Monsieur le président monsieur le ministre, mes chers collègues, je mettrai en exergue de mon propos ce constat de notre éminent collègue, aujourd'hui ministre, Gérard Larcher : «Pour résumer, on pourrait dire qu'au cours des dernières années, l'Etat n'a pas tenu les engagements favorables qu'il avait pris envers La Poste mais qu'il a, en revanche, appliqué scrupuleusement les dispositions qui étaient défavorables à l'opérateur. »
Prenons-le pour une invitation à délaisser les stériles recherches en paternité des errements passés, pour nous consacrer à l'essentiel, à savoir : fixer le cadre garantissant la viabilité de La Poste, entreprise chargée de missions de service public et de service universel dans un contexte concurrentiel ; répondre, enfin ! aux attentes des élus locaux, particulièrement à celles des maires ruraux mobilisés pour le maintien du service postal de qualité dont dépend la vie de leurs communes.
Je rappelle que 6 234 conseils municipaux - ce n'est pas rien ! - ont, sur l'initiative de l'Association des maires ruraux de France, délibéré pour demander, par-delà les habituelles déclarations de principe sur le maintien du service postal, qui ne « mangent pas de pain », comme l'on dit en Provence, des dispositions précises permettant d'y parvenir. Ils suggéraient ainsi la création, par la loi, d'un fonds postal national de péréquation territoriale, la fixation, toujours par la loi, du montant de ce fonds et de ses modalités de financement, et la gestion paritaire et déconcentrée de ce fonds. Ces délibérations ont été remises il y a quelques instants au président du Sénat. Cela faisait une belle pile !
Pour répondre de manière satisfaisante à ces deux objectifs essentiels, il faut au préalable clarifier les missions de La Poste et leur financement.
Actuellement, La Poste remplit trois types de missions : offrir des services commerciaux dans un cadre concurrentiel, assurer le service universel européen dans le cadre d'un monopole partiellement conservé et assurer des missions de service public dont les autres opérateurs sont dispensés telles que l'aide à la diffusion de la presse, la cohésion sociale par l'offre de services financiers non discriminants, l'aménagement et le développement du territoire par une présence postale suffisante sur l'ensemble du pays.
A ces trois types de missions devraient logiquement correspondre des financements identifiés et spécifiques. Or ce n'est pas le cas.
S'il est normal de demander à La Poste de financer par le seul produit de son activité ce qui relève du secteur concurrentiel, on ne peut lui demander de supporter seule le coût du service universel, et encore moins celui du service public. Jusqu'à présent, on a fait comme si, mais la politique de l'autruche à des limites, que l'on atteint aujourd'hui.
La viabilité de La Poste suppose un financement spécifique du service universel, qu'il s'agisse du courrier ou du service universel bancaire, si ce dernier venait à être créé, comme nous le proposerons. Dès lors que les recettes de ce qui reste du monopole n'y suffiraient pas, il faudra bien que l'ensemble des prestataires de services postaux y contribuent, à travers un fonds de compensation aux ressources clairement identifiées.
L'aide à la diffusion de la presse, prérogative d'Etat s'il en est, ne peut être financée que par lui-même. Qui, honnêtement, pourrait dire le contraire ?
Quant à la présence postale territoriale, le fonds national de péréquation devrait y pourvoir. Le texte qui nous revient en deuxième lecture le prévoit, mais, comme d'habitude, en évitant de préciser comment ce fonds sera alimenté et à quelle hauteur. Tant que nous ne l'aurons pas précisé, nous resterons dans le domaine de la gesticulation.
La Poste qui, jusque-là, se disait dans l'incapacité d'alimenter ce fonds, accepterait, aux dernières nouvelles, de contribuer à hauteur de l'exonération de fiscalité locale dont elle bénéficie, soit 150 millions d'euros.
Je comprends le message destiné à laver La Poste de tout soupçon aux yeux des cerbères de la concurrence. Mais comment pourra-t-on, sans un euro de plus, financer le surcoût de la présence postale territoriale, estimé généralement à 500 millions d'euros, sauf à l'euthanasier ou à la sous-traiter aux collectivités locales ? Nous y reviendrons.
Nous proposerons, comme source de financement supplémentaire, d'instaurer une taxe sur les courriers non adressés - ces prétendus courriers qui encombrent les boîtes à lettres avant de joncher le sol et d'être ramassés par des employés communaux - et de prévoir une dotation de l'Etat.
En ces temps où, pour être politiquement correct, « il faut désintoxiquer les français de la dépense publique », en tout cas de celle qui profite au plus grand nombre, je mesure l'incongruité, que dis-je ? la grossièreté, de mon propos en ces lieux.
Je ferai simplement observer que si le présent projet de loi aboutit, l'Etat verra ses recettes de TVA augmenter, du fait de la facturation de services de La Poste aux autres prestataires de services postaux - article 1er, alinéa 6° du projet de loi - ou à sa filiale bancaire. Le dispositif prévu créant mécaniquement des ressources nouvelles pour l'Etat, il n'y aurait rien de choquant à ce que ce dernier en profite pour assumer enfin ses obligations en matière de service public.
Mais si l'équilibre financier et la pérennité de La Poste passent par la compensation financière de ses missions de service public et de service universel ainsi que par des gains de productivité, ils passent également par le développement de ses services financiers.
Il s'agit, comme mon prédécesseur l'a dit, de rajeunir et de fidéliser une clientèle qui quitte La Poste faute d'y trouver les crédits ou les assurances dont elle a besoin. Il s'agit de conforter globalement l'activité du réseau, et particulièrement dans ses parties les plus menacées.
Les services financiers assurent, en effet, quelque 60 % du chiffre d'affaires des bureaux de poste, et jusqu'à 80 % pour les plus petits. « Sans services financiers, le réseau de La Poste ne serait que l'ombre de ce qu'il est », indiquait encore Gérard Larcher dans son rapport de 2003.
Pour développer ses services financiers, La Poste doit avoir la possibilité d'offrir des produits nouveaux, notamment du crédit à la consommation. Son propriétaire - l'Etat -lui a toujours refusé cette possibilité ; il doit enfin se décider à autoriser de telles offres.
Faut-il pour autant créer un établissement de crédit postal indépendant ? Sous certaines conditions, je le pense, mais je laisserai à mes collègues le soin de développer ce point pour consacrer le temps qui me reste au second enjeu essentiel de ce projet de loi : répondre enfin et complètement aux attentes des élus locaux en général, des ruraux et des habitants des zones urbaines sensibles en particulier.
L'attente est forte, et je n'insisterai donc pas sur ce point. Est-elle légitime ? Evidemment non, répondent nos modernes éradicateurs, pour des raisons de saine gestion. Et de comparer le nombre de points de contacts à la population desservie, les minutes d'activité de tel ou tel bureau de poste, les « points 539 ». Ces arguments sont imparables, mais seulement en apparence, car le calcul en termes de points de contacts n'a pas plus de sens que de compter des véhicules en ajoutant des poids lourds et des vélos.
Ce qui compte, ce n'est pas le nombre de points de contacts, c'est ce qu'ils coûtent à La Poste. Et là les surprises commencent.
Un rapport de la mission du conseil général des technologies de l'information, daté d'avril 2004 et demandé par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, estime à seulement 2 500 postes équivalents temps plein le gain qui résulterait de la transformation de 5 000 bureaux de poste en agences postales ou points Poste.
Le rapport en conclut que le gain sera mince pour La Poste, encore plus mince après déduction du coût des structures de remplacement : « Ce sont donc les bureaux importants de plein exercice qui devront supporter l'essentiel de l'effort de gain de productivité. C'est pourquoi la mission est convaincue que l'enjeu majeur se situe dans les grands établissements, où existe le principal risque social... ».
En clair, sur un strict plan financier, le démantèlement du réseau postal rural n'a qu'un intérêt marginal. Les gains de productivité dont dépend la survie de l'entreprise doivent être recherchés ailleurs.
Je cite encore le rapport : « Il y a un paradoxe supplémentaire dans le dossier du réseau des bureaux de poste : alors que l'attention s'est toujours focalisée sur la présence de La Poste en milieu rural considérée comme source de non-compétitivité, le principal gisement de productivité se trouve apparemment dans les grands bureaux, qui relèvent de la seule organisation interne de La Poste. »
Sauf à penser qu'il s'agit d'une variante de l'histoire du fou qui cherche sa clef sous le réverbère, parce qu'il y a de la lumière, plutôt qu'aux endroits où il a une réelle chance de la trouver, pourquoi vouloir imposer un projet de réorganisation dont La Poste ne tirera que des avantages financiers marginaux, au prix de dégâts irréparables sur des pans entiers de notre territoire ? Tout simplement pour des raisons idéologiques. Je cite encore : « Même si la contribution à l'amélioration de la compétitivité de La Poste reste modeste, l'évolution de la présence postale à travers des partenariats présente des aspects qui pour n'être pas strictement économiques n'en sont pas moins stratégiques. Les évolutions culturelles sous-tendues par la réussite de la transformation du réseau sont en effet de première importance. La généralisation de partenariats pour assurer le maintien du service postal en tant que politique de l'entreprise La Poste, non plus seulement au titre d'expérimentations locales, conduit de fait à l'éclatement de la vision traditionnelle du bureau intégré, symbole de la présence postale en France, que partagent aussi bien les personnels que les élus locaux ou le public. » Et il ne s'agit pas ici de littérature de la IIIe Internationale. On ne saurait être plus clair : le démembrement du réseau postal rural n'est pas imposé pour des raisons de bonne gestion mais résulte de choix idéologiques, ou, comme on dit en termes politiquement corrects, de choix culturels.
Il est donc parfaitement possible de donner à La Poste un cadre stable pour ses activités, en respectant aussi bien les contraintes européennes que celles qu'impose la saine gestion, à laquelle tous les maires sont attachés.
Il est parfaitement possible, pour un coût marginal et politiquement justifié, d'irriguer l'ensemble de notre territoire par un service postal de proximité de qualité. Encore faut-il le vouloir ! Nous saurons bientôt si telle est la volonté du Gouvernement et s'il se trouve une majorité de sénateurs pour le vouloir aussi.