Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission défense - programme equipement des forces - examen du rapport pour avis

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, rapporteur pour avis associé :

Après la présentation effectuée par mes collègues et amis Daniel Reiner et Xavier Pintat, je limiterai mes propos à trois observations.

La première a trait au niveau des crédits. Dans la période difficile que nous traversons, tout le monde l'a dit, le budget de la mission défense est globalement préservé et c'est le cas en particulier du programme d'équipement des forces. On ne peut que se féliciter de ce choix, d'autant qu'en dehors de nos amis Britanniques les autres collègues européens diminuent leurs dépenses militaires et cela nous pose des problèmes par ailleurs. Il y a eu des moments, dans notre histoire récente où chaque fois qu'il y avait des difficultés, le budget des armées - en particulier le budget d'équipement - était utilisé comme une variable d'ajustement. Cela s'est traduit par des retards considérables, des programmes qui ont finalement coûté beaucoup plus cher que prévu, des réductions de format non voulues et pour finir par des lacunes capacitaires. Cet effort, au moment même où l'Europe traverse sa pire crise financière, mérite donc d'être salué.

Seconde observation : le format des armées. A force de réductions nous arrivons à un étiage minimum en deçà duquel notre armée va perdre sa cohérence. Rappelez-vous ce que disait le Chef d'état-major des armées : « dites moi ce que vous voulez faire comme mission, et je vous dirai quel format il faut à nos armées ». On voit que nous voulons avoir une approche globale, que nous voulons rester un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons donc des responsabilités et nous ne pouvons pas aller plus loin dans la réduction du format de nos armées.

C'est un chiffre qu'il faut prendre avec précaution, mais il est significatif. En 1914, nous avions l'équivalent de 1 120 régiments dont 844 régiments d'infanterie. Aujourd'hui nous n'en avons plus que 80 dont seulement 20 d'infanterie. En Suisse, l'armée compte 54 régiments dont 24 régiments d'infanterie.

Au niveau du matériel, nous avons fait de bons choix, l'Afghanistan, la Côte d'Ivoire, la Libye l'ont montré, sans que cela n'enlève rien au talent et au professionnalisme des personnels qui servent ces équipements. Nous avons aussi des faiblesses et des lacunes, en matière d'ISR, de drones, de capacités à supprimer les défenses sol-air ennemies, le ravitaillement en vol.

Mais nous avons aussi des problèmes de nombre. Est-il normal que nous n'ayons que deux avions capables de faire du renseignement électromagnétique ? Est-il normal que nous ayons quatre drones dont un est cannibalisé pour permettre aux trois autres de tourner ?

Troisième observation, face au manque de moyens, il faut trouver des solutions.

La première de ces solutions c'est bien sûr de renforcer nos alliances afin de faire à plusieurs, ce que nous ne sommes plus capables de faire tous seuls. Nous avons un accord avec le Royaume-Uni. Nous étions hier à Londres avec Didier Boulaud, l'ambassadeur nous soulignait hier la force de cet accord qui nous permettra d'avancer sachant qu'il ne nous faut pas demander aux Britanniques plus qu'ils ne peuvent donner. Ils ont un accord historique, je serais même tenté de dire congénital avec les Américains. Il ne faut pas leur demander de renoncer à cet accord pour travailler avec nous. Il faut donc se positionner à côté de cet accord, sans demander aux Britanniques de renoncer à leur alliance avec les Américains pour travailler avec nous. D'autre part on voit leurs réserves pour travailler avec les Allemands et tout ce qui est « Europe de la défense ». Il faudra donc essayer de progresser ensemble dans cette direction. De même que pour les Britanniques, en matière d'équipements, c'est toujours le meilleur prix pour le meilleur équipement, la « best value for money ». Donc travailler avec nous sur un futur drone MALE à l'horizon 2020, ça ne leur pose pas de problèmes. Mais il faut savoir que le moment venu ils mettront cette solution en concurrence avec le matériel sur étagère. Alors que nous, nous avons tendance à lancer - c'est très français - un plan, une programmation sur vingt ans et faire des choix quinze ans avant, au risque qu'ils s'avèrent dépassés à la fin.

La seconde solution, c'est qu'il nous faut veiller sans cesse à la cohérence d'ensemble de nos moyens et plus encore à l'adéquation de nos forces à la menace. Pour cela nous devons être sans cesse en anticipation, réfléchir à la prochaine guerre et nous adapter en conséquence. C'est la raison pour laquelle des exercices collectifs tels que la mise à jour périodique du Livre blanc sont d'excellentes choses. C'est pour cela que je me félicite que nous engagions dans cette voie au sein de la commission. Il faut en effet que la représentation parlementaire puisse apporter sa pierre à la réflexion.

Les forces armées doivent toujours être prêtes et ne jamais être surprises. Pour cela, il faut réfléchir et réfléchir encore à l'évolution des menaces. Nombreux sont ceux qui pensent que la cyberguerre, dont certains s'occupent ici avec talent, a déjà commencé. Du reste, les cas de pillages de recherche et technologie se multiplient. Je vais aller plus loin : est-ce que nous ne serions pas en train de vivre une guerre économique, et est-ce que la disparition de l'euro ne serait pas la pire menace que nous ayons à affronter ? Or on ne mène pas la cyberguerre pas plus que la guerre économique avec des véhicules chenillés, ni avec des avions de combat. Nous avons donc des choix à faire pour préparer l'avenir et conjurer les menaces. Veillons à concentrer nos moyens là où ces menaces sont les plus importantes. Est-il plus important pour nous, par exemple, de disposer d'un porte-avions supplémentaire ou bien d'avoir un pied dans le système de surveillance de l'espace extra-atmosphérique européen ?

Enfin, la troisième solution quand on manque de moyens et que l'on souhaite néanmoins continuer à se défendre c'est de se mettre en situation de payer ses équipements militaires le moins chers possibles. Il y a plusieurs façons d'y arriver.

Le premier consiste à regrouper les acheteurs publics afin d'agrandir le volume des commandes, étaler les coûts non récurrents sur les longues séries et donc obtenir une réduction des prix unitaires. C'est ce que nous avons fait par exemple avec l'A400M. C'est peut être plus cher et plus long en coopération, mais si nous avions dû faire cet avion tout seul, nous n'aurions jamais pu nous le payer.

Le second moyen c'est de mettre en concurrence les producteurs d'équipement militaires y compris ceux de son propre pays, afin d'exercer une pression concurrentielle à la baisse. C'est ce qu'a fait par exemple le Royaume-Uni pour l'achat des drones tactiques Watchkeeper, en mettant son producteur national en concurrence avec un concurrent américain. C'est dans cet esprit que les Nations européennes ont décidé d'adopter en 2009 les deux directives du paquet défense, imposant le plus possible la mise en concurrence dans les marchés publics de défense et de sécurité.

Enfin, il y a une troisième voie qui ne marche que rarement, c'est quand un Etat, client unique, commande à son producteur national unique, un bien unique sans le mettre en concurrence. Ce n'est pas toujours la meilleure solution pour avoir le matériel au meilleur prix et ça ne sauve pas toujours les intérêts de l'industriel lui-même. C'est malheureusement la voie suivie par l'Etat en matière de drones MALE et je rejoins ce qu'ont dit mes collègues sur la question. Je ne reviens pas dessus, mais souhaite simplement vous donner un éclairage complémentaire.

Il y a un besoin opérationnel urgent pour notre armée de l'air. On l'a vu hier en Afghanistan et en Libye. On le verra demain dans le Sahel et peut être en Somalie. Il faut que le matériel soit durable, rustique et interopérable avec celui de nos alliés, donc il faut qu'on ait un matériel qui soit le même que les autres. Si nous sommes isolés dans notre coin, avec notre matériel unique, nous auront des difficultés. Il faut en outre que ce matériel soit confirmé et que l'industriel qui est derrière soit solide. Or nous avons bien vu qu'avec IAI sur le Harfang nous avons eu une réparation d'un drone qui a duré dix-huit mois et qu'ils étaient incapables de nous fournir les pièces de rechange dont nous avions besoin en Afghanistan. On voit bien les faiblesses de cet industriel. Et puis enfin il faut concentrer nos efforts sur le drone du futur qui fera le trait d'union avec l'UCAV - le NEUROn - et qui fera travailler les bureaux d'études. Et ce n'est pas en les faisant travailler sur de vieilles plateformes qu'on les fera progresser. L'amendement qu'on vous propose permet de dégager quatre-vingt millions d'euros pour les bureaux d'études. Je crois que nous allons dans un sens souhaitable pour les industriels français.

Je regrette comme l'a dit Daniel Reiner qu'on ait écarté les projets d'EADS qui avait beaucoup investi, qui avait beaucoup travaillé sur ce sujet. Et il ne faudrait pas qu'on se retrouve perdu en ayant écarté les uns et écarté les autres. Je voterai donc l'amendement sans états d'âme.

Enfin, on voit bien que l'ensemble de ce budget correspond malgré tout à nos besoins, c'est pour cela que, sous réserve de l'adoption de cet amendement, je voterai donc les crédits de la mission défense.

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