a rappelé qu'une délégation de six commissaires s'était rendue au Japon en septembre 2008, dans le cadre des missions d'information à l'étranger organisées chaque année par la commission. Composée de MM. Pierre Hérisson, Dominique Braye, Adrien Giraud, Daniel Reiner, Jean Desessard, ainsi que de lui-même, elle avait pour mission d'étudier la situation économique de l'archipel, ses secteurs de développement et les conditions d'un partenariat renforcé avec la France. L'année 2008 se prêtait particulièrement à ce déplacement, puisqu'elle correspondait au 150è anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises qui a donné lieu à « l'année du Japon en France » et a été marqué par des visites officielles croisées, ainsi que par l'organisation de très nombreuses manifestations commémorant les liens unissant les deux Etats.
Durant la semaine passée dans les deux principales villes de l'archipel, Tokyo et Kyoto, ainsi que dans leur grande périphérie, la délégation a rencontré de nombreux acteurs, politiques comme économiques, japonais comme français, et a visité plusieurs sites industriels. En est ressorti un triple constat :
- le développement économique du pays, porté par ce que l'on a appelé le « miracle japonais » depuis l'après-guerre, ne s'est jamais vraiment remis des crises successives dans lesquelles il est englué depuis les années 1980 ;
- le Japon demeure tout de même la deuxième puissance économique mondiale, et dispose encore d'une avance très importante dans les domaines technologiques ;
- les échanges entre les deux pays sont très déséquilibrés au profit du Japon et des potentialités de développement existent pour les entreprises françaises.
a souligné que le rapport soumis à la commission rendait compte de ces trois points, qu'il a souhaité reprendre successivement.
S'agissant tout d'abord des éléments limitant le développement du Japon, il a rappelé qu'il s'agissait d'un pays devant faire face à des contraintes naturelles lourdes : un émiettement entre plusieurs îles ; un relief très accidenté ne laissant qu'une place très réduite aux espaces cultivables ou habitables, tous extrêmement concentrés ; et une activité sismique intense problématique pour la construction et les transports. Il a également évoqué le poids de l'histoire et des traditions : longtemps régi par un système féodal, le pays est marqué par son insularité et un certain protectionnisme, tandis que les mentalités restent assez conservatrices, notamment dans les rapports entre les hommes et les femmes. Le vieillissement démographique, a-t-il continué, est l'un des obstacles les plus importants au développement du pays : championne du monde de la longévité, la population nippone décroît et pourrait passer de 127 millions d'habitants aujourd'hui à une centaine au milieu du siècle, avec un fort impact sur les finances publiques, la croissance et les retraites.
L'instabilité du pouvoir politique est également une contrainte : la vie politique japonaise reste en effet marquée par les scandales politiques et la succession rapide des gouvernements, toujours, il est vrai, à l'intérieur du même parti, le Parti libéral démocrate (PLD). La délégation s'est ainsi rendue au Japon entre la démission du précédent Premier ministre et la prise de pouvoir de l'actuel, M. Taro Aso.
Sur le long terme, l'économie japonaise connaît une croissance « molle » depuis l'éclatement de sa bulle immobilière en 1993. Confrontée à une nouvelle récession en 2001, elle est aujourd'hui très affectée par la crise économique : son PIB pourrait ainsi décroître d'au moins 5,8 % en 2009, tandis que le spectre tant craint de la déflation refait surface. La baisse des exportations, sur lesquelles le Japon a bâti son succès économique, ne trouve pas de « moteur » de secours dans la consommation interne. Celle-ci est en effet limitée par une tradition d'épargne forte, la stagnation du pouvoir d'achat et la « peur de l'avenir » des ménages japonais. La bourse japonaise a connu en 2008 la pire année de son histoire et le secteur financier est grandement fragilisé. La dette publique atteint des sommets, à 173 % du PIB, soit 60 000 euros par habitant, faisant du Japon le plus endetté des « pays riches » et l'obligeant à terme à augmenter massivement les impôts. Les taux d'intérêt y sont parmi les plus faibles du monde, la banque centrale japonaise ne disposant donc que d'une très faible marge de manoeuvre pour relancer l'économie en baissant ses taux.
Le modèle social, qui avait fait la force du Japon, est aujourd'hui en crise. Le taux de syndicalisation, traditionnellement élevé, tend à décroître et les centrales syndicales, autrefois peu militantes, adoptent une posture beaucoup plus combative. La notion d'« emploi régulier », voire d'« emploi à vie », est en perte de vitesse au profit d'une plus grande précarité dans les relations de travail. L'engagement du salarié pour son entreprise, autrefois total, tend à s'éroder avec le développement d'attitudes plus individualistes. Le taux de chômage, s'il demeure exceptionnellement bas -4,4 % de la population active- est toutefois en augmentation.
Le système de protection sociale japonais est très différent de celui que connaît la France, et globalement moins favorable. Les soins médicaux coûtent cher et sont moins bien remboursés. L'assurance chômage est également moins protectrice : les indemnisations représentent une partie plus faible du salaire et sont versées moins longtemps. Enfin, les pensions de retraite sont moins élevées si l'on s'en tient au régime de base. Il résulte de ces éléments que si le PIB par habitant japonais est équivalent à celui de la France, le niveau de vie moyen y est moindre, la solidarité familiale jouant toutefois pleinement en compensation.
a ensuite évoqué la force économique que continue de représenter le Japon au niveau mondial. Depuis 1968, a-t-il rappelé, le pays arrive derrière les Etats-Unis d'Amérique en termes de PIB, celui-ci demeurant légèrement supérieur à celui de la Chine et environ à une fois et demie celui de la France. Les excédents courants restent très élevés et les réserves de changes substantielles. Le pays bénéficie d'une bonne intégration régionale, la moitié de ses exportations partant vers l'Asie. Enfin, la réaction du Gouvernement face à la crise a été de grande ampleur, avec un plan de 600 milliards d'euros, soit environ 13 % du PIB.
Evoquant les grands secteurs de l'économie japonaise, M. Jean-Paul Emorine, président, a souligné que l'industrie et les services, surtout dans les domaines technologiques, étaient largement plus développés que le secteur primaire. Marquée par la faiblesse des ressources naturelles, l'atomisation des exploitations et un niveau élevé de protection vis-à-vis de l'extérieur, l'agriculture japonaise ne représente que 1,4 % du PIB et ne survit que grâce à un niveau d'aides publiques extrêmement élevé. Le taux d'autosuffisance de 40 %, faible, oblige le pays à importer massivement et le met dans une situation de dépendance à l'égard de ses fournisseurs.
Le secteur de la pêche et de l'aquaculture connaît également une situation délicate : la population salariée y vieillit, les captures diminuent et sont de plus en plus contraintes par les enjeux environnementaux, la flotte est peu à peu démantelée, les charges augmentent ...
Le secteur de l'énergie est marqué par le très haut degré de dépendance, le Japon n'étant autosuffisant qu'à hauteur de 19 %. Certes, le bouquet énergétique se diversifie, avec une utilisation croissante du gaz, dont le Japon est le premier importateur mondial, et de l'électricité d'origine nucléaire, dont le pays est le deuxième producteur mondial. La coopération avec la France en ce domaine est particulièrement active. Les énergies renouvelables montent en puissance, avec un plan visant à réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, une faible consommation énergétique et de bons résultats dans l'énergie solaire.
Dans le secteur des technologies de pointe, le Japon dispose d'une avance encore considérable sur ses principaux concurrents étrangers, comme la visite du Panasonic center de Tokyo l'a confirmé à la délégation. Outre le secteur de l'électronique, les entreprises japonaises sont parmi les meilleures des marchés des semiconducteurs, de la robotique, des technologies de l'information et de la communication, des consoles et des jeux vidéo et des énergies renouvelables du futur, comme celles issues de l'hydrogène.
Ces performances remarquables enregistrées par le Japon dans tous les domaines technologiques ne seraient pas possibles sans une véritable politique d'accompagnement à l'innovation qui se traduit sur plusieurs plans : des efforts massifs de recherche et développement, un capital-risque favorable aux jeunes pousses (start up), un soutien résolu aux petites et moyennes entreprises (PME) et des dispositifs « d'incubation » des entreprises très développés à travers les groupes d'entreprises (clusters), qui s'apparentent aux pôles de compétitivité français.
Dans un troisième et dernier temps, M. Jean-Paul Emorine, président, a souhaité insister sur la nécessité pour la France de développer ses échanges avec le Japon et d'y renforcer sa présence. Les relations franco-japonaises sont en effet déséquilibrées au profit du Japon : ce dernier est notre treizième client et notre onzième fournisseur, seules 10 000 entreprises françaises exportant vers ce pays contre 25 000 vers l'Allemagne. Dès lors, la balance extérieure française est négative avec le Japon, celui-ci représentant notre septième déficit commercial bilatéral.
Certes, notre pays s'y implante très largement, au point de constituer le troisième investisseur en stock du pays. Cependant, cette présence est le fait de quelques très grandes entreprises nationales à forte dominante industrielle et financière. A l'inverse, la présence japonaise en France est conséquente, 400 entreprises nipponnes occupant environ 55 000 emplois sur 650 sites, faisant du Japon le quatrième investisseur étranger sur le territoire national.
Le marché japonais reste, il est vrai, protégé par de nombreuses barrières. Outre celles de nature douanière, les plus importantes sont non tarifaires et s'appliquent essentiellement aux produits agricoles : elles proviennent de la législation sanitaire, de la nouvelle réglementation concernant les limites maximales de résidus, ou encore de celle concernant les additifs alimentaires. Ces législations contiennent en effet des dispositions parfois peu fondées scientifiquement et souvent difficiles à respecter par les entreprises. Le dispositif de protection intellectuelle des productions agricoles est également très contraignant, seules quelques appellations à très forte notoriété internationale pouvant s'en prévaloir, à l'instar du boeuf de Kobe.
Malgré tous ces obstacles, le marché japonais reste potentiellement intéressant pour les entreprises : la France y jouit en effet d'une bonne image et les relations franco-japonaises ont été stimulées en 2008 avec le 150è anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays. Par ailleurs, le Japon partage des valeurs communes avec l'Europe et s'avère demandeur de plus de liens avec la France, comme l'a souligné l'ambassadeur japonais en France. Des opportunités intéressantes restent à saisir sur ce marché, à condition de respecter certains codes culturels, et des structures de conseil et de suivi compétentes existent sur place.
En conclusion, M. Jean-Paul Emorine, président, a fait remarquer que si les nouveaux marchés prometteurs que sont, par exemple, les « BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine), doivent être investis, un pays comme le Japon, où le temps long est toujours préféré aux aléas du court terme, ne doit pas pour autant être négligé, et mérite au contraire d'être redécouvert.