Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord vous prier d'excuser notre collègue Jean-Paul Emorine, qui avait prévu de s'exprimer sur ce budget en sa qualité de président de la commission des affaires économiques mais qui, en raison d'un empêchement imprévu, ne pourra être avec nous ce soir. Il m'a fait l'honneur de me demander de m'exprimer ce soir en son nom, en ma qualité de membre de cette commission.
La recherche est devenue un enjeu économique essentiel pour notre économie, notre place dans le monde et nos emplois. C'est une réalité qui va désormais au-delà de son intérêt intrinsèque pour l'augmentation des connaissances humaines.
C'est pour cette raison que le président de la commission des affaires économiques et du Plan souhaitait vous faire part de ses réflexions au seuil de cette année 2005, qui sera l'année de la loi d'orientation et de programmation pour la recherche à laquelle notre commission - comme d'autres - se prépare activement. Vous avez pu vous en rendre compte en écoutant le rapporteur pour avis Henri Revol.
Notre collègue Christian Gaudin, rapporteur pour avis des crédits de l'industrie, a, lui aussi, beaucoup travaillé sur les nouveaux pôles de compétitivité. Et, toujours au sein de notre commission, Bernard Dussaut, nous a présenté un avis budgétaire sur les industries agroalimentaires, dans lequel il pose des questions fortes sur la recherche en matière de biocarburants.
Monsieur le ministre, le président Jean-Paul Emorine souhaitait vous assurer que la commission des affaires économiques du Sénat, dans toutes ses composantes, était engagée pour apporter sa contribution à l'organisation de la recherche française, dans un contexte international qui ne nous donne pas le droit à l'erreur.
Ce contexte international, quel est-il ?
Monsieur le ministre, vous connaissez la célèbre formule : « quand on se regarde, on se désole ; mais quand on se compare, on se console ».
Eh bien, s'agissant du contexte international en matière de recherche, on a parfois tendance à penser l'inverse : quand on regarde l'effort sans précédent du Gouvernement dans le budget 2005 et ses engagements pour 2006 et 2007, on peut être très satisfait, mais quand on évalue l'effort d'autres pays, des questions et des préoccupations subsistent encore.
En effet, il semble que les cartes de l'avance technologique, c'est-à-dire celles du monde de demain, se redistribuent à une vitesse encore inédite.
Depuis 1997, alors que la France glissait doucement de la quatrième vers la cinquième place mondiale en termes de dépenses comme de nombre de publications, la Chine, quant à elle, augmentait sa production scientifique de 80 %, passant ainsi de la treizième à la septième place. A ce rythme-là, elle sera devant la France d'ici deux à trois ans. Ce phénoménal rattrapage sera d'ailleurs l'une des préoccupations de la mission que notre commission a prévu d'effectuer en Chine au mois de septembre 2005.
Certes, face aux Etats-Unis, face au Japon, numéro deux mondial qui accélère son effort, et face à la Chine de demain, on pourrait se dire qu'il ne faut plus considérer la France seule, mais l'Europe. Ce n'est pas le président de la commission des affaires économiques qui affirmerait le contraire. Car la dimension européenne y est une priorité naturelle, qu'il a d'ailleurs souhaité renforcer.
Mais la politique européenne de la recherche nous paraît appeler deux observations.
La première, c'est que le programme cadre de recherche et de développement, le PCRD, n'est pas assez centré sur les PME. Pourtant, les travaux de notre commission démontrent que c'est là que se trouve le potentiel de rattrapage européen pour s'approcher de l'objectif, arrêté au conseil européen de Barcelone en 2002, de 3 % du PIB consacré à la recherche et au développement en 2010.
La France est d'ailleurs en dessous de la moyenne européenne en ce domaine, car la recherche de l'ensemble des PME y est trois fois moins importante que celle des grands groupes.
Or notre pays est à la traîne en matière de recherche privée, puisque celle-ci ne représente que 55 % de l'effort national, alors qu'elle représente près de 70 % dans le reste de l'Europe. Il est donc urgent de faire aussi de l'Europe un levier de la recherche et du développement des PME-PMI.
On nous avait d'ailleurs promis un sixième PCRD plus souple et mieux adapté aux PME. Malheureusement, les procédures administratives, les exigences de coopération aussi fortes que pour les grands organismes ainsi que des critères trop académiques et pas assez technologiques ont empêché la greffe de prendre.
On nous promet de nouveau la même chose pour le septième PCRD en préparation. Nous serons très vigilants avant, pendant et après la décision qui sera adoptée, afin qu'elle profite à nos PME.
La seconde observation est autant un regret qu'un constat, qu'il nous faut énoncer sans ambages.
Le fameux espace européen de la recherche n'existe pas encore, malgré le cadre fixé par la communication de la Commission du 18 janvier 2000. Savoir s'il existera demain est aujourd'hui une interrogation majeure.
Le nouveau commissaire à la science et à la recherche, M. Janez Potocnik, fera-t-il preuve de la même volonté sur ce sujet que son prédécesseur, M. Francis Busquin ?
Voici deux questions clés.
Dans les faits, si nous savons nous mobiliser sur des très grands projets comme ITER, nous n'avons pas su créer une réalité quotidienne de la recherche européenne. Les stratégies et initiatives restent nationales, la mobilité des équipes n'est pas plus forte en Europe qu'à l'international, et je ne reviens pas sur le retard préoccupant du brevet communautaire. Nous devons aller au-delà de la course aux subventions du BCRD.
En matière de recherche, nous n'avons pas encore su trouver ces points d'équilibre dynamique entre la concurrence et la coopération, entre l'ancrage local et la mobilité, entre la solidarité européenne et le positionnement mondial qui font pourtant la force de notre continent dans d'autres domaines.
Mais il est clair, monsieur le ministre, que la France ne saurait tout attendre de l'Europe et que son principal défi est de se remettre dans le rythme d'un monde ou tout s'accélère.
Il existe sans doute un lien entre la baisse progressive des performances de la recherche française, en termes de dépôts de brevets ou d'impact des travaux, et sa difficulté à se réformer à un rythme lui permettant de rester en phase avec son temps.
Ces difficultés sont-elles dues à une certaine tendance à rester trop centrée sur ses structures, les statuts de ses personnels et ses procédures, et à ne pas se demander assez ce que serait la meilleure organisation de la recherche française au regard de ce qui se fait ailleurs, puis à prendre les moyens de réaliser cette organisation optimale ? Quel est votre sentiment sur ce sujet, monsieur le ministre ?
Les débats que nous aurons dans les prochains mois se devront de faire émerger une convergence d'analyses pour établir le diagnostic, mais ils ne devront pas s'en contenter. Ils devront aussi nous permettre de construire des solutions prospectives et dynamiques.
Au sein de notre commission, dont les attributions englobent des aspects de l'économie qui vont du sillon au satellite, nous avons remarqué qu'il y avait sans doute là une spécificité de notre pays, qui reste longtemps réticent, voire rétif, aux réformes, puis qui, confronté à une crise menaçante, se réveille un jour en un sursaut et recolle en quelques années au peloton de tête.
Nous avons connu cela pour la modernisation agricole, pour le téléphone, pour l'espace, pour l'automobile et, plus récemment, pour l'Internet. II est indispensable que ce soit le cas, demain, pour la recherche.