Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. René Beaumont, co-rapporteur avec moi des crédits inscrits au programme 105 « Diplomatie culturelle et d'influence ».
En ce qui concerne l'évolution générale des crédits : comme l'a lui-même regretté le ministre d'Etat, les moyens du programme 185 ont atteint, après quinze années de coupes budgétaires, un palier extrêmement bas. Paradoxalement, M. Alain Juppé nous a pourtant demandé d'approuver leur croissance zéro, prévue par le projet de loi de finances initial pour 2012.
M. René Beaumont a été sensible à l'argument selon lequel, dans le contexte de pénurie que nous savons, obtenir une stabilisation des crédits est un résultat honorable. Mais, pour ma part, je ne peux que souligner le décalage excessif auquel nous en sommes arrivés, entre la faiblesse des moyens de la diplomatie culturelle - 758 millions d'euros - et l'immensité de ses tâches, ce d'autant plus que ces crédits n'ont pas pu échapper à un « rabotage » de 8,4 millions d'euros, ce qui, dans la réalité concrète, est considérable pour ce budget dont l'unité de mesure est de 100 000 euros. Cela a notamment pour conséquence une baisse de 134 emplois du plafond d'emplois, fixé à 1 048 équivalents temps plein travaillé.
Le ministre d'Etat a imagé la situation en déclarant que « nous sommes à l'os », et l'on peut se demander si le gouvernement n'est pas en train d'inventer, avec la diplomatie culturelle, un nouveau concept de seuil de pauvreté applicable aux programmes budgétaires. Cette première considération justifierait à elle seule le rejet de ces crédits.
La nouvelle maquette de la mission « Action extérieure de l'Etat » a progressé dans sa conception générale mais au plan technique elle semble perfectible. D'une part, l'action 6 du programme 185 censée retracer les dépenses de personnel concourant au programme, ne recouvre pas celles de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), de Campus France ou de l'Institut français, les dépenses de personnel de ces trois opérateurs - dont les effectifs augmentent de 10 691 emplois en 2010 à 11 238 emplois en 2012 - étant au moins partiellement financées par le canal des subventions de fonctionnement que leur attribue le programme 185.
D'autre part, la détermination du montant global des bourses est un exercice difficile : non seulement elles sont recensées sur cinq lignes budgétaires différentes, mais encore certaines bourses sont co-financées par des crédits inscrits sous la rubrique « moyens bilatéraux d'influence ». Par ailleurs, certaines bourses dites « Major » sont gérées par l'AEFE et d'autres sont attribuées par l'université franco-allemande ou par l'Institut français. Bref, il est souhaitable qu'on nous facilite la compréhension synthétique de ce budget.
En outre, et de façon plus transversale, je réitère de la façon la plus énergique le souhait formulé par notre commission, en particulier grâce à l'action de Monique Cerisier-ben Guiga, de voir les crédits de l'audiovisuel extérieur être inscrits au sein de la mission «Action extérieure de l'Etat» et non de la mission « Médias », la présentation budgétaire devant, en effet, favoriser la clarté et l'optimisation des arbitrages financiers entre les différents vecteurs d'influence.
C'est dans le même esprit que la commission vient de proposer de confier la tutelle du secteur de l'audiovisuel extérieur au ministère des Affaires étrangères et qu'elle a suggéré de renforcer l'articulation entre l'audiovisuel extérieur et l'Institut français.
En outre, comme l'avait fait observer la Cour des comptes dans un rapport publié en avril 2008, la dotation de l'audiovisuel extérieur est d'un ordre de grandeur à peu près comparable à celle du réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger. Il serait donc tout à fait logique de les rassembler dans le même ensemble budgétaire pour que le gouvernement, et surtout le Parlement, puissent statuer sur les priorités respectives à accorder aux différents outils du rayonnement culturel et linguistique de la France, la LOLF autorisant le Parlement à modifier la répartition des crédits entre les programmes au sein d'une mission, mais non entre deux missions différentes.
Ajoutons que les crédits de la diplomatie culturelle atteignent un seuil de survie au moment où la « demande de France » n'a jamais été aussi forte, et se manifeste par des contributions volontaires des usagers, le taux d'autofinancement des Etablissements à autonomie financière (EAF), qui sont des services de l'Etat, atteint 50 % et celui de l'AEFE 55 %, alors que les ressources propres de la société en charge de l'audiovisuel, inscrite au registre du commerce et des sociétés, peinent à dépasser 5 % de son budget.
On peut dès lors se demander si la loi de finances affecte les crédits de façon optimale au regard de l'objectif de rayonnement de la France.
S'agissant des dotations du programme 185, je précise que René Beaumont s'est plus particulièrement attaché à examiner la situation et le financement du réseau de l'AEFE. Son analyse - que je partage - part du constat que l'enseignement français à l'étranger demeure un outil exceptionnel de rayonnement de la France sur tous les continents, au service de sa double mission de service à nos compatriotes, et de diffusion de notre langue et de notre influence.
De même, l'AEFE remplit avec efficacité à la fois les fonctions d'un rectorat de l'étranger et, à l'égard des établissements scolaires, le rôle assuré en métropole par les collectivités territoriales. La subvention qui lui est versée connaît une légère hausse pour atteindre 422,5 millions d'euros en 2012. Grâce à la qualité de sa gestion du dispositif d'enseignement français à l'étranger et à la progression continue des effectifs scolarisés - 2 745 élèves supplémentaires en 2010-2011- l'AEFE disposait en 2011 de plus de 455 millions d'euros de fonds propres et avait reconstitué son fonds de roulement à 62 jours : le « rabot » des crédits du programme 185 va se traduire par une diminution de ce fonds de roulement, ce qui constitue une simple opération de trésorerie et ne porte pas atteinte, en principe, à sa capacité d'intervention.
Ce réseau d'enseignement risque toutefois d'être étouffé par son succès : l'afflux des demandes de scolarisation et la vétusté du parc immobilier imposent, en effet, une politique d'investissement immobilière d'autant plus difficile à financer par l'AEFE que la dernière loi de programmation des finances publiques lui interdit le recours a l'emprunt bancaire à long terme.
René Beaumont s'est attaché à explorer les solutions les plus efficaces pour répondre à ce défi. Il serait juridiquement envisageable, et somme toute assez logique compte tenu de la solidité financière de l'AEFE, d'assouplir cette interdiction d'emprunter qui est inscrite dans le code de la santé publique et cible particulièrement l'endettement des hôpitaux publics. Une telle initiative relève cependant du Gouvernement et ses chances de succès paraissent limitées dans le contexte budgétaire actuel. La transformation de l'AEFE en EPIC lui permettrait également d'échapper à cette interdiction d'emprunter qui ne concerne que les établissements publics administratifs, mais le statut actuel donne par ailleurs satisfaction.
M. René Beaumont - et je souscris à sa conclusion- a donc marqué sa préférence pour la solution qui consiste à pérenniser le dispositif de financement provisoire qui a été mis en place et consiste, schématiquement, à permettre à l'Etat de jouer le rôle de banquier de l'AEFE. Cette solution a pour avantage de permettre à l'AEFE d'emprunter à des taux d'un montant raisonnable.
Par ailleurs, comme nous l'a indiqué sa responsable que nous avons auditionnée, l'AEFE doit assumer la charge de sa contribution aux pensions civiles des personnels et gérer l'aide à la scolarité, ce qui n'est possible que par un accroissement de ses ressources propres, la contribution de 6 % assise sur les frais de scolarité des établissements instituée à cette fin à la rentrée 2009-2010 ayant permis de dégager une recette de 30 millions d'euros en 2010. En raison de l'augmentation du nombre d'enfants scolarisés dans les établissements en gestion directe et conventionnés, cette contribution permettra de voir cette recette augmenter de 3 à 4 millions d'euros sur la période 2011-2013.
Cela revient à majorer les prélèvements sur les familles, et René Beaumont souhaite attirer l'attention du gouvernement sur la nécessité de veiller à ne pas franchir un certain seuil de tolérance qui, d'après la directrice de l'AEFE, est près d'être atteint.
Quelques remarques enfin sur le processus de mise en place des nouveaux leviers de notre diplomatie culturelle accompagnant la réforme de son réseau.
Le réseau culturel et de coopération a fait l'objet de deux réformes simultanées, la première étant la fusion d'ici à la fin de 2012 des services culturels et des centres culturels de 94 pays au sein d'un établissement à autonomie financière (EAF) unique. Rappelons sur ce point que, si la diplomatie culturelle est composée d'entités extrêmement diverses, celles-ci exercent toutes, à peu de choses près, les mêmes activités que sont les cours de français, la documentation, et l'organisation de manifestations culturelles.
La seconde réforme prévue pour l'année à venir est le rattachement direct à l'Institut français, à titre expérimental, de douze établissements représentant la diversité du réseau.
Sur les 20 millions d'euros de crédits culturels exceptionnels accordés en 2009 et 2010 et maintenus sur la période 2011-2013, 6 millions d'euros sont consacrés à la restructuration du réseau culturel, et 14 millions d'euros à l'accompagnement de l'Institut français, qui reçoit du programme 185 une subvention pour charge de service public de 49,8 millions d'euros et est, par ailleurs, doté de 196 emplois temps plein.
En 2012, un accent particulier sera mis sur les bourses qui bénéficieront de près de 71 millions d'euros de crédits, dont une rallonge exceptionnelle de 3,3 millions d'euros après qu'en 2010 et 2011, le ministère des affaires étrangères a maintenu à 15 380 le nombre de bourses attribuées en reconduisant les crédits alloués à leur financement. Par ailleurs, le ministère encourage le cofinancement des programmes de bourses avec différents partenaires publics et privés.
L'affichage budgétaire se veut donc positif. Pourtant, à titre personnel, je tiens à dénoncer très fermement la situation inacceptable créée par la circulaire du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l'immigration professionnelle dite « Guéant-Bertrand ». Celle-ci complique la procédure applicable aux étudiants qui demandent un titre de séjour professionnel en appelant les préfectures à les soumettre à un contrôle approfondi, ainsi qu'à appliquer rigoureusement l'exception prévue pour les étudiants qui sollicitent une autorisation provisoire de séjour dans le cadre d'une recherche d'emploi. Et ce alors même qu'au cours du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que «ce n'est pas au moment où nous essayons de conférer à nos universités un rayonnement international qu'il serait judicieux de renoncer à l'accueil d'étudiants étrangers » tout en estimant nécessaire de « permettre aux diplômés de haut niveau de travailler en France».
Cette position - à laquelle j'adhère pleinement - appelle un assouplissement qui, conformément au principe de parallélisme des formes, devrait se traduire par l'abrogation de ce texte. Il est, en effet, difficilement acceptable qu'une priorité budgétaire exprimée par la loi puisse être contrecarrée par les dispositions d'une circulaire dépourvue de valeur normative.
Quant au dispositif des bourses, actuellement géré par l'association EGIDE et le Centre national des OEuvres universitaires et scolaires (CNOUS), je vous rappelle qu'il relèvera prochainement de l'agence Campus France, établissement public à caractère industriel et commercial créé par la loi du 27 juillet 2010 et dont la mise en place devrait être effective au 1er septembre 2012. Le retard constaté dans l'installation de ce nouvel opérateur est essentiellement imputable à un problème logistique.
Or le ministère en charge de l'enseignement supérieur propose d'accompagner ce transfert de compétences par un transfert de personnels qui parait très insuffisant au ministère des Affaires étrangères, et il conviendra d'encourager les efforts du gouvernement pour résoudre cette difficulté en prenant d'abord et surtout en considération la nécessité de faciliter les démarches des étudiants étrangers boursiers.
Au-delà de cet obstacle matériel, la représentante de Campus France nous a semblé extrêmement préoccupée par la démotivation induite par les restrictions à la délivrance de titres de séjour, qui sapent les bases de l'activité de cet opérateur.
En conclusion, faut-il approuver ces crédits et la politique dans laquelle ils s'inscrivent ? René Beaumont répond positivement à cette question en se fondant sur le dynamisme du processus de réforme, sur le fait que ce programme 185 est relativement préservé de la rigueur budgétaire en 2012, et enfin sur le réalisme de l'approche du ministre d'Etat en charge des Affaires étrangères qui est aussi le premier à souligner la nécessité de renforcer les moyens de ce programme dès que les marges de manoeuvre budgétaires l'autoriseront.
Pour ma part, je propose à la commission d'émettre un avis défavorable sur les crédits du programme 185 pour trois raisons. Tout d'abord, la diplomatie extérieure, dont les moyens ont été rabotés depuis 20 ans, ne peut plus exercer ses missions. Ensuite, le périmètre trop étroit de la mission «Action extérieure de l'Etat» ne permet pas au Parlement de procéder à des arbitrages budgétaires entre les différents vecteurs d'influence. Enfin, il est inacceptable qu'une circulaire puisse contrarier la volonté d'accueil des meilleurs étudiants étrangers, exprimée par le législateur lors du vote du budget.