse concentre plus de la moitié de la population et une large part du tissu industriel, des services, des facultés, des laboratoires de recherche, etc. Pour autant, ses zones rurales ne sont pas sinistrées, parce que le conseil général, qui disposait jusqu’à présent de quelques moyens, mène une politique volontariste d’accompagnement de l’essor de la métropole tout en se refusant à considérer comme une fatalité la transformation de la partie rurale du département en désert économique semé de villes réduites au statut de cités dortoirs.
L’effort considérable fourni par notre département en matière d’aménagement du territoire, de transports interurbains, de couverture numérique à haut débit, de soutien à la création de pépinières d’entreprises et aux investissements communaux n’a d’autre finalité que d’assurer partout la présence des infrastructures et des services publics locaux –assortis des moyens humains afférents – indispensables pour fixer la population et renforcer l’attractivité des territoires pour les entreprises. Bref, il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait pas deux classes de Haut-Garonnaises et de Haut-Garonnais !
Parallèlement, monsieur le ministre, faut-il encore souligner les dégâts considérables engendrés par la mise en œuvre de votre révision générale des politiques publiques, qui, jour après jour, méthodiquement, inexorablement, entraîne la suppression de services publics de proximité : perceptions, bureaux de poste, services scolaires, gendarmeries, tribunaux ?…
Tout récemment, pour tenter de masquer ce problème, vous avez expliqué que tous les services publics étaient désormais joignables par internet. Cela est vrai, mais je crains que, de proche en proche, vous n’en veniez à prétendre que, à terme, la télémédecine se substituera aux médecins généralistes en milieu rural. Ceux-ci jouent un rôle irremplaçable : au-delà de l’accès aux informations, nous savons tous que seul le maintien des moyens humains permet d’entretenir un lien social auquel le monde rural est à juste titre très attaché.
Voilà donc exposées deux démarches reflétant des options politiques diamétralement opposées, plus ou moins assumées selon le cas. Ainsi, alors que le conseil général de la Haute-Garonne vient d’inaugurer à Saint-Gaudens une structure décentralisée regroupant l’ensemble de ses services, qui a coûté la bagatelle de 14 millions d’euros, le Gouvernement, quant à lui, raye brutalement de la carte judiciaire le tribunal de grande instance de cette même commune, où la justice était rendue depuis la Révolution française. On comprendra donc que les interrogations des Haut-Garonnaises et des Haut-Garonnais restent entières !
D’ailleurs, comme si cela ne suffisait pas, le deuxième acte de cette mauvaise pièce a vu la suppression de la taxe professionnelle, qui réduira fortement les capacités d’investissement du conseil général, des communes rurales et des EPCI.
Enfin, au troisième acte a été créé le conseiller territorial, dont l’apparition répond à la mise en place d’une nouvelle carte du territoire. La représentation des zones rurales se trouvera fatalement diluée, en raison de l’augmentation considérable de la taille des cantons.
Que dire de ce nouvel élu hybride, qui, à force d’être partout, ne sera nulle part et se trouvera de fait coupé de ses administrés et privé d’une vision réaliste du territoire qu’il aura la charge de représenter ?
Au total, monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez aura réussi le tour de force de revenir sur trente ans de décentralisation. Alors qu’il fallait simplifier, introduire ou renforcer la notion d’égalité entre les territoires, il a recentralisé et enclenché de surcroît l’appauvrissement des territoires par la suppression de la taxe professionnelle et le gel des dotations. Nous ne pouvons que le déplorer.
La Haute-Garonne court ainsi le risque de voir mise à mal une dynamique mise en œuvre par la majorité de gauche de son conseil général et le président de celui-ci, Pierre Izard, dynamique qui a pourtant fait ses preuves au quotidien.
Dans cet hémicycle, nous sommes nombreux, sur les travées de gauche, à croire en l’avenir de la ruralité, à l’instar des élus locaux, qui connaissent les ressources, les potentialités et les ambitions de leurs territoires, mais sont trop souvent maltraités par le gouvernement actuel. Parfaitement conscients des enjeux du xxi e siècle, ils attendaient du Parlement et du Gouvernement le franchissement d’une nouvelle étape dans la décentralisation, avec à la clé une refondation de la politique des territoires et une redéfinition de leurs compétences.
Les pistes de travail ne manquent pas. Avec talent et conviction, Didier Guillaume a exposé tout à l’heure les principes à suivre. Malheureusement, les différents votes émis par la majorité lors de la discussion de la suppression de la taxe professionnelle et de la réforme des collectivités territoriales ont montré qu’elle manquait de volonté politique et tournait le dos à une démarche partenariale.
Ces votes vous ont en outre quelque peu disqualifié aux yeux des élus locaux, monsieur le ministre. Il vous sera très difficile de renouer le dialogue avec eux, d’autant que le document récemment diffusé par le Gouvernement n’est pas de nature à les rassurer. Les élus locaux ont pris la mesure du décalage existant entre les annonces faites par l’État et leur traduction concrète.
Peut-être, monsieur le ministre, votre réponse constituera-t-elle pour nous une bonne surprise. Je le souhaite, mais, pour être franc, je doute un peu que vous puissiez donner à la ruralité l’impulsion dont elle a besoin. Je compte plutôt, pour cela, sur l’émergence d’une nouvelle majorité.