Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Yann Gaillard a indiqué que le coût de la politique du livre s'élevait, avant 2010, à environ 1,3 milliard d'euros par an. Ce coût est cependant relativement mal connu. En particulier, il n'existe pas de document de politique transversale relatif à la politique du livre. La somme de 1,3 milliard d'euros se répartit entre environ 700 millions d'euros pour les bibliothèques (dont la moitié pour les bibliothèques universitaires) et 600 millions d'euros pour la chaîne du livre (dont 500 millions d'euros pour la TVA à taux réduit qui bénéficie au livre papier). Face à un tel éclatement des moyens, le rapporteur a estimé nécessaire de désigner un « ministre chef de file » et de mettre en place un document de politique transversale, dans un souci de cohérence de l'action publique.
De 2007 à 2009, six rapports commandés par le Gouvernement ont été publiés sur la politique du livre. Au total (compte non tenu des doublons), en s'appuyant sur les informations transmises par le ministère de la culture et de la communication, ces six rapports contiennent 108 propositions. Sur ces 108 propositions, 29 ont été mises en oeuvre, 47 sont en cours de mise en oeuvre et 32 ne se traduisent par aucune évolution. Parmi les mesures les plus marquantes, on peut mentionner le recentrage de l'ancienne direction du livre et de la lecture (récemment devenue service du livre et de la lecture) sur ses fonctions stratégiques, la réorientation des moyens en faveur des libraires et la suppression de la présidence du Centre national du livre (CNL) par le directeur chargé du livre et de la lecture. Jusqu'à l'emprunt national, le principal sujet de préoccupation était le très faible montant des crédits consacrés au livre numérique (7,5 millions d'euros), en quasi-totalité orientés vers la Bibliothèque nationale de France (BnF).
En septembre 2009, Google déclarait avoir numérisé plus de 10 millions de livres, dont 1,5 million de livres libres de droits, 2 millions de livres couverts par un accord avec les ayants droit et 7 millions de livres non couverts par un tel accord. Les ouvrages libres de droits sont disponibles en texte intégral, ceux couverts par un accord le sont seulement pour les pages autorisées par les ayants droit, et les autres ne peuvent être consultés que sous la forme de trois courtes citations. A la suite d'un recours des éditions La Martinière, le tribunal de grande instance de Paris a jugé, le 18 décembre 2009, que Google s'était rendu coupable de contrefaçon de droits d'auteur par la numérisation sans autorisation préalable puis par la représentation d'oeuvres protégées. Google a déclaré son intention de faire appel de ce jugement. Si celui-ci était confirmé, les éditeurs français autres que La Martinière pourraient engager des procédures analogues. On peut craindre que ces développements juridiques nuisent au rayonnement de la culture française dans le monde, tout en privilégiant la diffusion sur Internet des ouvrages anglo-saxons au détriment des ouvrages français. Soulignant le fait que Google Livres avait numérisé sans son accord une quinzaine de ses ouvrages, le rapporteur a indiqué qu'il ne s'estime pas lésé par cette pratique.
Aujourd'hui trois bibliothèques francophones ont établi un partenariat avec Google Livres, dont, en 2008, la bibliothèque municipale de Lyon (400 000 à 500 000 volumes). Le principe de ces accords est que Google numérise « gratuitement » les ouvrages, en échange de l'exclusivité des droits commerciaux pendant une vingtaine d'années (25 ans dans le cas de la bibliothèque municipale de Lyon), ce qui a été jugé par certains trop favorable au prestataire.
La question de la numérisation des fonds de la BnF déchaîne les passions. Dans un premier temps, sous la présidence de M. Jean-Noël Jeanneney (2002-2007), auteur en 2005 d'un ouvrage remarqué (« Quand Google défie l'Europe : Plaidoyer pour un sursaut »), la BnF a pratiqué une politique de numérisation sélective et refusé toute alliance avec Google. Toutefois, sous la présidence de M. Bruno Racine, la BnF a ouvert des négociations avec Google, dont l'annonce en 2009 a suscité une vive réaction de M. Jean-Noël Jeanneney, dans une tribune publiée par le journal « Le Figaro » le 26 août 2009. Le rapport remis le 12 janvier 2010 au ministre de la culture par M. Marc Tessier, ancien président de France Télévisions, ne conteste pas la démarche du président de la BnF mais estime que si la totalité ou la quasi-totalité de ses collections doit être numérisée, il convient cependant de parvenir à un accord aussi équilibré que possible avec Google. Il préconise notamment d'échanger des fichiers, ou à défaut de mettre en place une filière commune de numérisation.
Les moyens financiers nécessaires à la politique suggérée par le rapport Tessier restent encore largement à déterminer. Celui-ci ne chiffre pas le coût de ses propositions, auxquelles il ne fixe par ailleurs pas d'objectif quantitatif précis. On peut cependant estimer, en première analyse, que ce coût pourrait être de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Il est prévu de consacrer, dans le cadre de l'emprunt national, 142 millions d'euros à la numérisation du patrimoine de la BnF. Si les sommes disponibles de 2010 à 2014 semblent donc devoir être significatives, tel n'est pas le cas à plus long terme. Dans ces conditions, des moyens supplémentaires seront probablement nécessaires si l'on souhaite pleinement mettre en oeuvre les préconisations du rapport Tessier. D'un point de vue pratique, il n'est pas certain que Google accepte les propositions qui lui seront faites, dans la mesure où elles exigent des investissements lourds. La BnF devra également considérablement accroître sa cadence de numérisation, ce qui implique que les entreprises sous-traitantes réalisent elles-mêmes des investissements importants, alors même que l'activité de numérisation est par nature non pérenne.
a proposé de réserver la dénomination de « livre électronique » ou de « livrel » aux fichiers numériques, et de désigner les appareils exclusivement destinés à leur lecture sous les termes de « tablettes de lecture », « liseuses » ou « bouquineurs ». Un livre électronique peut être lu non seulement sur de tels appareils, mais également sur un ordinateur, un smartphone ou une tablette multifonctions (comme l'iPad d'Apple). Le marché connaît une croissance rapide aux Etats-Unis, tant pour les appareils de lecture que pour les livres numériques. La question n'est pas de savoir si le développement du livre numérique sera important, mais à quelle vitesse il se réalisera, et dans quelle mesure il engendrera une « cannibalisation » du livre papier par le livre numérique. Aux Etats-Unis, un seul libraire numérique, Amazon, domine le marché, grâce à une tablette de lecture (le Kindle) qui ne peut lire que ses fichiers, avec une offre considérable (360 000 titres dont quasiment tous les plus grands succès) et à un prix de vente attractif. En France l'offre consiste essentiellement en celle de Hachette, sur le site internet de la FNAC, qui comprend seulement 30 000 titres et dont les tarifs ne sont que faiblement inférieurs à l'édition papier.
Les réticences des éditeurs français s'expliquent par le fait qu'un scénario avec « cannibalisation » peut présenter un risque pour leur activité. Certes, le coût d'un livre est représenté pour seulement 30 % par la rémunération de l'auteur et de l'éditeur. Le livre numérique pourrait donc être vendu considérablement moins cher que le livre papier, grâce à la disparition des coûts liés aux imprimeurs, aux diffuseurs, aux distributeurs et aux libraires. Cependant, la question essentielle est de savoir si les éditeurs commercialiseront directement leurs livres numériques :
- si tel est le cas, ou si la concurrence entre libraires en ligne est suffisante pour que ceux-ci soient peu rémunérés, le prix du livre numérique pourrait être réduit de moitié par rapport à celui du livre papier ;
- en revanche, si la commercialisation de livres numériques est assurée par un petit nombre de grandes entreprises, la diminution du prix du livre numérique par rapport au livre papier pourrait ne plus être que de l'ordre de 20 % ;
- dans ce dernier cas de figure, une question centrale est de savoir si les éditeurs parviendront à maintenir leur rémunération par exemplaire vendu, ou si le pouvoir de marché du distributeur (aux Etats-Unis, Amazon) est tel qu'il pourra réduire celle-ci : dans ce dernier cas, l'existence de certains éditeurs risque de devenir problématique.
Afin d'éviter que les éditeurs soient un jour obligés de vendre des livres numériques par l'intermédiaire d'une société en situation de monopole ou de quasi-monopole, qui leur achèterait leurs livres à un prix très bas, plusieurs pistes ont pu être envisagées : la transposition de la loi de 1981 au livre numérique ; la mise en oeuvre d'un décret d'exemption (autorisant une entente sur les prix) ; un « contrat de mandat », qui permettrait aux éditeurs de charger les libraires en ligne de vendre à un certain prix. L'Autorité de la concurrence a adopté en décembre 2009 un avis plutôt réservé sur ces différentes pistes. Pour éviter que les éditeurs soient obligés d'accepter des conditions excessivement défavorables imposées par des libraires en ligne, la solution la plus efficace semble être de mettre rapidement en place un ou plusieurs sites permettant aux lecteurs d'accéder d'un coup à l'ensemble de l'offre numérique. La proposition du rapport précité de M. Marc Tessier de confier à la BnF le soin de mettre en place un tel site avec les éditeurs présente donc un intérêt particulier.
Les éditeurs demandent que le livre numérique bénéficie du taux de TVA à 5,5 %, applicable au livre papier. Une telle mesure doit cependant encore être autorisée par l'Union européenne. Par ailleurs, son utilité doit être relativisée : l'écart de taxation n'est significatif que si le prix hors taxes du livre numérique est proche de celui du livre papier ; comme toute dépense fiscale, elle suscite un risque d'effet d'aubaine ; enfin, si le libraire numérique dispose d'une position dominante lui permettant d'imposer aux éditeurs son prix d'achat, c'est lui qui bénéficiera de la mesure, et pas les éditeurs. Par ailleurs, si une telle mesure serait probablement nettement moins coûteuse que le taux réduit applicable au livre papier (qui coûte 500 millions d'euros par an), elle n'en devrait pas moins être « gagée » par la suppression ou la réduction d'une autre niche fiscale, conformément à l'article 11 de la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.
Un débat s'est ensuite ouvert.