Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission aide publique au développement - examen des rapports pour avis

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet, rapporteur pour avis :

Notre collègue Christian Cambon vous exposera les principales évolutions de la mission Aide au développement, j'analyserai l'effort global de la France en faveur du développement.

Je voudrais préciser le sens de cette politique, dont je découvre l'étendue et les subtilités. Est-il opportun, en temps de crise, de continuer à aider des pays extrêmement éloignés ? Il faut l'expliquer à nos concitoyens qui s'interrogent. L'aide au développement est un élément essentiel du statut international de la France. Si notre pays est une puissance moyenne à vocation universelle, c'est parce qu'elle déploie une vision au-delà de ses intérêts propres.

Il s'agit tout d'abord de lutter contre les inégalités de développement. C'est la raison d'être de la coopération. Or ces inégalités se sont, hélas, accrues ces dernières années sous l'effet de la crise. Même si certains pays d'Afrique, tel le Nigéria, connaissent une croissance forte, les difficultés extrêmes des pays de la Corne de l'Afrique nous rappellent la persistance des problèmes de sous-développement.

C'est une politique de sécurisation de notre environnement international. Le développement harmonieux et pacifique de l'Afrique et notamment du Sahel, une transition réussie des pays du Maghreb vers une démocratie partagée sont des éléments structurants pour la sécurité de notre environnement au sud de la Méditerranée.

Dans le cadre du G20 a surgi l'ambition de construire des politiques à l'échelle planétaire pour lutter contre le réchauffement climatique, pour la préservation de la biodiversité ou la lutte contre les épidémies. Une gouvernance mondiale se met en place afin qu'une mondialisation maîtrisée permette un vrai développement. Il faut garder en tête l'ensemble de ces objectifs pour mesurer le rôle de plus en plus stratégique de la coopération dans la politique étrangère.

Ce n'est pas de la charité. Il serait dommageable, pour les pays que nous aidons, mais aussi pour nous, de réduire sensiblement notre aide, qui ne représente que 0,01 % du budget de l'Etat.

Ce budget, dans le cadre du triennat 2011-2013, prévoit une stabilisation de l'effort en faveur du développement. Dans le contexte actuel de diminution globale des crédits d'intervention, la sanctuarisation des crédits de la coopération, préconisée depuis longtemps par notre commission, est un résultat très positif. Mais tout n'est pas parfait : la France n'est pas en passe de tenir l'un de ses engagements majeurs, pris depuis 2005, d'atteindre, en 2015, un taux d'effort de 0,7 % du revenu national brut.

Les projections jusqu'en 2013 situent ce taux entre 0,41 % et 0,49 %. Nous sommes en retard. On invoque à la Présidence la fin d'une vague d'annulation de dettes et le début des remboursements des très nombreux prêts consentis ces dernières années qui diminuent mécaniquement notre APD déclarée.

Ces projections n'étant pas réjouissantes, l'administration des finances a jugé qu'il valait mieux ne pas publier le document de politique transversale que notre président a réclamé de façon insistante avant le G20. Il serait bon qu'une remarque vive soit émise en séance publique : un document budgétaire ne doit pas disparaître ou apparaître selon que son évolution est jugée favorable ou non. La tenue d'une grande conférence internationale ne saurait justifier un tel retard.

Les crédits devraient permettre à la France de poursuivre les objectifs de sa diplomatie d'influence, qu'elle doit développer pour en faire l'élément moteur de politiques publiques mondiales en matière de santé ou de climat.

Comme l'a souligné le comité pour l'aide au développement de l'OCDE, qui a effectué la « revue à mi-parcours » de la France, nous aurions dû établir, dès 2007, une feuille de route budgétaire définissant une stratégie crédible pour arriver à notre objectif. C'est ce qu'a fait la Grande-Bretagne qui ne manque pas d'ailleurs de le faire savoir dans les sommets internationaux. C'est ce qu'ont fait d'autres pays, comme le souligne le rapport de Bill Gates aux membres du G20.

Cet engagement n'est pas le seul que la France a pris ces dernières années : je vous renvoie à mon rapport écrit.

Le bilan est inégal. Nous nous sommes parfois engagés pour des milliards que nous n'avons pas. De mauvaises langues soutiennent que la coopération française, ce sont les ambitions des Etats-Unis avec le budget du Danemark ! Disons qu'il y a une différence entre les ambitions et les moyens. Notre président de la République a accumulé les promesses ces dernières années : augmenter de 420 millions d'euros les dépenses de lutte contre le réchauffement climatique, à Copenhague ; consacrer 100 millions d'euros de plus à la lutte contre la mortalité infantile et maternelle, à Muskoka, au Canada, en juin 2010 ; accroître de 60 millions d'euros notre contribution au fonds Sida, à New York en septembre 2010 ; verser 100 millions d'euros additionnels à l'alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) en juin dernier ; consacrer 2,7 milliards en faveur du partenariat de Deauville pour accompagner la transition dans les pays arabes. Et il est encore trop tôt pour chiffrer les engagements du G20 !

Tout cela à budget constant...Comment y parvenir ? Heureusement, nous sommes en fin d'année ! En cette période de restrictions budgétaires, ces promesses ne sont pas faciles à financer. Il n'est pas aisé de retrouver leur trace dans les comptes. Certaines promesses de dépenses additionnelles se révèlent être des dépenses programmées. D'autres sont des dépenses de substitution, par glissement de lignes. L'augmentation de la contribution au fonds Sida et au GAVI sera, en grande partie, prélevée sur la contribution à Unitaid.

Nous déclarons à l'OCDE 10 milliards d'aide au développement. C'est la troisième contribution au monde, la dixième en rapport avec notre revenu avec 0,5 % du revenu national en 2010. C'est plus qu'en 2001 où nous étions à 0,3 %, moins qu'en 1982 ou 1992 où nous étions au dessus des 0,6 %.

Sur ces 10 milliards de dépenses, plus de 20 % ont un rapport très indirect avec l'aide au développement. Ce n'est pas nouveau. La France respecte globalement les règles de l'OCDE, mais son interprétation fait l'objet de critiques répétées. Ainsi, 600 millions d'euros sont déclarés au titre de l'accueil des étudiants étrangers, 200 millions au titre de l'accueil des réfugiés, 400 millions au titre des dépenses en faveur de Mayotte et Wallis et Futuna. Tout cela entre légalement dans la comptabilité de l'OCDE, mais si on l'en retirait, on ne serait pas plus éloigné de la réalité !

L'effort que nous déclarons est très marqué par le poids des annulations de dettes, qui constituent, selon les années, 10 % à 30 % de notre APD. La part des prêts est croissante : elle représentait en 2010 plus d'un milliard d'euros. Elle a doublé depuis 2008 et correspond aux engagements croissants de l'AFD sous forme de prêts, en particulier dans les pays émergents, mais aussi en Méditerranée. Ainsi les 2,7 milliards pour accompagner les printemps arabes, sont des prêts qui rapporteront à l'AFD. L'aide au développement française comporte deux fois plus de prêts que la moyenne des autres bailleurs de fonds. Notre coopération prête de plus en plus et donne de moins en moins. Jusqu'où peut-on considérer que des prêts à des taux de marché comme de l'APD peuvent être considérés comme de l'aide ? Les prêts en Chine, par exemple, ne sont ni de l'aide -ils rapportent- ni un effort public -il n'y a plus de bonifications- ni du développement -il s'agit essentiellement de la défense des intérêts français !

Mon autre question porte sur l'effet à long terme de la montée en puissance des prêts. Ils sont comptabilisés en APD, lors de leur engagement, et soustraits de notre aide, lors du remboursement. Si on se fixe comme objectif d'atteindre les 0,7 % par des prêts, il faudra toujours prêter plus qu'on ne nous rembourse et, à long terme, ce mécanisme est insoutenable.

L'APD est un indicateur très approximatif de l'aide réellement disponible dans les pays du Sud.

La France s'est engagée, depuis une dizaine d'années, dans une montée en puissance de son aide multilatérale, afin de peser sur la programmation des grandes institutions que sont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le fonds européen de développement ou le fonds Sida.

Ces institutions ont une légitimité incontournable. Notre stratégie a payé. Nous avons infléchi la programmation de ces grands fonds vers l'Afrique mais ce mouvement est allé trop loin. Comme le budget de la coopération n'a pas augmenté de façon significative, la croissance du multilatéral s'est faite au détriment du bilatéral, réduisant considérablement les moyens des agences de l'AFD et des ambassades.

Ce projet de budget marque une volonté de redressement qu'il faut souligner : la part de l'aide bilatérale devrait passer de 56 % en 2009 à 64 % en 2012. C'est une évolution très positive.

Ces dernières années, la part des dons a eu tendance à diminuer considérablement. L'ensemble des subventions de l'aide bilatérale est ainsi passé entre 2005 et 2009 de 440 millions d'euros à 300 millions d'euros. Parallèlement, le montant des prêts a été multiplié par deux. Il en résulte un effet de levier important, à condition de ne pas contribuer à réendetter des pays que l'on a incité au désendettement. En revanche, la diminution des dons contredit nos objectifs de concentration sur l'Afrique subsaharienne et sur les quatorze pays prioritaires de la coopération française dont la capacité d'endettement est faible. Les crédits budgétaires consacrés à ces pays diminuent de 2005 à 2009. Les dons programmables pour les quatorze pays prioritaires baissent de 30 % de 2006 à 2009. Ces quatorze pays prioritaires ne représentent que 8 % de l'activité de l'AFD et 22 % de son activité en Afrique.

L'État a poursuivi son objectif de concentration de 60 % de l'effort budgétaire sur l'Afrique subsaharienne, de 50 % des subventions au 14 pays prioritaires, mais l'enveloppe des subventions est faible : on répartit 150 millions d'euros dans 14 pays, soit dix millions chacun ! Cela n'a pas grand sens, mais justifie une politique plus active sur le plan bilatéral, pour accentuer l'évolution positive de ce budget.

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