Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 6 décembre 2004 à 22h00
Loi de finances pour 2005 — Article 49

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

L'examen de l'article 49 est l'occasion, madame la ministre, d'évoquer un sujet dont il a été peu question pendant ce débat, le renseignement. Or nous savons que le renseignement est un enjeu majeur de la politique de sécurité et de défense.

Aujourd'hui, l'organisation des sociétés démocratiques et des pouvoirs publics est soumise à la tension engendrée par ce qu'il est convenu d'appeler « le terrorisme de masse ». Je pense qu'il convient d'aborder cette question d'une manière globale, et ce débat budgétaire nous fournit l'occasion d'esquisser une analyse de la politique du Gouvernement en matière de renseignement.

Les crédits placés à la disposition du ministère de la défense constituent une part importante du financement de la fonction « renseignement ». Ce ministère a sous son contrôle direct, les crédits de la DGSE, la direction générale de la sécurité extérieure, de la DRM, la direction du renseignement militaire, et de la DPSD, la direction de la protection et de la sécurité de la défense. Il s'agit là de l'essentiel de l'architecture du renseignement en France.

Je suis obligé de constater que ces crédits sont globalement insuffisants : en euros courants, les dotations prévues pour 2005, à hauteur de 300, 28 millions d'euros, sont inférieures à celles qui ont été votées en 2003 et qui s'élevaient à 304, 15 millions d'euros.

En ce qui concerne les personnels, je ne suis pas non plus très satisfait. Il a déjà été signalé, dans différents rapports parlementaires, que les effectifs restent pratiquement stables, ce qui est contradictoire avec la politique affichée qui consisterait à donner la priorité au renseignement humain. Au ministère de la défense, sur 1 000 créations de postes annoncées, vingt seulement iront à la DGSE, ce qui pose problème, puisque nous savons par ailleurs que les effectifs réels de la DGSE sont sensiblement inférieurs aux chiffres théoriques, notamment en raison des postes de militaires non pourvus.

Il est indispensable de réfléchir aux moyens nécessaires pour garantir l'efficacité des services de renseignement à moyen et à long terme. Le budget de la défense devra revoir certaines de ses priorités à la lumière des évolutions récentes du monde contemporain.

En la matière, les recommandations du Livre blanc de 1996 et de la loi de programmation militaire sont-elles encore adaptées à l'évolution des menaces et aux exigences de déploiement de la première ligne de défense qu'est le renseignement ?

Nous le savons tous, et les événements tragiques à New York et à Madrid nous l'ont malheureusement rappelé, la menace terroriste est toujours présente. Mais nous savons aussi que le terrorisme se combat, d'abord et avant tout, avec le renseignement. Cependant, compte tenu de la multiplicité des structures de renseignement et des failles connues dans leur coordination, leur efficacité pourrait être prise en défaut.

Les services de renseignement britanniques ou américains connaissent d'ailleurs actuellement d'importantes réformes. Le système américain, rudement mis à l'épreuve en septembre 2001, cherche à exploiter les enseignements de cette tragédie.

Le rapport de la commission d'enquête nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis a dressé un diagnostic sévère et a proposé une série de changements de fond. Cette commission, créée en novembre 2002 par le Congrès et le Président des Etats-Unis, était composée de dix parlementaires, cinq républicains et cinq démocrates. De la lecture de ce rapport, fort instructive, je ne retiendrai ici qu'une première recommandation : elle a trait à la nécessaire unification et centralisation de la « communauté du renseignement ».

La commission tire ainsi la leçon de l'incroyable chapelet d'erreurs de jugement, de défaillances politiques et, surtout, organisationnelles, qui ont caractérisé la posture américaine face au terrorisme et qui a débouché sur les attentats du 11 septembre.

Elle propose notamment « d'unifier les très nombreux participants à la lutte contre-terroriste et la somme de leurs connaissances dans un système de partage de l'information conçu en réseau pour transcender les cloisonnements gouvernementaux traditionnels ». Ce n'est pas parole d'évangile, mais nous aurions tort de ne pas profiter de cette expérience américaine.

Le système français du renseignement ne pourra pas faire l'économie d'une modernisation de son fonctionnement et de ses méthodes de travail. Or, à notre connaissance et à la différence de nos grands alliés, le Gouvernement n'a pas encore entamé une réforme de nos services de renseignement.

Notre collègue, Yves Fromion, député de la majorité présidentielle, signale, dans son excellent rapport pour avis Espace, communication et renseignement, que, en dépit des efforts accomplis, « sil est indéniable que les synergies entre les services de renseignement français peuvent et doivent être encouragées ».

D'où ma deuxième question : le moment n'est-il pas venu de revoir le fonctionnement actuel, dispersé et cloisonné de nos services, dont la compétence et le dévouement des personnels ne sont pas en cause, afin d'obtenir une meilleure coordination des efforts et des moyens aboutissant à une efficacité accrue à hauteur de la menace ?

J'en arrive à ma conclusion qui prendra, elle aussi, la forme d'une ultime interrogation. Elle concerne le rôle du Parlement face aux services de renseignement.

Madame la ministre, les événements survenus récemment en Afrique, hier dans les Balkans ou en Asie mineure, nous imposent d'être extrêmement attentifs et vigilants. La sécurité et la défense dépendent, et ce n'est pas nouveau, de l'activité et de l'efficacité de nos services de renseignement. Il faut rechercher au maximum, et en toute circonstance, l'amélioration de la posture de sécurité de la France et de l'Europe. Je pense que les parlementaires, les représentants du peuple que nous sommes, ont, dans ce domaine aussi, un rôle à jouer.

Pour me faire comprendre, je reprendrai ici une argumentation que vous connaissez déjà, mais le silence de votre gouvernement en la matière m'incite à persévérer.

Aux Etats-Unis, la commission d'enquête précédemment citée préconise dans ses recommandations de « renforcer la surveillance exercée par le Congrès sur le renseignement et la sécurité intérieure ». En France, comme dans la plupart des démocraties, les services de renseignement dépendent de l'autorité de l'exécutif, mais notre pays est quasiment le seul, parmi ses partenaires et alliés, à ne pas s'être doté d'un organe de contrôle parlementaire de ses services secrets.

Des organes parlementaires de contrôle des activités de renseignement ont été crées en Allemagne depuis 1956, en Italie depuis 1977, aux États-Unis depuis 1976-1977, en Espagne depuis 1992 et au Royaume-Uni depuis 1994.

Est-il normal et souhaitable que la France se singularise en la matière ? Pourquoi ne pas créer au sein de chaque assemblée une instance, rattachée à la commission compétente, chargée d'exercer le contrôle des activités de renseignement ?

Dans l'immédiat, pourquoi ne pas accepter la proposition faite par mon collègue député Jean-Michel Boucheron, lors du récent débat budgétaire à l'Assemblée nationale, consistant à faire en sorte « que la DGSE remette chaque année un rapport de situation aux commissions de la défense des deux chambres » ? Il s'agirait là d'un premier tout petit pas en avant !

Je dois ajouter que, de plus en plus, cette mission doit se concrétiser dans le cadre de notre Europe en construction. Voilà pourquoi je salue l'action de l'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN, et son rôle dans la construction d'une identité européenne de sécurité et de défense. Actuellement l'IHEDN s'ouvre utilement à la création du futur Collège européen de défense. Puissent les financements du Gouvernement être à la hauteur de ses hautes ambitions !

Enfin, madame la ministre, chaque fois que je vous écoute, je vous entends faire référence aux retards accumulés par le gouvernement précédent, qui serait si nombreux qu'il est aujourd'hui quasiment impossible de les rattraper. Mais je m'interroge : depuis 1995, nous avons en France le même chef des armées ; il n'a pas changé. Entre-temps, se sont succédé quatre Premiers ministres - trois de droite, un de gauche -, quatre ministres de la défense - trois de droite, un de gauche. Je m'étonne que le chef des armées n'ait pas réagi à ce retard que vous nous signalez si souvent. Qu'a-t-il fait depuis 1995 ?

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