Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 8 mars 2005 à 22h00
Régulation des activités postales — Demande de renvoi à la commission

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Ce n'est certainement pas le cas de ceux d'entre nous qui, en conscience, admettent la complexité d'une réforme qu'ils ne rejettent pas par dogme, mais dont ils voudraient être sûrs qu'elle ne sacrifie ni une entreprise qui a contribué à construire un territoire, ni ceux qui la font vivre au quotidien, ni même tel ou tel territoire défavorisé, au nom d'une exigence européenne compréhensible dont on n'aurait néanmoins pas utilisé toutes les souplesses d'application pour garantir notamment l'équité territoriale et humaine dans la mise en oeuvre d'un service au public de première nécessité.

S'il y avait eu un délai convenable entre l'adoption de ce texte en seconde lecture par l'Assemblée nationale et son examen par notre assemblée, si l'organisation de notre travail en commission avait été plus conséquente, nous aurions pu débattre ce soir en toute connaissance de cause des questions qui restent en suspens et que la discussion en séance ne permettra pas de traiter sérieusement, car elles demandent des analyses fouillées.

Sur la présence territoriale, quelles seront les conséquences de l'application de l'article 1er bis ? Les membres de mon groupe, comme ceux qui ont regardé les choses de près - je pense tout particulièrement à l'Association des maires ruraux de France, l'AMRF, ou à l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM -, ne peuvent se satisfaire de la proposition selon laquelle 10 % de la population d'un département se trouverait éloignée de plus de cinq kilomètres des points de contact de La Poste les plus proches.

Compte tenu de la concentration de la population au fond des vallées ou autour des bourgs les plus importants, cette règle - les sénateurs des départements ruraux et de montagne le savent bien - entraînera un « désert postal » sur plusieurs dizaines de kilomètres, avec des temps d'accès malheureusement rédhibitoires pour peut-être 40 % ou 50 % de la superficie du département.

Selon le ministère de l'industrie lui-même, se fondant sur le rapport de son Conseil général des technologies de l'information paru en avril 2004, La Poste pourrait remplir l'exigence de présence territoriale imposée dans l'article 1er bis avec seulement 56 % du nombre des bureaux qu'elle possède à ce jour, soit 9 500 implantations, contre près de 17 000 aujourd'hui.

Mes chers collègues, à qui le tour ? Selon la définition proposée, un point de contact peut, demain, n'être qu'un point Poste dans un commerce ? Les exemples cités par M. Teston et Mme Durrieu sont éloquents à ce sujet.

Cela m'amène à m'interroger sur la cohérence entre la loi relative au développement des territoires ruraux que nous avons votée il n'y a pas si longtemps et le texte que nous examinons aujourd'hui, qui, lui, vise à favoriser le départ de l'un de nos services publics.

D'ailleurs est-il fondé que la charge de l'acheminement de la presse écrite, parce que l'Etat, en un temps, a décidé une exonération partielle de l'affranchissement, soit supportée par La Poste à concurrence de 480 millions d'euros annuels ? Est-ce à La Poste de continuer à assumer ce coût alors que, à travers des partenariats locaux plus ou moins efficaces, chacun s'échine à maintenir une présence postale en mettant des investissements immobiliers à la charge des communes ou en concluant des baux aux loyers symboliques au bénéfice de l'établissement public ?

Nous n'entendons pas « momifier » le réseau dans sa configuration actuelle. Mais on estime à 530 millions d'euros le coût pour La Poste de son rôle en matière d'aménagement du territoire. Avec les 150 millions d'euros d'allégements fiscaux dont elle bénéficie et le paiement par l'Etat du coût réel de l'acheminement de la presse, soit 480 millions d'euros, on est déjà au-delà du point d'équilibre. Et pourtant, nul débat n'a porté sur cette question centrale.

Il n'y en a pas eu non plus sur les questions du statut et donc de la responsabilité des agents communaux qui seront amenés à exercer des activités postales. Qu'arrivera-t-il en cas de conflits, de vols, voire pire, ce que l'on ne peut exclure ? Visiblement, nul ne s'en inquiète. Nul ne s'inquiète non plus des formules de substitution à prévoir en cas d'éventuelles carences de l'opérateur privé ou, plus simplement, pour les périodes de congés.

S'agissant de la création de l'établissement bancaire postal, là encore beaucoup d'interrogations demeurent.

Le service universel bancaire, la banque pour tous, sera-t-il maintenu ? Nous ne souhaitons pas confiner La Poste dans le rôle de banque pour pauvres, il n'en reste pas moins que la détention du livret A demeure fréquemment le seul compte en banque des plus modestes de nos concitoyens, qu'ils résident en zones de revitalisation rurale ou - c'est sans doute encore plus souvent le cas - en zones urbaines sensibles.

Aujourd'hui, 60 % des encours du livret A sont inférieurs à 150 euros. On ne peut balayer d'un revers de la main cette mission, comme on ne peut manquer de s'interroger sur le devenir des agents actuels de La Poste.

La lecture du rapport Larcher de 2003, notamment le passage consacré à l'évolution de carrière des agents de l'ancienne entreprise publique France Télécom, est édifiante s'agissant des difficultés générées par les mutations telles qu'on les prévoit cette fois-ci pour La Poste.

Aujourd'hui, près de 5 000 salariés de France Télécom ne savent pas quel est réellement leur statut. Quel sera ce statut pour le personnel des services financiers actuels de La Poste transformée en établissement bancaire et quelles garanties a-t-on que La Poste fournira bien des prestations bancaires dans toutes ses implantations et pas uniquement dans les bassins de population dense ?

Lors de la discussion générale, bien d'autres objections ont été soulevées par les orateurs qui se sont succédé à cette tribune. Sans doute l'auraient-ils fait en d'autres termes si nous avions disposé d'un temps de travail en rapport avec l'importance de ce texte législatif.

Aucune conclusion officielle n'a été présentée à l'issue des réflexions du groupe de travail sur La Poste : est-ce dû à un embarras du rapporteur, ...

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