Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi de finances, qui ne cesse de subir des modifications, intervient dans un contexte de crise qui oblige à l’instauration de plans de rigueur ou d’austérité.
On appelle au courage et à la solidarité, quand ces deux mots ne sont pas martelés, pour affronter cette dure épreuve censée s’imposer à tous de la même manière. Cependant, en ma qualité d’ultramarin, je ne peux m’empêcher de poser la question légitime de l’égalité et de l’équité dans le traitement de la situation.
Peut-on raisonnablement ponctionner de la même manière que les économies avancées des économies qui sont déjà très fragiles, des territoires dont les caractéristiques s’apparentent à celles de pays en voie de développement, des territoires au bord de l’explosion sociale ?
La crise, madame la ministre, les outre-mer la vivent depuis longtemps déjà. Ils sont devenus les « brûlots de l’empire ». Souvenez-vous, c’était à la fin de 2008 en Guyane, puis dans le courant de l’année 2009 en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion. Aujourd'hui, c’est au tour de Mayotte, avec un feu qui ne s’éteint pas et une réalité socio-économique qui, une fois encore, n’a visiblement pas été suffisamment prise en considération. On assiste également à des tensions en Nouvelle-Calédonie et la Polynésie est au bord de la faillite.
Les raisons d’un tel brasier sont connues, madame la ministre, et vous ne les ignorez pas. Il s’agit bien évidemment de la vie chère, dans un contexte de pauvreté.
En effet, les ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté représentent le quart de la population ultramarine.
Les bénéficiaires du revenu de solidarité active représentent 18, 8 % de la population active d’outre-mer, contre 5, 5 % en métropole.
Le taux de chômage est de 25 % en moyenne – 21 % en Guyane et en Martinique, 23, 8 % en Guadeloupe, environ 30 % à la Réunion, et jusqu’à 60 % dans certaines zones de ces départements. Ces taux sont parmi les plus élevés des régions de l’Union européenne à vingt-sept, et ce chômage frappe surtout les femmes et les jeunes.
Le produit intérieur brut par habitant y est près de deux fois plus faible qu’en métropole – de 16 000 à 17 000 euros, contre 30 000 euros –, et le revenu disponible par habitant de 1, 4 à 2 fois moins important, selon les chiffres de 2008.
En Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à la Réunion, plus de 150 000 personnes vivent dans quelque 50 000 locaux insalubres. Si l’on rapportait ce chiffre à la population métropolitaine, cela représenterait près de 6 millions de personnes.
Enfin, la santé publique est défaillante, avec, par exemple, un taux de mortalité infantile de 9 ‰.
Nous sommes donc très loin de l’objectif de rattrapage ou, mieux, comme il est écrit dans le document de politique transversale pour l’outre-mer, « du rapprochement des conditions de vie des habitants d’outre-mer avec celles des habitants de métropole ». Cette situation est légitimement préoccupante : il faut donc s’en préoccuper. Or ce n’est pas le cas.
Pourtant, après les événements de 2009, le Gouvernement s’était engagé, à travers les dispositions de la loi pour le développement économique des outre-mer et le Conseil interministériel de l’outre-mer, le CIOM, à lancer une nouvelle politique de croissance fondée sur le développement endogène. Il faut le reconnaître, cette stratégie était de bonne inspiration ; malheureusement, les moyens n’ont pas suivi.
Cela n’a pas empêché le Gouvernement d’afficher une certaine autosatisfaction quand il a annoncé récemment, lors du conseil des ministres du 26 octobre dernier, que 90 % des mesures du CIOM étaient réalisées ou en cours de l’être. Tout est dans la nuance !
Madame la ministre, si ce taux est exact, la situation que je vous ai décrite et les indicateurs que l’on retrouve dans vos propres documents budgétaires sont là pour démontrer que vos mesures n’étaient pas appropriées à la situation. À moins – c’est aussi une hypothèse plausible – qu’elles n’aient pas encore pu produire leur plein effet, nombre d’entre elles venant tout juste d’être mises en œuvre ou étant d’application trop récente.
Quelle est donc la cohérence de cette politique pour l’outre-mer issue des événements de 2009, dont l’objectif avoué était de renforcer les capacités des outre-mer à produire un développement économique endogène afin de résorber le chômage ?
Pourquoi remettez-vous déjà en cause des mesures que vous avez fait adopter voilà deux ans à peine, sans même proposer de solutions de remplacement ?
Je pense à la diminution très forte des dépenses fiscales en faveur de l’outre-mer, pour près de 500 millions d’euros.
Mon intention n’est pas de remettre en cause les efforts nécessaires en vue de limiter le coût des niches fiscales pour les finances publiques. Je souhaite toutefois attirer votre attention sur le fait que cette politique de réduction des niches n’a pas des conséquences identiques pour l’ensemble des territoires. L’aide à l’investissement outre-mer a permis de réaliser près de 3 milliards d’euros d’investissements en 2010, de créer au moins 3 600 emplois et d’en maintenir des milliers d’autres dans des territoires qui connaissent un chômage moyen supérieur à 25 %.
Il faut donc veiller à ne pas pénaliser excessivement les territoires ultramarins, pour lesquels la dépense fiscale a historiquement constitué un axe d’action privilégié. Aussi, eu égard aux réductions successives de la dépense fiscale, l’heure n’est-elle pas venue de se poser la question des avantages comparés de la dépense budgétaire et de la dépense fiscale afin de savoir si, à dépense globale constante, la substitution de certaines dépenses budgétaires à certaines dépenses fiscales ne permettrait pas d’accroître le soutien de l’État aux collectivités locales ?