Intervention de Ivan Renar

Réunion du 6 décembre 2004 à 22h00
Loi de finances pour 2005 — Iii. - recherche

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, avant toute chose, saluer la mobilisation historique des chercheurs. Elle a permis l'ouverture d'un vaste débat consacré à l'avenir de la recherche.

Des Etats généraux de la recherche ont émergé un grand nombre de propositions, exposées publiquement en novembre dernier. Le rapport final indique notamment que « la sagesse politique voudrait que les conclusions du document final soient prises en compte par le Gouvernement ».

Malheureusement, l'examen du budget montre que les chercheurs n'ont pas été totalement entendus. Certes, on note quelques points positifs tels que le remplacement des départs à la retraite ou la création de deux cents postes pour l'accueil de scientifiques étrangers. La situation de l'emploi dans la recherche n'en demeure pas moins particulièrement préoccupante.

Ce ne sont certainement pas les cent cinquante postes de maître de conférence nouvellement créés qui relanceront réellement la recherche universitaire. Plus grave encore, aucune mesure ne vient renforcer l'attractivité des carrières scientifiques. Pour échapper au chômage ou au déclassement social, de jeunes chercheurs n'ont souvent d'autre choix que de s'expatrier.

A l'heure où beaucoup de nos jeunes concitoyens se détournent des filières scientifiques, mettre en oeuvre une politique de recrutements massifs et de lutte contre les emplois précaires dans la recherche publique relève de l'urgence.

Outre la mise en place d'un plan pluriannuel de l'emploi scientifique, le rapport des Etats généraux préconise la création de contrats à durée déterminée pour financer la préparation des doctorats, la définition d'un statut de « chercheur ou enseignant - chercheur associé » transformant les dispositifs existants, souvent précaires.

Je ne cite ici que quelques-unes des recommandations émises par les chercheurs, mais elles auraient mérité d'être prises en compte dans leur totalité.

Monsieur le ministre, vous vous félicitez de présenter un budget en progression de 1 milliard d'euros. En réalité, les laboratoires publics ne bénéficieront que d'un tiers de cette somme. Celle-ci viendra seulement combler une partie du retard accumulé en 2003 et 2004, pour cause de gel ou d'annulation de crédits.

Parallèlement, 300 millions d'euros de mesures fiscales sont destinés au secteur privé, c'est-à-dire en faveur du développement de la recherche appliquée. L'efficacité de telles dispositions demeure inconnue. Et vos choix budgétaires, monsieur le ministre, démontrent l'insuffisante reconnaissance du rôle moteur de la recherche fondamentale.

Et ce n'est pas avec ce budget que la recherche et les chercheurs pourront faire preuve de toute leur créativité.

L'Etat se devrait d'investir massivement en faveur du développement de la recherche publique. Source de connaissance, elle nourrit les activités d'innovation, le foisonnement créatif. En outre, elle alimente et éclaire la réflexion de nos concitoyens sur l'évolution de la société dans le long terme, fournit les éléments contradictoires de décision permettant de répondre, au mieux, aux grands défis du monde contemporain.

A l'heure de la société de la connaissance et de l'information, l'Etat doit plus que jamais, à nos yeux, consacrer ses efforts en faveur du développement de la formation à la recherche et par la recherche, mission essentielle du secteur public. Sans cela, la France se verra durablement distancée dans les domaines scientifiques et technologiques, en particulier par des pays comme la Chine ou l'Inde, sans oublier naturellement les Etats-Unis et le Japon.

A notre époque, la recherche scientifique constitue un immense système d'information au plan mondial. Chaque pays se doit d'y participer, sous peine sinon d'être démuni devant bien des problèmes. D'où l'importance de la communication scientifique, qui n'est plus à démontrer. Je rappelle, au passage, que les moyens classiques de publication sont en crise.

Cela étant, l'affectation de 350 millions d'euros à la future Agence nationale de la recherche est quelque peu surprenante. Alors que nous ignorons tout encore à ce jour de l'organisation et du financement à moyen terme de cette structure, comment comprendre qu'un tiers de l'effort budgétaire lui soit consacré ? Quelles sont les compétences réelles de cette agence ? Sera-t-elle une agence de moyens ? Distribuera-t-elle des crédits aux laboratoires selon le critère de l'excellence scientifique ? Mettra-t-elle en place des pôles de compétitivité ? Sera-t-elle un outil de pilotage de la recherche par le Gouvernement en fonction de ses priorités ? Du reste, Bruxelles pilote la recherche européenne par cette voie.

Encourager la créativité suppose de libérer les énergies.

Le professeur Jean-Pierre Kahane, membre de l'Académie des sciences, rappelle ainsi que « les acteurs de la recherche ne sont pas, ne peuvent pas être de simples exécutants. Au minimum, ils doivent interpréter les directives. Ils doivent aussi savoir s'en écarter, improviser en fonction de ce qu'ils découvrent, tracer de nouvelles voies. L'efficacité de la recherche dans la quête de l'inconnu implique la liberté de l'esprit. »

L'indépendance des chercheurs vis-à-vis de leur autorité de tutelle, leur autonomie par rapport au monde économique sont essentielles. « Car la curiosité et l'inventivité aboutissent à des découvertes et des inventions imprévues. Il s'agit donc, dans tous les secteurs de la recherche, de privilégier un certain désordre créateur plutôt que l'optimisation à la mode. Dans l'édification des grands programmes de recherche qui peuvent avoir un effet mobilisateur, il faut varier les approches et chercher l'inspiration dans les besoins en friche dans le monde entier. »

La définition des programmes de recherche ne peut être conditionnée à des notions de rentabilité stricto sensu ; sinon, certains champs de recherche, pourtant fondamentaux, seront délaissés. Trop de laboratoires sont stérilisés par la gestion de la pénurie.

Toutes les disciplines doivent avoir leur place dans le dispositif de recherche national. Je pense, en particulier, aux sciences humaines et sociales dont l'importance est trop souvent minorée bien que celles-ci permettent de mieux appréhender les principales évolutions du monde contemporain.

C'est dans ce domaine en particulier que peut progresser l'idée de science et de « conscience européenne ». Cela a été souligné au Collège de France réuni ces derniers jours sur les valeurs de l'humanisme que portait le fondateur de cette institution au XVIe siècle, Guillaume Budé. Plutôt que d'humanisme, nous parlerions aujourd'hui d'une certaine éthique de l'existence, de foi dans les capacités de l'homme à bâtir un monde plus juste, plus équilibré, plus respectueux des personnes.

Monsieur le ministre, vous n'avez pas donné suite aux recommandations émises conjointement par le mouvement « Sauvons la Recherche » et le comité d'initiative et de proposition. Les responsables de ces collectifs avaient notamment attiré votre attention sur l'urgence de la situation des jeunes chercheurs. Aussi vous avaient-ils demandé « que le plan pluriannuel de l'emploi scientifique annoncé prenne effet dès le budget 2005 ».

Les chercheurs attendaient un signe fort du Gouvernement leur permettant de croire à la sincérité de son engagement en faveur de la recherche. Le budget présenté aujourd'hui ne traduit en aucun cas la volonté politique d'inscrire la recherche au rang des priorités nationales, dans une perspective de refondation du système de recherche. Il ne permettra pas à la part de la recherche publique d'atteindre, d'ici à 2010, à 1 % du PIB, condition pourtant indispensable pour atteindre l'objectif fixé à Lisbonne de 3% du PIB européen consacré à la recherche.

Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, nous ne pouvons voter ce budget 2005, caractérisé une nouvelle fois par un manque d'ambition. Croyez bien que je le regrette, au nom d'une certaine idée de la recherche scientifique et de l'avenir de la France !

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