Intervention de Michelle Demessine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission défense - programme soutien de la politique de défense - examen du rapport pour avis

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine, co-rapporteur :

Le 9 novembre 2011, et pour la première fois, semble-t-il, notre commission a entendu les représentants des syndicats des personnels civils de la défense à l'occasion de l'examen d'un projet de loi de finances. Je tiens à souligner cet événement très positif et la richesse des échanges auquel il a donné lieu. A l'évidence, il faudrait multiplier le nombre de telles auditions car de très nombreux points restent à approfondir, mais, en deux heures, les syndicats sont parvenus à nous faire entrevoir l'envers du décor de la réforme de la Défense. Leur approche réaliste incite à lire avec un oeil plus critique les 608 pages du Bleu budgétaire consacré à la mission Défense. C'est d'ailleurs en m'appuyant assez largement sur les analyses pertinentes des syndicats que je suggérerai à la commission de mettre un terme à la très longue série d'avis favorables qu'elle a pu émettre au cours des dernières années sur les crédits de la Défense.

Mon seul regret a été de constater qu'une seule et unique femme faisait partie des intervenants et j'ai noté qu'elle n'avait pas beaucoup pris la parole. C'est, pour moi un révélateur. Permettez-moi de rappeler qu'un certain nombre d'études de « management » concluent que la parité et la participation accrue des femmes aux fonctions de direction d'une structure renforce son efficacité et sa « rentabilité », tout en réduisant les conflits. Je souligne ce constat des effets positifs de la féminisation en rappelant, en revanche, que la voie de l'externalisation ne semble pas avoir apporté au ministère de la Défense tous les avantages qu'il en espérait.

J'observe également que le présent projet de budget met en avant un certain nombre de mesures favorables à l'implantation de crèches dans les bases militaires, notamment dans le projet Balard. Je m'en félicite, mais je souhaite aussi et surtout que l'on aborde le problème majeur de la parité et de la lutte contre les discriminations de genre dans nos armées : j'y vois un axe essentiel de renforcement de son efficacité et aussi du lien entre la Nation et son outil de défense. Je suggère donc, dans un premier temps, de demander au Gouvernement d'introduire des indicateurs chiffrés sur la place des femmes dans la Défense de notre pays car on ne trouve rien de tel dans la profusion de chiffres et de données qui accompagnent la présentation du budget de la défense.

J'en viens aux conclusions que je tire de l'analyse des crédits alloués au programme 212 et aux arguments qui, à mon sens, justifient le rejet des crédits de la mission Défense.

Méthodologiquement, et comme vient de l'indiquer, avec beaucoup de pertinence, M. Jean-Marie Bockel, les évolutions chiffrées qui nous sont présentés sont souvent difficiles à interpréter. C'est ainsi que la baisse des effectifs est totalement masquée, dans le programme 212, par la hausse des dépenses de rémunération. Par ailleurs, et pour prendre un exemple très précis, les crédits de l'action 6 « Accompagnement de la politique des ressources humaines » prévus pour 2012 s'élèvent à 505,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, en hausse de 27,2 % par rapport à 2011. Il s'agit de financer l'action sociale, la formation, le reclassement professionnel, l'allocation de cessation anticipée d'activité liée à l'amiante, l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles ainsi que l'indemnisation du chômage. Certains députés se sont offusqués de cette hausse en faisant observer que les effectifs de la mission Défense diminuaient. Je déplore, au contraire, la baisse des effectifs et je constate la nécessité de la progression de ces crédits qui correspond, dans la réalité, à une situation de pénurie et de détresse pour les personnels en activité et, plus encore, pour ceux qui ne trouvent plus de solution de reclassement, ni dans l'administration ni dans le secteur privé.

Financièrement, ma principale inquiétude concerne le projet Balard : on peut se demander si le Gouvernement n'a pas amorcé, en apposant sa signature sur le PPP, une sorte de bombe à retardement budgétaire. Je me contenterai de quatre remarques à ce sujet.

Premièrement, c'est un contrat d'une durée de trente ans, ce qui par nature expose les deux signataires de ce PPP à un nombre incalculable de risques : il engage l'Etat et les générations futures pour une durée manifestement excessive et incorpore une nouvelle augmentation du niveau d'endettement de notre pays dans un environnement financier incertain ; on peut véritablement craindre le pire en cas d'évolution brutale des taux d'intérêt.

Deuxièmement, l'expérience du partenariat public-privé pour la construction de l'hôpital sud-francilien, qui, je le rappelle avait initialement été présentée comme une démarche exemplaire, s'est révélée, en pratique, catastrophique avec des malfaçons et des surcoûts inacceptables. Je ne suis pas certaine qu'on en ait tiré toutes les leçons.

Troisièmement, on nous dit que la redevance de 150 millions d'euros par an pour le PPP Balard sera financée par des économies de fonctionnement : personne à l'heure actuelle ne peut prouver avec exactitude la pertinence d'une telle affirmation puisque les dépenses de fonctionnement observées dans le passé correspondaient à un périmètre et donc à des effectifs plus nombreux qu'à l'avenir. Si toutefois cette hypothèse se vérifie, tant mieux, mais on pourra alors rétrospectivement s'interroger sur l'efficacité de la gestion des crédits de ce ministère. Je signale que, dans un tout récent rapport, la Cour des comptes vient de tenir un raisonnement analogue à propos de l'évolution des systèmes d'information de la défense : elle s'interroge d'abord sur l'optimisme excessif des prévisions de gains de productivité dans ce domaine. La Cour des comptes constate ensuite la réduction effective du nombre d'applications informatiques et souligne enfin « par contraste, l'ampleur des redondances » auxquelles ont conduit la gestion et les cloisonnements antérieurs.

Enfin, je suis réservée à l'égard de la fascination excessive pour les « grands projets » - catégorie à laquelle se rattache explicitement l'opération Balard. Leur caractère supposé futuriste est parfois très rapidement pris en défaut : je rappelle qu'un rapport du Sénat avait, par exemple, calculé que la Bibliothèque nationale de France consommait, à elle seule, autant d'électricité qu'une ville de 30 000 habitants. Je me demande quel regard on portera dans une dizaine d'années sur ce « Pentagone à la française » ou « Hexagone ».

Plus généralement, je souligne le décalage important entre l'affichage budgétaire et la réalité humaine ainsi que celle des territoires.

Au Sénat, comme en témoignent les débats que nous avons pu avoir en commission des Affaires étrangères sur le présent projet de budget ou lors des travaux de la mission d'information consacrée à la révision générale des politiques publiques, les difficultés des collectivités territoriales sont souvent bien analysées et relayées dans le débat public. Je saisis l'occasion pour citer le cas du territoire du Cambrésis-Arrageois qui doit aujourd'hui faire face aux bouleversements liés à la fermeture programmée pour l'été 2012 du site de la base aérienne 103 de Cambrai-Epinoy. Cette fermeture intervient dans un contexte économique particulièrement difficile, sur un territoire qui a déjà subi les effets des crises successives de plusieurs filières industrielles (les mines de charbon, la sidérurgie et le textile) puis une première vague de restructurations militaires (celles de la base aérienne OTAN de Niergnies et du centre de sélection n° 2 à Cambrai). Certes, un contrat de redynamisation de site de défense (CRSD) a été signé, en février 2011 entre l'Etat et onze partenaires locaux porteurs d'actions, maîtres d'ouvrage et contributeurs financiers : malgré la solennité qui a entouré la signature de ce contrat, je peux témoigner que les 34 millions d'euros qui ont été prévus pour soutenir la reconversion ne sont pas, dans la réalité, à la hauteur des besoins de ce territoire qui se sent « blessé », selon le terme employé par notre collègue Jacques Legendre, sénateur du Nord. Les friches militaires succèdent donc aux friches industrielles avec pour seule perspective une hypothétique reconversion aidée par un État qui procède à des coupes budgétaires de plus en plus rigoureuses.

Je souhaite que le Sénat défende aussi bien la cause des personnels que celle des territoires. Les restructurations sont, en effet, porteuses de l'éclatement des communautés de travail de la Défense et du transfert au secteur privé d'un certain nombre de fonctions de soutien. Certes le Gouvernement semble aujourd'hui hésiter à intensifier une politique d'externalisation dont nous demandons un bilan précis, et ce dernier montrera vraisemblablement que les économies de fonctionnement ne sont pas systématiquement au rendez-vous. Des universitaires de renom font d'ailleurs observer que, dans les années 1960, par exemple, l'État assurait l'essentiel de ses missions de sécurité et de défense alors que les prélèvements publics étaient inférieurs à 30 % de la production intérieure brute alors qu'aujourd'hui, en dépit de délégations de plus en plus nombreuses, les prélèvements obligatoires sont supérieurs à 45 % et la multiplication rapide des partenariats public- privé depuis 2008 ne s'est manifestement pas traduite par une réduction sensible des déficits publics. En revanche, comme le soulignent les syndicats, la « réorganisation » semble véhiculer, pour les autorités, une image de progrès, alors qu'elle est un facteur d'épuisement et de stress pour les agents. Par dessus tout, la suppression des 54 000 emplois dans la Défense, s'accompagne, pour notre pays, d'une destruction de nos savoir-faire qui met en péril à la fois notre communauté de travail et notre indépendance nationale.

J'ajoute enfin que je suis très sensible au sort réservé aux personnels civils. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale indique (page 237) : « Les personnels militaires devront se concentrer sur les missions opérationnelles, les personnels civils sur les tâches administratives et de soutien. ». Or on constate, d'abord, que la proportion de personnels civils dans les effectifs du ministère baisse plus que prévu : ils en représentent encore un peu plus de 23 %. Je regrette surtout que leurs perspectives de carrières ne soient pas mieux préservées : comme nous l'ont rappelé les syndicats, on trouve des militaires à des postes ne présentant aucun caractère opérationnel et qui sont en charge de la gestion des personnels civils. Plus généralement, les postes d'encadrement sont peu occupés par des personnels civils, non pas parce qu'ils n'en ont pas la capacité, mais parce que la préférence est donnée à des personnels militaires. Je m'associe à ce combat des personnels civils pour l'équité et l'égalité des chances.

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