Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission défense - programme equipement des forces - examen du rapport pour avis

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, rapporteur pour avis :

Je souhaiterais ordonner mes observations en trois séries de considérations. La première a trait aux caractéristiques financières du projet de loi de finances. La seconde concerne plus spécifiquement les programmes d'équipement. La troisième a trait enfin à des considérations plus générales sur l'environnement de la politique de défense.

Première observation : le projet de loi de finances pour 2012 est le second de la programmation triennale 2011-2013 et sera, cette année, à peu près dans l'épure de la loi de programmation militaire.

Les coupes budgétaires effectuées sur la mission défense (de l'ordre de 181 millions d'euros) ne l'affecteront que marginalement sur un total de 31,5 milliards d'euros.

Le budget de la mission défense devait croître à peu près de 1,7 % avant les coupes budgétaires, 1 % si l'on en tient compte. Ce qui signifie qu'avec une inflation anticipée de l'ordre de 1,5 % les crédits d'équipement seront stables, ce qui n'est pas si mal.

Dans le contexte actuel d'une crise financière européenne d'une ampleur historique, on constate que les crédits 2012 restent à un niveau quasiment identique à celui de 2011. Toutefois, ne nous leurrons pas, l'ampleur de la crise économique et monétaire fait peser de lourdes incertitudes sur l'exécution budgétaire 2012.

S'agissant du programme 146, les crédits du programme s'élèveront pour 2012, avec les fonds de concours, à 11,13 milliards d'euros pour les crédits de paiement, ce qui représente une augmentation de 3,2 %, et à 11,97 milliards, ce qui représente une diminution de l'ordre de 10 %, pour les autorisations d'engagement.

Par ailleurs, le fait que des crédits importants aient dû être consacrés à la production supplémentaire d'avions Rafale pour pallier l'absence d'exportations de cet avion, conduit à reporter à nouveau les programmes déjà reportés en 2009. C'est le cas en particulier de la rénovation des Mirage 2000D, le programme d'avions ravitailleurs multirôle MRTT et le programme de satellite d'écoute CERES.

S'agissant du report du programme de rénovation des Mirage 2000, je rappelle que le Livre blanc prévoyait que les forces aériennes reposeraient sur deux piliers : le Rafale et le Mirage 2000D. Ce dernier est un excellent avion qui pourrait, sous réserve de la rénovation de ses systèmes d'armes, être opérationnel jusqu'en 2024. Le report de cette rénovation, si elle était à nouveau confirmée l'an prochain, pourrait conduire à une obsolescence de ces appareils en 2014 et réduire dans des proportions considérables le format de l'aviation de combat française.

Le report du programme MRRT « Multi-Role Transport and Tanker » destiné à pourvoir au remplacement de la flotte de ravitailleurs en vol, actuellement composée de Boeing KC-135 va contraindre à trouver des solutions palliatives, toute rupture capacitaire étant de ce point de vue inacceptable, notamment pour les forces aériennes stratégiques.

Quant au report du satellite CERES, mon collègue Xavier Pintat en dira certainement un mot. Quoiqu'il en soit, le report de ces programmes menace la cohérence d'ensemble de l'armée de l'air.

Ce qui m'amène à ma deuxième série de considérations : la mise en oeuvre des programmes.

Concernant les principaux sujets de satisfaction, je citerai la remise sur pied du programme successeur au missile Milan, sur lequel le Sénat a depuis plusieurs années gardé un oeil vigilant. Il s'agit du programme MMP - Missile Moyenne Portée - qui fournira à l'armée de terre, un missile performant et moderne susceptible d'être également adapté sur des porteurs terrestres ou aériens (hélicoptères - drones). Vos rapporteurs ont suivi le développement de ce programme de façon constante. Ils seront très satisfaits de voir son lancement en 2012.

Concernant les sujets d'inquiétude, je limiterai mon propos cette année aux drones MALE. La décision prise par le ministre de la défense d'entrer en négociations exclusive avec la société Dassault pour l'importation du drone israélien Héron TP de l'industriel IAI est en effet incompréhensible. Nous avons eu maintes fois l'occasion de nous en expliquer. Je serai donc bref.

Tout d'abord, je n'arrive pas à comprendre pourquoi, face à deux offres d'industriels non européens, l'Etat a renoncé à lancer une procédure d'appel d'offres, ce qui porte préjudice à ses propres intérêts.

Financièrement, le drone israélien, sur lequel s'est porté le choix du gouvernement, était proposé avant l'été à 320 millions d'euros sans francisation et à 370 millions d'euros avec francisation. Cette offre a sans doute évolué depuis. Le drone américain était proposé sans francisation à 209 millions d'euros et avec francisation par la société EADS à 297 millions d'euros. Le choix du gouvernement se traduira donc par un surcoût compris entre 80 millions et 110 millions d'euros.

Militairement ensuite, le drone Héron TP est un drone de surveillance et d'écoute. Le rendre apte à emporter des armements nécessitera des modifications importantes, du temps et de l'argent. D'après les informations en notre possession, ce drone n'est toujours pas opérationnel dans les forces israéliennes, et il semble difficile de croire qu'il le sera dans nos forces avant 2015. Nous sommes donc dans une situation similaire à celle qu'a rencontrée la société EADS lorsqu'il s'est agi d'importer le drone SIDM qui n'était autre qu'un Heron israélien francisé. Le contrat initial mentionnait 15 mois et ces 15 mois sont devenus 88. Par conséquent, il semble difficile de croire que le Heron TP arrivera à être déclaré opérationnel dans nos forces, avec une liaison satellitaire, avant 2015. Or nous en avons besoin tout de suite et si possible avec une liaison satellitaire car sans cela il sera difficile de l'employer hors du territoire national.

Enfin, d'un point de vue industriel, la participation de Dassault à ce programme est, en l'état des propositions, réduite. On voit mal comment elle pourrait permettre - contrairement à l'argumentaire développé par le gouvernement - l'émergence d'un socle de compétences dont a besoin la filière de drones européens que tout le monde appelle de ses voeux.

Je vous proposerai donc un amendement qui permette tout à la fois de satisfaire le besoin opérationnel de nos forces armées en achetant un système de drones disponible le plus rapidement possible et de réserver le maximum de crédits à la constitution d'une filière française voire européenne de drones MALE.

Troisième série de considérations : sur l'environnement de la politique de défense avec, tout d'abord, la mise en évidence d'importantes lacunes capacitaires. Le retour d'expérience de l'opération Harmattan a montré le bien fondé des choix d'équipement effectués et la valeur de nos forces armées qui les mettent en oeuvre, valeur à laquelle vos rapporteurs unanimes souhaitent rendre hommage.

Néanmoins, cette opération a également montré les lacunes capacitaires des Nations européennes, notamment en matière de suppression des défenses ennemies, de ravitaillement en vol, de moyens d'observation et d'écoute (ISR - intelligence - surveillance and reconnaissance), de moyens de guidage des armements laser, d'armements à faibles dommages collatéraux ainsi qu'en matière de drones MALE.

Il est indispensable d'en tirer les conséquences et de prendre les mesures nécessaires pour remédier à cette situation, avec nos alliés européens.

Deuxièmement l'insuffisante prise en compte de la défense anti-missile balistique. La défense anti-missile balistique continue de se déployer au sein de l'OTAN, dans le cadre du plan proposé par nos alliés américains (EPAA - European Phased Adaptative Approach). Le sommet de Chicago en mai 2012, entre les deux tours de l'élection présidentielle française exigera de notre pays une attention particulière à un moment qui ne s'y prêtera pas.

J'en viens donc à l'amendement.

Le projet de loi de finances pour 2012 prévoit 318 millions d'euros d'autorisation d'engagement pour financer l'importation du drone Héron TP par l'intermédiaire de Dassault. D'après nos informations, cela correspond à l'offre sans francisation. 50 millions d'euros supplémentaires seraient nécessaires pour assurer cette francisation, ce qui soit dit en passant, nous paraît très faible.

Face à cela, un achat de la dernière version du drone Reaper, sans francisation, coûterait 209 millions, soit une différence de 109 millions d'euros. Par les temps qui courent, ce n'est pas rien.

Nous vous proposons donc de retirer ces 109 millions et de les affecter pour la plus grande partie - 80 millions - à un programme d'études amont sur le programme de drone de troisième génération franco-britannique ou le NEUROn et pour 29 millions au traitement a minima du drone Harfang, pour essayer de le prolonger d'une année ou deux années après octobre 2013.

Le gouvernement pourra ainsi distribuer, dans le respect des procédures, et au mieux des intérêts français ,80 millions d'euros aux industriels français, ce qui est certainement plus que ce que retirerait Dassault de sa participation à l'offre Héron TP.

L'amendement que nous vous proposons dissocie, d'une part, le besoin opérationnel des forces qui sera satisfait, le plus rapidement possible, au moindre coût et avec le meilleur équipement disponible et, d'autre part, les objectifs de politique industrielle, sur lesquels nous sommes tous d'accord, mais en gardant les crédits pour nos industriels - Dassault et EADS.

Je ne comprendrais pas que le Gouvernement n'accepte pas cet amendement, sauf à ce qu'il se refuse par principe à acheter du matériel américain. Ce serait une surprise ! Ce que nous avons déjà fait chaque fois que cela allait dans le sens de nos intérêts bien compris : les catapultes du porte-avions, les avions Hawkeye et AWACS, ou encore les missiles Javelin pour ne citer que ces exemples.

Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de notre amendement, je vous proposerai donc de vous abstenir sur les crédits du programme 146 en particulier et de la mission défense en général.

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