Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Philippe Adnot et moi-même, rapporteurs spéciaux de la commission des finances sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », nous sommes répartis les compétences de la manière suivante : notre collègue a examiné le bloc « Enseignement supérieur », qui correspond à la moitié environ des crédits de la mission, et je me suis chargé du bloc « Recherche », ainsi que des considérations d’ensemble.
Je ne vous assommerai pas de chiffres, vous rappelant simplement que, avec 25, 4 milliards d’euros de crédits de paiement, c’est la mission la plus importante de ce projet de budget, après les missions « Défense », « Enseignement scolaire » et, bien sûr, « Engagements financiers de l’État », qui regroupe les dotations affectées à la charge de la dette. C’est aussi la mission dont les crédits permettent de préparer l’avenir, en investissant dans l’économie de la connaissance et l’innovation, aujourd’hui moteurs de la croissance.
Puisque l’heure est au bilan, monsieur le ministre, qu’en est-il de l’évolution, depuis 2007, des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ? La commission des finances considère que, si l’on compare « objectivement » les moyens de la recherche et de l’enseignement supérieur entre 2007 et 2012, l’augmentation aura été plus proche de 5, 6 milliards d’euros que des 9 milliards d’euros promis par le Président de la République au début de son mandat et des 9, 4 milliards d’euros annoncés par vous-même.
Pour atteindre ce chiffre de 9, 4 milliards d’euros, vous avez recours à deux procédés. Le principal consiste à comptabiliser des dépenses qui seront réellement payées, avec un effet sur les besoins de financement, par les législatures suivantes. Une telle logique conduit, dans le cadre des crédits budgétaires, à prendre en compte non pas les crédits de paiement, mais les autorisations d’engagement. Ainsi, pour ce qui concerne les dépenses fiscales, vous retenez non pas le coût budgétaire, en 2012, du crédit d’impôt recherche, le CIR, qui s’élèvera à 2, 3 milliards d’euros, mais le montant de la créance correspondante des entreprises, qui s’établit à 5, 3 milliards d’euros, somme représentant le coût moyen annuel du CIR pour les prochaines législatures.
Le deuxième procédé auquel vous avez recours, pour « gonfler » – permettez-moi l’expression – les chiffres consiste à prendre en compte 1, 2 milliard d’euros qui correspond non pas à des dépenses de 2012, mais à des dépenses cumulées de 2007 à 2012 : il s’agit des intérêts cumulés de l’opération Campus et des autorisations d’engagement des partenariats public-privé sur toute la période. J’ajoute que ces dépenses sont encore virtuelles, en particulier si l’on raisonne en crédits de paiement.
L’engagement présidentiel d’augmenter, sur la période 2007-2012, les moyens de la recherche et de l’enseignement supérieur de 9 milliards d’euros n’a donc pas été respecté.
Je veux maintenant souligner le scepticisme de la commission des finances sur le grand emprunt, dont la vocation devait être de financer massivement les investissements d’avenir.
Le Président de la République a décidé d’afficher un effort sans précédent en faveur de la recherche, en réservant à ce domaine 22 milliards d’euros, sur les 35 milliards d’euros du grand emprunt. Mais ces crédits ne pouvant pas être réellement dépensés par les administrations publiques – l’État n’avait pas l’argent nécessaire –, ces 22 milliards d’euros ont été attribués à un opérateur, l’Agence nationale de la recherche, ou ANR, qui « redonne » en quelque sorte ces crédits à l’État et attribue les financements au compte-gouttes. Le grand emprunt se traduit donc en réalité par des décaissements des administrations publiques que le Gouvernement évalue, dans le rapport économique, social et financier annexé au présent projet de loi de finances, à « environ 2 milliards d’euros en 2011, 3 milliards d’euros en 2012 et environ 3 à 4 milliards d’euros par an entre 2013 et 2015 ». Était-ce la peine de monter une telle usine à gaz – permettez-moi l’expression – pour, finalement, augmenter les dépenses de seulement quelques milliards d’euros par an pendant quelques années ?
Par ailleurs, l’argent confié aux opérateurs est débudgétisé et échappe donc, dans une large mesure, au contrôle du Parlement. Dans ces conditions, vous le comprendrez, nous sommes en droit de nous demander si le grand emprunt ne conduit pas les opérateurs à répondre de façon moindre aux appels à projets de l’ANR ou de l’Union européenne ou s’il ne se substituera pas finalement aux crédits budgétaires.
J’en viens à la question centrale qui nous est posée. Nous nous trouvons aujourd’hui à une période charnière. Le projet de budget pour 2012 de la recherche et de l’enseignement supérieur marque la fin d’un cycle budgétaire, mais il ne trace pas de perspectives claires sur le nouveau cycle qui s’ouvre.
On observe en effet une stagnation, voire une régression, des crédits pour 2012. Les crédits de paiement de la mission n’augmentent que de 1 % en euros courants, soit un recul de 1 % en euros constants. Les seules dépenses de recherche baissent de 0, 8 % en crédits de paiement et les dotations des grands organismes de recherche varient de moins 0, 5 % à plus 0, 5 %, créant ainsi des situations budgétaires très critiques.
Aujourd’hui, tout laisse à penser que la nécessité de réduire les déficits publics incitera à diminuer les dépenses en matière de recherche et d’enseignement supérieur. Pourtant, ce sont celles qui, à long terme, soutiennent la croissance et réduisent le déficit public, comme j’ai tenté de le montrer dans le rapport écrit.
Diminuer ces dépenses contribuerait à réduire à long terme la soutenabilité des finances publiques. À cela s’ajoute le fait que, sans un effort très soutenu en matière d’innovation, c’est l’ensemble du tissu industriel de la France qui se trouvera fragilisé, ce qui accroîtra parallèlement son déficit extérieur.
Dans le rapport, au vu des travaux du Conseil d’analyse économique et de la direction du Trésor, j’ai essayé de répondre à une question simple : dans quelle mesure les dépenses en matière de recherche et d’enseignement supérieur influent-elles sur la croissance de long terme de l’économie et sur le solde public ?
Les résultats sont, je le concède, quelque peu conventionnels. Pour résumer, on peut affirmer, d’après les estimations disponibles, qu’une dépense de 5 milliards d’euros chaque année en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur permet d’enregistrer, au bout de trente ans, une augmentation du PIB d’environ 1 point et de réduire le déficit public de quelques dizaines de points de PIB.
Dès lors, à quel niveau faut-il mobiliser l’argent public pour financer la recherche et l’enseignement supérieur dans notre pays ? Il convient d’abord d’en faire le constat, le taux de subvention publique aux entreprises privées, résultant des subventions budgétaires et du généreux crédit d’impôt recherche, est très élevé en France. Ce taux, si on l’augmentait encore, risquerait de correspondre à un pur effet d’aubaine. En revanche, une croissance des crédits publics en faveur de la recherche fondamentale n’aurait pas telles conséquences.
Dans ces conditions, la commission des finances considère que l’objectif de notre pays doit être de stabiliser, en points de PIB, les moyens publics consacrés à la recherche et à l’enseignement supérieur. Si l’on considère que le PIB a tendance à évoluer sur une longue période de 4 % par an en valeur, une telle stabilisation correspond à une augmentation de un milliard d’euros par an en moyenne. Aller très au-delà en matière d’augmentation des dépenses publiques ne serait pas nécessairement efficace. En revanche, il s’avère impératif de faire croître les dépenses totales de recherche par une augmentation des dépenses privées.
En France, les dépenses publiques et privées en matière de recherche et développement représentent, depuis dix ans, environ 2 points de PIB, ce qui est nettement inférieur aux dépenses de l’Allemagne, qui y consacre 2, 6 points de son PIB, des États-Unis, dont les dépenses en la matière atteignent 2, 8 points de son PIB, et du Japon ou de la Suède, qui affichent des sommes représentant plus de 3 points de leur PIB, niveau fixé par la stratégie de Lisbonne. Pour notre part, nous devrions dépenser un point supplémentaire de PIB, soit environ 20 milliards d’euros. Ce n’est pas l’insuffisance de la recherche publique qui explique un tel écart, mais bien celle de la recherche privée.
Malgré la croissance des aides directes et fiscales de l’État, les dépenses en faveur de la recherche en entreprise stagnent. À cet égard, je ferai deux remarques.
Le sous-investissement dans la recherche et développement des grandes entreprises françaises se manifeste, notamment en comparaison avec l’Allemagne, par le faible recrutement de docteurs.
Dans les grands groupes, le pilotage de la recherche échappe généralement aux équipes de R&D et aux sous-traitants, pour passer aux mains des financiers qui visent l’optimisation dans tous les domaines, et notamment l’optimisation fiscale avec le crédit d’impôt recherche. Une telle situation nécessitera une réelle évaluation des effets du crédit d’impôt recherche sur l’effort de recherche des entreprises, grandes et petites.
Aujourd’hui, les véritables enjeux en matière de recherche dépassent le champ de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ; ils dépassent même, plus généralement, celui des questions purement budgétaires.
Ce qu’il nous faut, c’est une vraie politique industrielle, privilégiant les filières technologiques de pointe, une politique en faveur des TPE, des PME et des entreprises de taille moyenne, qui sont trop peu nombreuses dans notre pays, et une politique qui améliore la compétitivité globale de l’économie.
Mes chers collègues, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat le rejet des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2012.