Monsieur le président, monsieur le ministre, à cette heure avancée, l'hémicycle n'est pas aussi rempli qu'on pourrait le souhaiter compte tenu de l'importance du débat qui nous réunit, et je rejoins tout à fait notre collègue Pierre Laffitte pour regretter cette manifestation du désintérêt - j'ose à peine prononcer le mot - de la représentation nationale. Il est vrai que les conditions matérielles dans lesquelles ce débat se déroule ne sont guère favorables à une présence très forte. En tout cas, elles ne sont pas à la hauteur des attentes et des besoins de la nation en la matière.
Monsieur le ministre, vous nous soumettez ce soir un projet de budget pour la recherche qui n'est pas un budget ordinaire ou, plutôt, qui ne devrait pas être un budget ordinaire, compte tenu non seulement des enjeux, qui ont été exposés à plusieurs reprises, mais aussi des circonstances.
Vous-même êtes un élu local. Notre assemblée est en prise avec les réalités territoriales. Nous savons bien, peut-être plus que d'autres, quels chocs représentent la mondialisation, l'innovation, la concurrence, qui peuvent déstructurer et nos économies et nos territoires.
Nous savons aussi que nous avons une chance, une porte de sortie : gagner la course à l'innovation. Une mobilisation générale de la nation pour gagner cette course à l'innovation par la recherche est donc nécessaire.
Cette analyse est d'ailleurs largement partagée par les uns et par les autres. Ce soir, il a été fait à plusieurs reprises référence à l'objectif de Lisbonne. Les autorités les plus éminentes de la nation, dont le chef de l'Etat lui-même, se sont engagés formellement à donner à la France et à ses chercheurs les moyens de participer à ce grand effort national. Je rappelle la substance de cet engagement : la recherche devra représenter 3 % du produit intérieur brut d'ici à 2010.
Je vais vous faire une confidence. Lorsque vous avez, il y a quelques semaines, lors de la préparation du budget, fait part des intentions du Gouvernement, j'ai cru que vous alliez effectivement vous situer pleinement dans la ligne de cet objectif et répondre à cet engagement. A y regarder de plus près, je crois que l'optimisme dont on pouvait alors faire preuve doit être quelque peu tempéré.
Ma deuxième observation générale porte sur le contexte dans lequel vous avez préparé et présenté ce budget ; il en a déjà été question, mais je pense qu'il n'est pas inutile d'y revenir
Ce contexte a été celui d'un mouvement historiquement exceptionnel, unique dans notre pays comme en Europe. A cet égard, je voudrais rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont été les instigateurs et les animateurs du mouvement « Sauvez la recherche ».
D'abord, ils ont fortement contribué à améliorer la prise de conscience par la nation de l'enjeu que représente la recherche pour notre pays. En témoigne l'initiative qui a accompagné cette prise de conscience et qu'a prise l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, auquel j'appartiens.
Nous avons été invités, mes collègues et moi-même, à aller à la rencontre des chercheurs. Nous nous sommes rendus dans les laboratoires, dans les entreprises, dans les universités : c'est donc sur le terrain que nous avons pu recueillir des témoignages sur les difficultés concrètes que rencontrent les chercheurs dans leur pratique professionnelle quotidienne. Cela a constitué pour nous une source d'informations considérable. Au demeurant, il était également important que les chercheurs puissent constater que les représentants de la nation, les députés, les sénateurs, étaient effectivement attentifs à leurs préoccupations.
Ce début de rencontre entre la nation et la recherche fut un grand progrès.
Par ailleurs, dans le combat qu'ils ont mené, les chercheurs ont fait preuve à la fois d'intelligence, de détermination et d'un grand sens des responsabilités. Ce sens des responsabilités s'est du reste retrouvé dans les propositions concrètes qui ont été formulées lors des états généraux de Grenoble, auxquels il a déjà été fait plusieurs fois allusion.
Au total, ce mouvement des chercheurs a atteint un certain nombre de ses objectifs.
Il a d'abord contraint le Gouvernement - excusez-moi, monsieur le ministre ! - à revenir sur une politique que l'on avait du mal à comprendre, une politique de « casse » financière de la recherche ; comment l'appeler autrement ?: Force est de dire que la recherche française a connu véritablement deux années noires.
Le mouvement a aussi obtenu, à travers les états généraux, la reconnaissance du rôle de la recherche et des chercheurs. Vous-même vous y êtes rendu avec un certain nombre de personnalités.
Ce mouvement, dont on souligne aujourd'hui l'intérêt, aurait sans doute pu être évité.
Permettez-moi de vous conter une anecdote, monsieur le ministre. Il se trouve que dans le cadre de l'Office parlementaire, j'avais personnellement déposé, en janvier 2003, un rapport consacré aux micro et nanotechnologies. Ce rapport concluait notamment sur la nécessité d'appeler l'attention des pouvoirs publics, et donc, en particulier, celle du ministre en charge de la recherche à l'époque, sur la situation qui m'avait semblé très dégradée dans les laboratoires, où la tension était très vive. J'avais indiqué qu'il était grand temps de penser à élaborer une loi d'orientation et de programmation pour la recherche.
Il me semble que, de temps en temps, les pouvoirs publics et les cabinets pourraient porter un peu plus d'attention à certains rapports parlementaires, le cas de celui que viens d'évoquer n'étant pas isolé.
Monsieur le ministre, vous affichez le fameux milliard d'augmentation. Comme plusieurs de mes collègues l'ont signalé, ce milliard se décompose en réalité en trois parties. Seuls 356 millions d'euros supplémentaires apparaissent, à mettre en rapport, me semble-t-il, avec les réductions sensibles qui étaient intervenues au cours des années précédentes.
Cela me conduit à vous rapporter une seconde anecdote. J'ai rencontré cet après-midi dans le TGV un jeune universitaire, très intéressé par toutes ces problématiques. Il m'a dit craindre que cet argent supplémentaire ne soit finalement consacré en quasi-totalité aux dépenses supplémentaires qui n'ont pas été quantifiées lors de la mise en place de la réforme LMD - licence-mastère-doctorat. Si tout le monde s'accorde à considérer que cette réforme doit être réalisée, il n'en demeure pas moins que, en accroissant la charge de travail d'un certain nombre d'universitaires et de chercheurs, va entraîner une consommation tout à fait exceptionnelle d'heures supplémentaires.
Je me fais donc l'écho de l'observation de ce jeune universitaire, monsieur le ministre, en vous posant cette question : cette réforme LMD ne va-t-elle pas consommer la quasi-totalité de l'enveloppe supplémentaire ?
Par ailleurs, je doute que cette proposition budgétaire entre dans le cadre du calendrier de Lisbonne. Il faudrait, me semble-t-il, aller un peu plus loin et un peu plus vite.
Vous me permettrez de vous interroger sur l'interprétation que vous faites des promesses du Premier ministre. Celui-ci a annoncé - c'est du moins ce que nous avons cru comprendre, les uns et les autres - une augmentation supplémentaire de 1 milliard d'euros par an pendant trois ans. Cela signifie logiquement 1 milliard en 2005, 2 milliards en 2006, 3 milliards en 2007.
Est-ce la lecture que fait Bercy de l'engagement du Premier ministre ? Quelle lecture faites-vous, vous-même, de ses propos ?
Je partage totalement ce qui a été dit par l'une de nos collègues quand elle a évoqué la situation internationale. Nous sommes en effet confronté, en matière de recherche comme en bien d'autres domaines à la concurrence internationale, à une véritable compétition, et tout jugement sur l'état de la recherche dans notre pays est vain si l'on n'établit pas une comparaison internationale.
Le temps passant, je me contenterai d'évoquer un point que j'ai mis en évidence dans mon rapport sur les micro et nanotechnologies.
Dans ce secteur central pour l'avenir d'un certain nombre d'industries, lorsque la France engage, au titre de la recherche et du développement, 50 millions d'euros - j'ai effectué les vérifications -, l'Allemagne en engage 200 millions, l'Europe, dans sa globalité, 500 millions, le Japon 1, 3 milliard de dollars et les Etats-Unis 3 à 4 milliards de dollars.
J'admets que l'on dise que notre recherche sera plus efficace si elle se réforme. Néanmoins, ainsi que cela a été souligné, on ne pourra pas se dispenser de donner à nos chercheurs des moyens comparables à ceux dont bénéficient les chercheurs des autres grands pays pour mener leurs travaux.
Pour cet ensemble de raisons, monsieur le ministre, nous considérons que les moyens que vous mettez en oeuvre, même s'ils sont en progrès, ne font que résorber une situation antérieure, qu'ils ne répondent pas pleinement aux enjeux de notre époque. Nous voterons donc contre votre budget en attendant avec beaucoup d'intérêt les propositions que vous nous soumettrez lorsque sera présentée le projet de loi d'orientation et de programmation.