Intervention de Jean-Vincent Placé

Réunion du 17 novembre 2011 à 14h30
Loi de finances pour 2012 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

Depuis 2008, il s’agit donc non plus de prédire la crise, mais de la gérer. Même si, en ce moment, chaque prise de parole des responsables de la majorité s’agrémente, sans conviction, d’une petite variation sur la métaphore du capitaine dans la tempête, force est de constater que votre échec à cet égard est patent.

Votre imprévoyance, votre incapacité à analyser la situation sont étonnantes. En septembre dernier, lors de l’examen au Parlement du plan d’aide à la Grèce, que vous présentiez comme le remède définitif, les écologistes, avec d’autres, avaient plaidé qu’il ne serait évidemment pas suffisant. À peine deux mois plus tard, la restructuration de la dette grecque s’est imposée d’elle-même. Que de temps perdu et d’efforts vains pour le peuple grec !

En matière budgétaire, le même aveuglement prévaut. Alors qu’il ne se trouvait pas un économiste pour valider vos hypothèses, vous vous êtes entêtés à présenter un budget fondé sur une croissance illusoire. Voilà le Parlement désormais contraint d’examiner, dans des délais intenables, des collectifs budgétaires fébrilement élaborés à la hâte, à la chaîne.

Quant à votre action, elle n’est malheureusement pas plus efficace que votre analyse n’est pertinente. En 2009, M. Sarkozy déclarait : « Les paradis fiscaux, c’est fini ! », et réclamait la plus grande « fermeté » quant aux rémunérations indues des traders. Lors de son intervention télévisée, il y a quelques semaines, il promettait à ce sujet de « veiller à ce que les pratiques du passé s’arrêtent ». Quel aveu d’impuissance !

En ce qui concerne la fiscalité, qui nous occupe plus particulièrement aujourd’hui, votre politique est à l’avenant. Au cœur de ce que vous qualifiez vous-même de crise inédite depuis 1929, vous entérinez des cadeaux fiscaux pour les plus fortunés qui, même en période faste, auraient déjà semblé inéquitables. Était-il vraiment nécessaire, au printemps dernier, d’offrir 2 milliards d’euros aux contribuables assujettis à l’ISF pour venir, ensuite, nous présenter l’austérité comme incontournable ?

Vous avez augmenté la dette de 40 % en quatre ans ! Et les rapports les plus sérieux, notamment ceux de la Cour des comptes et de Gilles Carrez, n’imputent qu’un tiers de cet endettement à la crise. Les deux autres tiers constituent le prix à payer pour vos largesses fiscales. Faute d’avoir pris les devants alors que la crise avait déjà éclaté, vous en êtes donc aujourd’hui réduits à vous laisser dicter la politique de la France par ces obscures officines que sont les agences de notation.

Toutefois, même ainsi acculés, vous n’avez pas le sursaut de courage ou de responsabilité nécessaire pour avouer que vous vous êtes trompés, qu’il faut revenir sur l’allégement de l’ISF, qu’il faut vraiment supprimer le bouclier fiscal, qu’il faut taxer le capital au moins autant que le travail... Vous préférez empiler sur vos mesures injustes d’autres mesures en trompe-l’œil, comme la taxe – temporaire ! – sur les hauts revenus, qui ne rapportera que 400 millions d’euros, ou la fameuse prime indexée sur les dividendes, qui ne fait qu’offrir à des salariés atterrés une augmentation de quelques euros par an...

Dans cette politique erratique, la seule ligne qui émerge clairement est celle d’un discours, proprement terrifiant, sur les voleurs de minima sociaux, sur les malades irresponsables et sur les profiteurs du RSA. Comme les dirigeants grecs, qui ont renouvelé l’intégralité de leur état-major militaire et fait entrer l’extrême droite au gouvernement, vous êtes tentés, faute de pouvoir proposer un espoir, par le repli autoritaire.

Cet espoir ne vous sera pas accessible, tant que vous persisterez à nier que cette crise est aussi, si ce n’est pas avant tout, une crise écologique.

La croissance indue de ces dernières décennies s’est appuyée sur une dette financière, mais aussi écologique. Nous avons consommé plus que la nature ne produit. Aujourd’hui, le climat se dégrade, menaçant nos territoires. Les marchés des matières premières sont de plus en plus tendus. La raréfaction des ressources naturelles, voire leur épuisement, pour certaines d’entre elles, s’oppose irrémédiablement à cet accroissement infini de la production qui constitue votre seul horizon politique.

Il est urgent d’agir, pourtant, car des solutions existent pour ménager nos ressources, réduire les inégalités et retrouver le sens du bien commun. Il s’agit d’engager la transformation écologique de l’économie, de passer d’une production matérielle excessive à une production orientée vers le lien social, la santé, la culture, le savoir...

Parce qu’elles sont économes en ressources, les activités durables sont riches en emplois, le plus souvent non délocalisables. Ce travail doit être partagé entre tous. On ne peut plus accepter une société où des chômeurs côtoient des salariés détruits par la pression de leur employeur.

La maîtrise de nos finances publiques, elle, ne sera acquise qu’au prix d’une lutte sans merci contre les excès de la dérégulation financière, les paradis fiscaux et l’évasion fiscale. Ce ne sont pas les outils techniques qui font aujourd’hui défaut, c’est la volonté politique de s’attaquer à une industrie financière, dont on a voulu faire le moteur de notre développement, et aux rentiers qui s’en sont emparés. L’épargne doit servir à financer l’économie réelle.

En matière fiscale, enfin, les solutions sont simples, pour peu que l’on ne se sente pas tenu par le dogme libéral, voire ultralibéral. Une large contribution climat-énergie permettrait de réorienter les activités vers davantage de responsabilité environnementale. Son produit serait intégralement recyclé dans l’économie, pour aider les ménages les moins aisés à économiser de l’énergie, pour aider les entreprises à investir dans des activités durables, pour aider les travailleurs dont les industries ont vocation à décroître et à se reconvertir dans les filières nouvelles... Le Danemark l’a fait depuis longtemps.

Pour les particuliers, il faut un impôt sur le revenu lisible, à l’encontre de la stratégie de complexification du Gouvernement. Cet impôt devrait être prélevé à la source, individuel, vraiment progressif, intégrant les revenus du capital et ceux du travail. La fiscalité sur le patrimoine doit être élargie, notamment par la révision de l’exonération des biens professionnels.

Quant aux niches fiscales, pour peu que l’on ose affronter quelques intérêts privés, leur refonte permettrait de dégager de larges marges de manœuvre pour le bien public.

Monsieur le président, mes chers collègues, si l’on pose le bon diagnostic, des solutions existent. Peut-être cette crise aura-t-elle, à tout le moins, la vertu de décrédibiliser définitivement votre approche périmée du développement économique ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion