Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 17 novembre 2011 à 14h30
Loi de finances pour 2012 — Question préalable

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Thierry Foucaud et Éric Bocquet ont rappelé la situation particulière dans laquelle nous sommes amenés à nous prononcer sur ce projet de budget pour 2012.

Les annonces ne cessent de se multiplier depuis que le débat s’est engagé à l’Assemblée nationale. La dernière en date est, bien évidemment, le nouveau plan de rigueur, le nouveau projet de loi de finances rectificative, que vous avez présenté ce mercredi et qui n’est pas sans conséquence sur le texte dont nous discutons aujourd'hui.

Vous le savez, ce texte a été élaboré sur la base de prévisions, en particulier de croissance, qui manquent de crédibilité, et ce d’autant plus que les préconisations, qu’elles soient européennes ou qu’elles émanent du Fonds monétaire international, vont toutes dans le même sens : il faut faire payer au plus grand nombre les conséquences de la crise financière déclenchée par la crise des subprimes. Et jusqu’à ce jour vous avez estimé qu’il faut suivre ces exhortations.

Toutes ces annonces successives et l’instabilité qui a présidé à l’élaboration du projet de budget pour 2012 ont amené certains commentateurs à considérer que le Gouvernement avait des difficultés à affirmer son plan d’austérité. Celui-ci est peut-être ardu à assumer à l’approche d’élections présidentielle et législatives, mais il me semble qu’il est surtout difficile d’expliquer une politique d’austérité renforcée, alors que vous savez qu’elle n’apportera aucune réponse à la situation du pays, particulièrement à la réduction de son déficit.

Cette politique d’austérité n’a qu’un seul objet : essayer d’envoyer un signal aux marchés financiers auxquels vous vous êtes soumis en acceptant le pouvoir que les agences de notation et leurs actionnaires se sont arrogé ces dernières années.

Or, nous savons tous où mènent ces choix. La Grèce en est la victime la plus marquante, mais l’Espagne, le Portugal, l’Italie ne sont pas en reste. Les plans d’austérité imposés par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à l’échelon européen ne peuvent ni contribuer à redresser la situation économique ni permettre de retrouver enfin la capacité de répondre aux besoins de ces pays et de leurs habitants.

M. Jouyet, aujourd’hui président de l’Autorité des marchés financiers, explique très clairement le comportement actuel des marchés : « Ils ont fait pression sur le jeu démocratique. C’est le troisième gouvernement qui saute à leur initiative pour cause de dette excessive. Aux appréciations quantitatives qu’ils sont amenés à faire pour évaluer la capacité d’un État à rembourser ses dettes sont venus s’ajouter des jugements qualitatifs. Pour les marchés, Silvio Berlusconi n’était plus l’homme de la situation et l’envolée des taux d’intérêt de la dette italienne a été leur bulletin de vote. […] Mais à terme, les citoyens se révolteront contre cette dictature de fait. Notons au passage que la Grèce a nommé Premier ministre un banquier central et que l’Italie s’apprête à désigner un ancien commissaire européen et homme de Goldman Sachs... » C’est chose faite, puisque Mario Monti a été nommé président du Conseil.

On ne saurait en effet mieux dire ce dont il est question, à savoir le choix qu’il nous faut désormais effectuer. Michel Pébereau, président de BNP-Paribas, a déclaré dans un discours prononcé le 25 octobre et repris par Les Échos : « Les États ont un rôle important à jouer pour que la finance soit tout entière au service de la croissance et de la stabilité financière. [...] Une partie de la sphère financière s’est ainsi installée dans son propre monde, un univers virtuel replié sur sa logique interne [...] Il faut en finir avec l’illusion du “tout marché”. »

Ce discours nous ramène aux choix que nous devons faire : allons-nous continuer à accepter le diktat des marchés financiers ou allons-nous enfin considérer que la politique peut imposer d’autres choix ? Nous discutons soit d’un projet de budget répondant aux exigences de ces agences et, malheureusement, à celles portées par le couple franco-allemand en Europe, soit d’un projet de loi de finances volontaire, déterminé, courageux, faisant échapper les politiques publiques aux fausses vérités et évidences que l’on assène aux Français.

En effet, au nom de l’effort, et si possible d’un effort « également partagé », nous dit-on, l’on demande aux Françaises et aux Français, et, en premier chef, au monde du travail, de consentir des reculs sociaux significatifs, touchant tous les aspects de la vie, qu’il s’agisse de la dépense publique d’éducation, de la qualité de notre système de soins, de la pertinence de nos infrastructures de transport, de notre système solidaire d’accès au logement !

Le projet de loi de finances peut bien sûr être amendé ; des propositions de recettes nouvelles peuvent tout à fait être adoptées par le Sénat dans sa nouvelle composition. Nous avons travaillé en ce sens. Mais les grandes politiques publiques qui doivent être définies dans le projet de budget, sont bloquées, LOLF oblige. À moins que le Gouvernement n’accepte de revoir sa copie, car l’effort partagé dont vous parlez est bien particulier !

Certes, vous avez pris en considération la réaction populaire face à ces niveaux de profits et de rémunération inacceptables, que rien ne justifie. Mais vous refusez de reconnaître que cette crise est celle du système capitaliste, qui montre ainsi ses limites.

Vous nous proposez la taxation « exceptionnelle » des plus hauts revenus, soit un rendement de 200 millions d’euros au total, c’est-à-dire, pour avoir en tête les ordres de grandeur, quatre dixièmes de point de l’impôt sur le revenu attendu ! Non seulement cette somme est modeste, mais, en plus, vous considérez que cette taxe ne peut être qu’« exceptionnelle », conformément à la suggestion de ces grands patrons qui l’ont proposée pour mieux se dédouaner de leurs responsabilités.

Comparons, de surcroît, ces 200 millions d’euros, de prélèvement exceptionnel aux 1 857 millions d’ISF rendus aux ménages les plus fortunés par le projet de loi de finances rectificative du mois de juillet ! De qui se moque-t-on ?

La majoration attendue du produit de l’impôt sur les sociétés, est, quant à elle, estimée aujourd’hui à 1, 1 milliard d’euros. Remarquable effort, il est vrai, qui ne représente que le quart, ou peu s’en faut, des sommes que Total, leader du CAC 40, consacre chaque année aux opérations de rachat d’actions qu’il organise pour majorer la valeur des titres restants et accroître l’attractivité de son dividende ! Cette somme ne correspond qu’à environ 1 % des profits déclarés en 2010 par les entreprises du CAC 40, qui ne représentent pas, loin s’en faut, la totalité des entreprises françaises !

Quand on nous parle d’efforts « également partagés », je pense que nous ne donnons pas le même sens aux mots. Quels contribuables, dans notre pays, ont bénéficié d’une réduction de leur imposition de plus d’un tiers durant cette législature ? Avec la réforme de 2009, les entreprises assujetties à la taxe professionnelle ont gagné quelque 11 milliards d’euros pour la première année, somme considérable pour les budgets publics, mais qui ne représente qu’un demi-point de PIB et ne semble pas, au regard de la situation de l’emploi, avoir changé quoi que ce soit. Mesure de trésorerie peut-être pour certains, mais la contribution économique territoriale ne pèse pas le même poids que la taxe professionnelle pour bon nombre d’activités.

En revanche, les très petites entreprises, ou TPE, et un certain nombre de moyennes et petites entreprises font l’expérience d’une absence de baisse de leur contribution fiscale, le bonus ayant été capté par les autres !

Par votre politique, vous avez cherché, de manière purement idéologique, à réduire constamment à la fois les impôts dus par les entreprises et les obligations fiscales des ménages les plus aisés. On a ainsi vu se réduire le rendement de l’impôt sur les sociétés, des droits d’enregistrement et de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Les aides au redressement des banques ont été accordées sans aucune obligation de nouvelles orientations, particulièrement pour le financement de l’activité économique, et surtout industrielle.

À chaque loi de finances, initiale ou rectificative, un lot de taxes nouvelles sur la consommation, sans parler, évidemment, de la mise en question permanente de la dépense publique, avec son contingent de réduction des personnels des services publics, ont été décidées. Quelle est l’efficacité de ces choix ?

Le remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est devenu un dogme, que certains rêvent d’imposer aux collectivités locales. Mais que rapporte cette mesure au budget de l’État ? On parle de 4 milliards d’euros d’économies budgétaires sur la durée du quinquennat, c’est dire !

En corollaire, combien de personnels en préfecture, dans les directions départementales des territoires pour répondre aux habitants, aux élus ? Combien d’enseignants pour assurer une scolarité de qualité, prenant en compte la situation fragile de nos concitoyens des quartiers d’habitat social ou de nos communes rurales ? Quels moyens pour nos tribunaux, particulièrement ceux qui sont chargés de l’enfance ?

Quand la bourse de Paris perd en une séance deux points, comme avant-hier, elle perd quatre fois ce que le Gouvernement est fier d’avoir économisé sur la dépense publique !

Autre prétendue vérité assenée : l’impôt ne doit pas nuire à la compétitivité de nos entreprises ! En 2011, nous arrivons au terme d’un long cycle, engagé voilà près de trente ans, de réduction continue du poids des obligations fiscales et sociales des entreprises dans notre pays. Tous les chapitres ont été revisités, la TVA, l’impôt sur les sociétés, la taxe professionnelle, les cotisations sociales ; qu’il soit question des taux comme de l’assiette de ces prélèvements, une seule orientation a prévalu : celle du moins-disant fiscal. Objectif atteint ! Avec un taux de 33, 33 %, l’impôt sur les sociétés en France paraît l’un des plus élevés d’Europe. Pourtant, un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur ce sujet a établi la vérité : la part de l’impôt sur les sociétés demeure faible dans le PIB ; dans le même temps, nous dépensons des sommes considérables et effectuons des efforts importants pour ne pas l’appliquer !

Notre législation comporte des dispositions favorables à la spéculation, comme la niche Copé relative aux plus-values de cession de titres du capital dans les groupes, soit 8 milliards d’euros cette année, …

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