Nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de résolution, déposée au titre de l'article 88-4 de la Constitution, qui porte sur l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne. Cette proposition de résolution a été présentée par le Président de la commission des affaires européennes, M. Simon Sutour, à la suite d'un déplacement à Zagreb les 14 et 15 novembre, qui a donné lieu à une communication devant la commission des Affaires européennes, le 17 novembre. Notre collègue Mme Michèle André, présidente du groupe d'amitié France-Croatie, s'est associée à cette proposition de résolution, qui a été adoptée par la commission des affaires européennes lors de sa réunion du 17 novembre et renvoyée à notre commission.
Notre examen est encadré dans des délais très stricts. Les négociations d'adhésion avec la Croatie se sont achevées le 30 juin 2011. La Commission européenne a rendu son avis le 12 octobre dernier. L'adoption du projet de décision du Conseil pourrait intervenir dès le Conseil « Affaires générales » du 5 décembre, avec une décision définitive lors du Conseil européen du 9 décembre prochain. C'est la raison pour laquelle nous devons nous prononcer dès aujourd'hui sur le texte de la proposition de résolution qui nous est soumis.
Avec notre ancien collègue Jacques Blanc, nous nous étions rendus en Croatie, les 18 et 19 mai derniers, et nous avions présenté devant notre commission un bilan détaillé des négociations d'adhésion avec ce pays. Cette mission avait donné lieu à un rapport d'information présenté au nom de notre commission.
Nous étions alors à un moment crucial des négociations d'adhésion, et nous avions pu constater à Zagreb, au cours d'entretiens de haut niveau, la formidable mobilisation de ce petit pays, tout entier tourné vers son destin européen.
Je ne reviendrai donc pas en détail sur la situation de la Croatie et l'historique des négociations d'adhésion. Je me permets de vous renvoyer sur ce point à notre rapport d'information. Je voudrais rappeler très brièvement la situation de la Croatie au regard des trois critères d'adhésion - critères dits « de Copenhague » :
- le critère politique tenant à la démocratie, à l'Etat de droit, au respect des minorités,
- le critère économique : disposer d'une économie de marché viable capable de faire face aux pressions du marché,
- et le critère lié à la reprise de l'acquis communautaire, c'est-à-dire la capacité à assumer les obligations qui découlent de l'appartenance à l'Union européenne.
J'examinerai ensuite le texte de la proposition de résolution sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer.
La vocation européenne des Balkans occidentaux, c'est-à-dire le principe de leur adhésion à l'Union européenne, a été officiellement reconnue en 2000.
Dans le même temps, l'Union européenne a affirmé que, contrairement au précédent élargissement de 2004 aux pays d'Europe centrale et orientale, l'élargissement aux pays des Balkans occidentaux se ferait de manière différenciée, selon le rythme propre à l'état de préparation de chaque pays.
En 2001, la Croatie a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne. En 2003 elle s'est portée candidate et, en 2004, le Conseil européen lui en a octroyé le statut. En 2005, les négociations se sont ouvertes pour se terminer le 30 juin 2011.
Le traité d'adhésion devrait être approuvé par les chefs d'Etat et de gouvernement le 9 décembre prochain. Il devra ensuite être soumis à la ratification de tous les Etats membres, selon leurs règles constitutionnelles respectives.
Je rappelle qu'en France la révision constitutionnelle de 2008 a prévu un dispositif permettant de recourir de manière exceptionnelle à la voie parlementaire pour la ratification du traité d'adhésion avec la Croatie, alors que la règle sera dorénavant le recours au référendum pour toute nouvelle adhésion à l'Union.
La Croatie a pour sa part prévu d'organiser un référendum en février prochain. Sauf surprise majeure, la Croatie devrait devenir le 28ème Etat membre de l'Union européenne le 1er juillet 2013. La Croatie disposera alors d'un Commissaire européen, de douze députés européens, et de 7 voix au Conseil.
Quel est l'état de préparation de ce pays ?
Les conditions politiques de l'adhésion sont aujourd'hui remplies.
Depuis la proclamation de son indépendance en 1991, la Croatie jouit d'une grande stabilité politique grâce à une constitution inspirée de celle de la Ve République française. Un équilibre a été trouvé entre présidentialisme et parlementarisme, et cet équilibre s'est renforcé par l'alternance politique et la cohabitation. Actuellement, la Croatie expérimente pour la deuxième fois la cohabitation : le Président de la République, Ivo Josipovic est social démocrate (SDP), tandis que le Premier ministre, Jadranka Kosor est conservateur (HDZ). La Croatie pourrait connaître à nouveau l'alternance, lors des élections législatives prévues le 4 décembre prochain.
L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne fait l'objet d'un large consensus au sein de la classe politique. Dans le mois qui suivra la signature du traité, la Croatie devra organiser un referendum qui est prévu pour le début de février 2012 dont l'issue ne paraît pas douteuse. Cependant, l'opinion publique croate a évolué. Même si elle reste majoritairement favorable à l'adhésion, le « oui » tourne désormais autour de 60 % au lieu de 80 % il y a encore quelques mois.
La coopération du gouvernement croate avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a un temps été jugée insuffisante mais, depuis l'arrestation du Général croate Gotovina, ce reproche n'est plus fondé même si une certaine méfiance réciproque a eu pour effet de retarder l'ouverture du chapitre 23 sur la justice et les droits fondamentaux. La sévérité avec laquelle le Général Gotovina a été jugé en 2011 a marqué les esprits et soulevé l'indignation de l'opinion publique croate qui tient sa guerre de libération pour une guerre juste. Lors de notre déplacement à Zagreb, en mai dernier, j'avais été frappé de voir des sympathisants croates faisant signer des pétitions dans les rues en faveur du Général Gotovina, qui reste pour beaucoup un héros de la guerre d'indépendance.
Le souvenir de la guerre de libération reste vivace et, pourtant, la Croatie oeuvre à la réconciliation régionale et plus particulièrement à la normalisation de ses relations avec la Serbie. Le président croate s'est rendu en Serbie et le président serbe s'est rendu en Croatie, et même à Vukovar. Là, le président serbe Tadic a reconnu les crimes commis par l'armée serbe. De même, le président croate Josipovic a exprimé ses regrets pour la brutalité des réactions croates en Bosnie-Herzégovine. Un contentieux sur la délimitation de la frontière maritime entre la Croatie et la Slovénie (Golfe de Piran) a retardé un peu les négociations d'adhésion, mais un règlement a pu être trouvé par le recours à l'arbitrage.
La Croatie, forte de son expérience des négociations d'adhésion, se propose de servir de guide et de partenaire aux autres pays candidats des Balkans occidentaux. Son entrée dans l'Union européenne est perçue comme un gage de stabilité dans la région. La Croatie a reconnu l'indépendance du Kosovo et entretient de bonnes relations avec ses voisins, dont la Serbie.
La Croatie jouit d'un territoire et d'une population relativement homogène, de religion catholique à 87 %, mais elle compte sur son territoire des minorités auxquelles elle a accordé des droits importants. En outre, la Croatie a accepté de réintégrer la minorité serbe qui avait fui après la guerre.
Par une loi constitutionnelle de 2002 sur les droits des minorités nationales, la Croatie a su créer un climat de confiance au sein de ses frontières pour ses minorités serbe, bosniaque, italienne, hongroise, albanaise et slovène.
Les conditions économiques de l'adhésion sont en voie d'être remplies malgré la crise.
La Croatie compte 4,5 millions d'habitants dont le revenu moyen atteint 65 % de la moyenne de l'Union. Ainsi, la Croatie est, avec la Slovénie, la région la plus avancée des Balkans et son PIB représente le double de celui de la Roumanie.
La Croatie subit depuis 2009 les effets de la crise économique.
La monnaie, la « Kuna », créée en 1994, est stable. L'endettement s'élève à 100 % du PIB dont 40 % pour la dette publique. A cet égard, il convient de rappeler que la Croatie entre dans l'Union européenne mais pas dans la zone euro. De même, l'entrée dans l'Union ne signifie pas l'entrée dans la zone Schengen.
Malgré un tissu industriel limité (environ 20 % du PIB) et un taux de chômage élevé (14 %), la Croatie dispose d'importants atouts qui tiennent à sa situation géographique, à une agriculture diversifiée, à un réseau dense de petites et moyennes entreprises, à un bon système éducatif et à un potentiel touristique très enviable.
Quels ont été les principaux résultats des négociations d'adhésion en matière de reprise de l'acquis communautaire ?
La Croatie a conclu l'ensemble des chapitres de négociation, mais les chapitres les plus difficiles, c'est-à-dire le chapitre 8 (concurrence) et le chapitre 23 (justice et droits fondamentaux), n'ont été conclus qu'à la fin du processus.
En matière de concurrence, les négociations ont surtout porté sur la restructuration des chantiers navals croates afin de mettre un terme à toute subvention publique de la part de l'Etat. La Croatie a longtemps retardé cette réforme politiquement sensible d'un secteur économique stratégique. Il est question de plusieurs milliers d'emplois. La Croatie doit maintenant mettre en oeuvre les plans de restructuration sur lesquels elle s'est engagée.
Le chapitre Justice était pour l'Union le plus sensible car les récentes expériences roumaine et bulgare avaient conduit à renforcer les précautions du côté européen. C'est ainsi qu'il a été exigé des autorités croates des efforts importants en matière de réforme de la justice et de lutte contre la corruption. Comme l'a reconnu la Commission européenne, la Croatie a réalisé d'importants efforts dans ces domaines. Mais elle devra poursuivre ses efforts et soutenir la réforme judiciaire et la lutte anti-corruption jusqu'à son entrée dans l'Union tout en fournissant des rapports convaincants des progrès accomplis.
C'est dans cet esprit que la France a proposé un mécanisme de suivi de la Croatie jusqu'à l'adhésion, plus particulièrement pour les chapitres 8 et 23 ainsi que le chapitre 24 (justice, liberté, sécurité).
En cas de nécessité, le Conseil pourra prendre des mesures appropriées sur proposition de la Commission. Ces clauses de monitoring sont insérées dans le traité d'adhésion.
J'en viens maintenant au texte de la proposition de résolution, qui est aujourd'hui soumis à notre examen.
Que dit cette proposition de résolution ?
Elle rappelle, d'abord, dans ses considérants, qu'un mécanisme de suivi a été mis en place, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, pour s'assurer que le processus de réforme se poursuivra dans les meilleures conditions jusqu'au 1er juillet 2013, date prévue pour l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne.
Elle souligne ensuite que la Croatie répond aux critères politiques et qu'elle pourra satisfaire aux critères économiques d'ici la date prévue pour son adhésion, comme cela a d'ailleurs été confirmé par l'avis de la Commission européenne du 12 octobre dernier.
Elle félicite aussi la Croatie pour son engagement en faveur de la réconciliation des peuples ayant pris part au conflit issu de l'éclatement de la fédération yougoslave, et elle estime que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne constituera un encouragement pour les autres pays des Balkans occidentaux.
Enfin, elle exprime le voeu que la France soit parmi les premiers Etats membres à autoriser la ratification du traité d'adhésion et elle invite par conséquent le Gouvernement à déposer le projet de loi rapidement après la signature du traité prévue le 9 décembre prochain.
Etant donné que toutes ces recommandations sont conformes à celles que nous avions formulées dans notre rapport d'information, je vous proposerai donc d'adopter le texte de la proposition de résolution, sans modification.
A l'issue de cette présentation, un débat s'est engagé au sein de la commission.