Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, qui transpose deux directives européennes, celle de 1997 et celle de 2002, a pour objet « de garantir la mission de service universel postal dans un contexte d'ouverture à la concurrence ».
Cette deuxième lecture, tardive sans doute par rapport à la première, rencontre, par un heureux hasard, une double actualité au coeur des préoccupations des Français : la question européenne et la question du maintien et de la présence des services publics sur l'ensemble du territoire.
Pour la question européenne, le rapport est évident, puisque la première raison d'être de ce texte, c'est le respect du droit européen. Faut-il le rappeler, sans cette initiative législative, la France se serait vue condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes pour défaut de transposition.
La directive postale de 1997 enjoint la mise en place d'une autorité de régulation indépendante ; la directive de 2002 restreint progressivement le champ du secteur réservé de La Poste avec pour objectif de faire disparaître le monopole dans quatre ans, c'est-à-dire en 2009 !
Nous retrouvons, une fois de plus, la problématique, il est vrai, récurrente du maintien des services publics et de l'ouverture à la concurrence. Mais, en l'occurrence, il faut profiter de l'espace juridique que nous laisse encore le droit communautaire pour que nous puissions adapter La Poste à un environnement qui va devenir, certes, de plus en plus concurrentiel, et c'est toute l'inspiration du texte.
Au passage, il y a une autre question intéressante à évoquer, car elle coïncide elle aussi avec l'actualité : jusqu'où l'Union peut-elle intervenir dans l'organisation de nos services publics ? C'est un domaine qui, à mon sens, exprime le caractère propre de chaque démocratie nationale.
Pour l'instant, la porte d'entrée du droit européen a toujours été le droit à la concurrence.
Je voudrais juste faire remarquer, à de simples fins pédagogiques, que, demain, avec l'article III-122 du projet de Constitution européenne, « les principes et les conditions de fonctionnement » des services économiques d'intérêt général dépendront à la fois de Bruxelles et de la majorité qualifiée. C'est un rappel qu'il est important de faire aujourd'hui.
La seconde grande question d'actualité, c'est la présence et l'avenir des services publics sur le territoire.
Le Président de la République, lors du conseil des ministres du 23 février dernier, a demandé solennellement au Gouvernement de se montrer vigilant « pour défendre les services publics en milieu rural ». Si le Président de la République lui-même s'en préoccupe, ce n'est donc pas une question mineure !
Je crois qu'il est important de clarifier ce point, parce qu'il semble capital, mais aussi ambigu. Capital, et c'est un bon point que la commission des affaires économiques du Sénat ait été la première à proposer d'assigner à La Poste une mission d'intérêt général relative à l'aménagement du territoire. Ambigu, parce que l'on entend trop souvent dire que parler de l'aménagement du territoire, ce serait le prétexte à tous les immobilismes et au refus de la modernité.
Autant il me semble nécessaire de soumettre La Poste à l'impératif de performance, c'est pour elle la condition de son développement et même de sa survie, autant il me paraît essentiel de maintenir un haut niveau de couverture et de qualité de ce qui est pour beaucoup de Français le symbole du service public. Et à ceux qui prétendent que cette idée va à l'encontre de la modernité, je voudrais opposer trois objections.
Premièrement, un réseau postal dense en France est une condition indispensable pour la compétitivité et l'attractivité de nos territoires, mais aussi celle de nos PME-PMI. J'invite ceux qui en douteraient à venir interroger des chefs d'entreprise en milieu rural, ils ne seraient pas déçus !
Deuxièmement, penser aujourd'hui l'espace rural comme un espace vide, c'est une vision du passé. Comme l'a très bien montré l'étude de la DATAR il y a un an, l'espace rural s'est profondément transformé depuis vingt ans.
Dans une France où les ruraux sont deux fois plus nombreux que chez nos partenaires européens - comparaison n'est pas raison en la matière - la ruralité n'est plus à la remorque de la modernité. Bien au contraire, elle est désormais à la mode, puisque de plus en plus de citadins sont attirés par nos campagnes. Aujourd'hui, si l'on peut parler d'exode en France, ce n'est certainement pas d'exode rural, mais c'est précisément d'exode urbain. De sorte qu'il faut se méfier : adapter le réseau postal ? oui, mais pas sur des schémas anciens et dépassé et, au contraire, sur les nouvelles réalités du XXIe siècle.
Troisièmement, enfin, à l'heure de la mondialisation, les territoires qui tireront demain leur épingle du jeu sont ceux qui jouissent tout à la fois d'une forte identité et d'une forte cohésion sociale. Or la raréfaction des services publics est souvent vécue, notamment par les élus locaux, comme l'effacement des symboles de l'Etat et de la communauté nationale. Elle nourrit un sentiment d'abandon et de découragement.
C'est la raison pour laquelle les deux formes de l'expression du service public postal que sont, d'un côté, le service universel et, de l'autre, la présence postale continue, doivent être non seulement consacrées - elles le sont par ce texte, mais pas suffisamment - mais aussi sanctuarisées. C'est, à mes yeux, fondamental.
Au reste, si ces deux concepts sont différents, ils sont en même temps indissociables. Différents, parce que le droit européen impose de bien clarifier ce qui est du relève du financement du service universel et de l'effort propre à l'aménagement du territoire, mais en même temps indissociables dans la réalité, parce que ce lien repose sur deux principes très forts de la République : le principe d'égalité des citoyens et le principe de l'unité de la République.
Dans le cadre du service universel, tous les Français peuvent, où qu'ils résident, correspondre et donc communiquer. Dans le cadre de la présence postale, ils peuvent accéder à des points de contact dans des conditions à peu près équivalentes où qu'ils se trouvent en France.
La Poste doit-elle être performante à l'heure où son environnement va devenir de plus et plus concurrentiel ? La réponse est sans hésitation oui.
Doit-elle pour autant s'abandonner à la seule logique du marché en délaissant tout autre exigence, notamment d'intérêt général ? La réponse est clairement non.
Or, mes chers collègues, il est possible de concilier ces deux logiques à la condition expresse de donner au service public universel et à la présence postale de véritables moyens.
S'agissant du service universel, notamment en zone non rentable, les moyens de sa consolidation et de sa pérennité sont de deux ordres.
Il s'agit d'abord de donner à La Poste des perspectives de développement de ses activités et d'une gestion modernisée de ses ressources humaine ; le projet de loi y pourvoit tout à fait.
L'autre voie qui permettra de consolider le service universel est de définir précisément, dans la durée, son mode de financement. Le projet de loi est, sur ce point, trop timide, puisque l'on y repousse l'examen de cette question de plusieurs années. Ce point est pourtant trop important pour qu'il soit remis à plus tard. Compte tenu de l'augmentation prévisible de la pression concurrentielle, La Poste ne sera pas en mesure de supporter seule le coût de 250 millions d'euros que représente le service universel.
C'est pourquoi je propose d'instituer un fonds de compensation des charges du service universel, notamment pour garantir l'exercice de ce service en zone non rentable.
Ce fonds, qui serait abondé par une contribution versée par chaque opérateur alternatif est parfaitement compatible avec la directive communautaire du 10 juin 2002. Nous qui souvent déplorons que le droit européen entrave notre liberté, nous ne pouvons pas, lorsqu'il nous donne cette liberté, nous priver de saisir cette occasion.
Enfin, l'autre mission de La Poste qu'il faut confirmer, c'est son rôle d'aménageur du territoire.
Là encore, dans sa décision jurisprudentielle FFSA, la Cour de justice des Communautés européennes reconnaît expressément la notion de « présence postale, notamment en zone rurale », ainsi que son financement par des aides d'Etat. Il faut, là aussi, s'en saisir.
Si l'on veut faire avancer ce dossier, on doit le faire dans trois directions.
Premièrement, il faut définir juridiquement la mission de service public et son rôle, et l'article 1er n'est sans doute pas suffisamment précis quant à la notion de « présence postale ».