Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 10 % de hausse et 1 milliard d'euros de plus pour la recherche, ce sont les chiffres très prometteurs brandis par le Gouvernement. Prometteurs si l'on s'en tient à l'affichage, mais que cachent ces données, en réalité ? D'abord, se contenter de ces chiffres, c'est faire fi du passé. Et le passé, en l'occurrence, ou plutôt votre passif, monsieur le ministre, ce sont des moyens pour la recherche sacrifiés en loi de finances initiale, avec une baisse à structure constante du budget civil de recherche et développement, et plus encore par les régulations en cours d'exercice.
Dans le « bleu » budgétaire, la différence entre les crédits des budgets 2004 et 2005 fait apparaître seulement 356, 1 millions d'euros supplémentaires. Or ces millions d'euros ne représentent qu'une partie du rattrapage des 618 millions d'euros de réduction et d'annulations de crédits réalisées entre 2002 et 2004. Par comparaison, et pour mémoire, entre 1998 et 2001, les laboratoires ont connu une progression régulière de 26, 5 % au total de leurs moyens de fonctionnement, sans aucune régulation.
De plus, la hausse du budget civil de recherche et développement pour 2005 n'est que de 4 % ce qui, compte tenu de l'inflation, ramène l'augmentation effective, en euros constant à 2, 2 % seulement.
Enfin, le reste du milliard annoncé, soit 300 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche sous forme d'avoir fiscal aux entreprises, et 350 millions d'euros pour la future agence nationale de la recherche, l'ANR, issus du produit des privatisations, ne relève pas de votre responsabilité et peut très bien fluctuer.
Ainsi, à ce manque de sincérité dans la présentation du budget de la recherche pour 2005 s'ajoutent de fortes incertitudes sur la mise à disposition des fonds.
En effet, Bercy envisagerait de revoir les crédits de l'ANR à la baisse. Dans ces conditions, pouvez-vous, monsieur le ministre, donner à la Haute Assemblée des garanties sur ces 350 millions d'euros, ainsi que sur les 104 millions d'euros restants du fonds créé par la loi de finances de 2004, inscrits dans un compte d'affectation spéciale du Trésor pour le financement des fondations et sur lesquels il me semble que vous comptiez également ?
Néanmoins, je tiens à préciser d'ores et déjà que, même si vous étiez en mesure de nous garantir les engagements de Bercy, ce geste ne suffirait pas à nous rassurer quant à la concrétisation de ce budget. Votre ministère, certes, pour la dernière année, puisque les choses changeront avec l'entrée en application de la loi organique relative aux lois de finances, ne maîtrise en effet qu'un peu plus du tiers du BCRD.
Or, pour vos collègues du Gouvernement, il faut bien l'avouer, la recherche est bien souvent une variable d'ajustement de l'exercice budgétaire.
Et la mise en question de la sincérité budgétaire de ce gouvernement n'est pas l'apanage de l'opposition. J'en veux pour preuve le commentaire du rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, qui est lui-même très clair sur ce sujet, puisqu'il « n'approuve la structure de l'augmentation du budget 2005 que si un engagement formel du type de celui pris pour la loi de programmation militaire est adopté ». Et, citant en particulier l'augmentation prévue pour l'Agence nationale de la recherche et les financements liés aux nouvelles mesures fiscales, il indique qu'il « serait en effet aisé de puiser sur ces lignes budgétaires, puisqu'il s'agit de projets et non de gestion de personnels. Et les précédents rendent prudents ! ».
Si les précédents rendent même un rapporteur pour avis prudent, au groupe socialiste, ils nous rendent plus que sceptiques ! Et je ne reparlerai même pas de l'engagement pris à Barcelone de consacrer 3 % de notre PIB à la recherche, qui, à force de s'éloigner de notre portée, d'année en année, finit par constituer une véritable chimère.
Le même scepticisme nous gagne s'agissant de l'Agence nationale de recherche, qui doit théoriquement être opérationnelle dans moins de trois semaines, et sur les fondations qu'elle est censée financer.
Sur ce sujet aussi, notre collègue Pierre Laffitte, dans son rapport pour avis, écrit noir sur blanc : « Il semble que la concrétisation de ces projets ne soit pas encore obtenue, des réticences de certains services du ministère des finances n'étant pas encore vaincues ». Pour notre part, si nos incertitudes portent sur le financement, nous formulons aussi de fortes réserves, pour ne pas dire plus, sur les modalités de création et de fonctionnement de cette agence.
Votre idée, monsieur le ministre, est de créer un groupement d'intérêt public opérationnel au 1er janvier 2005, auquel se substituera, à terme, avec la loi de programmation et d'orientation sur la recherche, un établissement public. Or, même pour un groupement d'intérêt public, les délais sont un peu courts, puisque les consultations des conseils d'administration des organismes participant au groupement d'intérêt public, à propos desquels d'ailleurs on peut se poser quelques questions sur les critères de choix, viennent de débuter en catastrophe.
Dans ces conditions, il paraît plus qu'illusoire de penser que cette agence puisse être opérationnelle à la date prévue. Mais ce ne sera qu'un retard de plus en matière de recherche à porter à l'actif de ce gouvernement. Et quand bien même elle le serait, la sélection des projets à soutenir, le lancement des appels d'offres, les réponses aux appels d'offres, leur évaluation, toute cette procédure exige un temps de mise en oeuvre long, de sorte que l'argent ne sera pas disponible pour les projets en 2005.
Il en est de même pour les fondations. Je suis désolé de devoir en revenir toujours à Bercy, mais un autre débat concernant la structure financière des futures fondations pour la recherche semble ne pas être encore tranché, puisque le ministère des finances voudrait limiter la part de capital consomptible de ces fondations à la moitié de leur capital total. Pourtant, une fondation à capital entièrement consomptible permet de s'engager sur un capital déterminé consommable au fur et à mesure, au service d'un objectif précis défini par les statuts, et pour une durée qui, elle, n'est pas déterminée à l'avance. Sur ce point précis, nous souhaiterions aussi des éclaircissements, monsieur le ministre. Selon vos chiffres, et dans le meilleur des cas, près de 500 millions d'euros sont en suspens avec le projet d'agence nationale de la recherche, soit plus que la totalité des crédits de fonctionnement alloués à la recherche universitaire.
Finalement, ce qui ressort des précédents exercices budgétaires et des divers freins précédemment évoqués, ce à quoi il faut ajouter la longueur du processus de discussion pour l'élaboration de la future loi de programmation et d'orientation et son report, c'est que le Gouvernement a d'ores et déjà fait les économies qu'il souhaitait, qu'il joue la montre pour desserrer, le plus tard possible, les cordons de la bourse, tout simplement parce que sa marge de manoeuvre, notamment du fait des cadeaux fiscaux plus que discutables qu'il a décidés, est limitée, et qu'il sait pertinemment qu'il ne pourra pas se permettre de décevoir une fois de plus le milieu de la recherche.
Or l'argent non consommé, c'est du temps perdu pour la recherche, et nous en avons suffisamment perdu comme cela depuis deux ans. La situation de l'emploi scientifique dans ce budget en est l'illustration flagrante.
Alors même qu'elle constitue la préoccupation majeure du milieu de la recherche, que l'avenir des jeunes chercheurs est au coeur de leur mobilisation, c'est l'attentisme. Bien sûr, le Gouvernement a tenu les promesses arrachées par le mouvement des chercheurs le printemps dernier, il ne pouvait pas en être autrement, mais, en dehors de cela, c'est le néant pour l'emploi pérenne. Les simples maintiens de postes statutaires sur deux exercices constituent un gage bien faible au regard des estimations européennes qui évaluent à 700 000 le nombre d'emplois de chercheurs supplémentaires nécessaires d'ici à 2010.
Concernant les pôles de compétitivité, outre le flou dans les modalités du dispositif et l'absence de compensation des exonérations de taxes professionnelle et foncière des entreprises déjà relevée par mes collègues lors de l'examen de l'article 12 du projet de loi de finances, il n'a été question, pour l'instant, que de mesures fiscales et sociales incitatives en faveur des entreprises. Aussi souhaiterais-je savoir, monsieur le ministre, quelles incitations, par exemple en termes de moyens supplémentaires, de soutien au montage de projets ou de recrutements de post-doctorants, sont envisagées pour les organismes de recherche publics, explicitement cités comme acteurs principaux des pôles de compétitivité à dominante technologique ?
J'aborderai enfin le volet européen de la recherche. Comme notre collègue Pierre Laffitte, j'attendais les conclusions du Conseil « compétitivité » des 25 et 26 novembre dernier, sur les grands traits du septième programme cadre pour la recherche et le développement, or celui-ci n'a donné malheureusement lieu à aucune proposition concrète. Je partage tout à fait la position de notre rapporteur à propos du nécessaire allègement des procédures européennes. J'ajouterai qu'un des enjeux pour nos laboratoires publics est de pouvoir bénéficier d'une mutualisation de personnels compétents pour répondre aux appels d'offres de Bruxelles, afin d'améliorer le taux de retour pour notre pays.
Nous sommes favorables également, comme nous l'avons indiqué à Grenoble, lors des assises nationales de la recherche, à l'exclusion des dépenses de recherche du pacte de stabilité européen.
En revanche, contrairement à notre ami Pierre Laffitte, nous ne pouvons être favorables au budget de la recherche pour 2005, qui est bien loin d'impulser la dynamique nécessaire et réclamée par le mouvement des chercheurs pour l'avenir de notre système de recherche.