Puis la commission a entendu une communication de M. Michel Charasse, rapporteur spécial, sur les contrôles des crédits de coopération effectués en Afrique australe et en Asie du Sud-Est.
a tout d'abord rappelé le contexte de ses deux missions de contrôle budgétaire, effectuées en application de l'article 57 de la LOLF, qui l'avaient conduit à se rendre dans sept pays, presque tous membres de la Zone de solidarité prioritaire (ZSP), dont quatre pays pauvres, deux pays émergents - l'Afrique du Sud et la Chine - et un pays « pré-émergent », le Vietnam.
Il a précisé qu'il avait, dans chaque pays excepté en Chine, réalisé un contrôle du service de coopération et d'action culturelle (SCAC) de l'ambassade, de l'antenne locale de l'Agence française de développement (AFD), et le cas échéant, de la mission économique, au titre des instruments d'aide liée qu'étaient la Réserve pays émergents (RPE) et le Fonds d'aide au secteur privé (FASEP). Il avait également visité les principaux établissements culturels et d'enseignement, rencontré les opérateurs économiques français, et eu des entretiens avec divers ministres des gouvernements locaux et des représentants des principaux bailleurs multilatéraux. Sa mission en Chine relevait d'un contexte particulier puisqu'elle s'était concentrée sur les instruments de la mission économique et la stratégie de l'AFD, installée depuis trois ans dans un pays qui ne faisait pas partie de la ZSP.
Concernant l'organisation de l'aide internationale, il a estimé que les pays émergents exerçaient une force d'attraction « singulière » sur les bailleurs, qui relevait du dilemme ou du paradoxe, et cela eu égard aux moyens croissants dont disposaient ces pays pour assumer eux-mêmes leur développement. Il a considéré que le Vietnam, pays pré-émergent, devenait ainsi « saturé » d'aide publique au développement (APD) et ne disposait pas de capacités suffisantes d'absorption d'une aide internationale en augmentation. Il a ajouté que les bailleurs, en particulier multilatéraux, réfléchissaient à la transition vers de nouvelles formes d'aide au Vietnam, telles que des prêts moins concessionnels et l'aide liée. Cela impliquait, pour la France, d'envisager l'arrêt du Fonds de solidarité prioritaire (FSP), voire la sortie du Vietnam de la ZSP. Il en était de même, selon lui, pour l'Afrique du Sud.
a considéré que l'accroissement d'une pression fiscale parfois très faible - 10 % par exemple à Madagascar - et la sécurisation des nouvelles recettes de l'Etat - pétrolières au Cambodge ou hydroélectriques et minières au Laos - devraient être considérés comme un axe majeur de la coopération française, compte tenu de leurs effets d'entraînement et des réelles compétences de la France dans ces domaines. De même, la nécessaire amélioration de la sécurité juridique légitimait, selon lui, une aide française ciblée en matière de codification et de formation des magistrats, qui de surcroît étendrait l'ancrage du droit civil dans des pays trop perméables au droit anglo-saxon.
Il a indiqué que le processus de concertation et d'harmonisation des procédures des nombreux bailleurs, particulièrement développé au Cambodge, au Vietnam et au Mozambique, était nécessaire pour réduire les doublons et les coûts de transaction ou de gestion. Il a indiqué que cette démarche était toutefois chronophage, entretenait une technocratie, était dominée par les institutions financières internationales et pâtissait de l'absence de la Chine, bailleur très influent. Il a souligné que la France occupait généralement une place importante et reconnue dans le processus, mais tendait à asseoir sa crédibilité de manière trop exclusive sur le secteur agricole. En outre, la coordination entre Etats européens n'était pas toujours à la hauteur des ambitions affichées, et il était, selon lui, préférable de désigner comme chef de file, pour chaque secteur, l'Etat a priori le plus compétent.
Abordant les thèmes de l'aide budgétaire et des contrats de désendettement-développement (C2D), M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a expliqué que l'exigence de simplification des circuits d'aide conduisait naturellement les bailleurs à privilégier l'aide budgétaire, sectorielle ou globale. L'aide globale devait toutefois, selon lui, être examinée avec prudence et paraissait prématurée dans des pays comme le Laos et Madagascar, compte tenu des faibles capacités de l'administration locale. L'expérience du Poverty reduction support credit au Vietnam, aide budgétaire globale coordonnée par la Banque mondiale, témoignait également des limites et risques de ce type d'instrument qui avait, en l'espèce, un rôle d'affichage mais pas nécessairement une vertu d'exemplarité.
Il a ajouté que le bilan des C2D était mitigé. A Madagascar, il consistait exclusivement en une aide budgétaire globale, suite à une décision de M. Jacques Chirac, alors Président de la République, en juillet 2004, ce qui pouvait se révéler risqué. Il a indiqué qu'une évaluation avait été réalisée début 2006 pour le premier C2D mis en place au Mozambique mais a souligné également plusieurs inconvénients, tels que la complexité du dispositif, la faible appropriation par le gouvernement et la société civile du Mozambique, des coûts administratifs non couverts par la rémunération de l'AFD, et surtout un impact incertain sur la réduction de la pauvreté. Il a considéré que le principe du mécanisme n'était cependant pas en cause.
a exposé ses observations sur les documents-cadres de partenariat (DCP). Sur la forme, ils lui semblaient plutôt bien conçus, quoiqu'inégalement précis, et témoignaient d'un effort opportun de réflexion stratégique comme de hiérarchisation des priorités. L'identification systématique de deux ou trois secteurs de concentration n'excluait toutefois pas la tentation de la présence dans tous les domaines, comme au Cambodge ou à Madagascar, où le DCP retenait quatre secteurs de concentration, ce qui était contraire aux principes régissant ces documents. Il a ajouté que la dimension partenariale pouvait aussi être ambiguë ou servir d' « alibi », car le statut des DCP était hybride et sa force juridique pouvait être perçue différemment par la France et le pays bénéficiaire. Il a estimé qu'il serait utile de prévoir deux tranches de crédits, l'une ferme et l'autre conditionnelle, et un examen par les deux Parlements concernés.
Il a ensuite relevé que l'adaptation des procédures comptables à la LOLF était perçue par les postes comme un facteur de complexité, d'augmentation du temps de traitement et d'inadéquation au caractère pluriannuel du FSP, ce qui n'était, selon lui, pas anormal en période de transition. La fongibilité selon le niveau de performance des actions n'était cependant pas assez utilisée et les postes n'avaient pas pleinement intégré la logique de performance, puisqu'aucun indicateur local ni « reporting » dédié n'était mis en oeuvre.
Concernant les bourses et la coopération avec les organisations non gouvernementales (ONG), M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a expliqué que, parallèlement à l'intensification de la coopération avec les ONG, le dispositif d'octroi et de suivi des subventions par le ministère des affaires étrangères avait été réorganisé, tenant notamment compte de certaines recommandations qu'il avait formulées, à la suite d'une enquête réalisée, fin 2005, par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances.
Il a estimé que la cohérence stratégique entre les ONG et le ministère des affaires étrangères devait encore être améliorée, par l'établissement de conventions d'objectifs et de moyens. En outre, il importait, selon lui, d'accompagner cette évolution d'une information ascendante des SCAC vers la Mission d'appui à l'action internationale des ONG sur l'efficacité et la rigueur de ces associations.
Il a déploré le maintien injustifié de « bourses de haute courtoisie » au Lycée français de Vientiane, bénéficiant à des enfants de familles de dignitaires du régime et ne reposant sur aucune convention formelle. Il a ajouté qu'il était indispensable, en matière de sélection des boursiers, de ne pas s'en remettre à des comités de sélection « pléthoriques », comme cela avait été le cas au Vietnam jusqu'à une période récente.
a indiqué que contrairement aux exercices 2003 et 2004, le FSP n'avait pas connu de crise de paiement en 2005 et 2006. Le niveau de consommation des crédits dans les postes contrôlés se révélait satisfaisant, voire supérieur aux besoins réels à Madagascar. Le taux de décaissement, souvent élevé en apparence, devait toutefois être relativisé par l'âge moyen des projets, dont l'exécution était parfois très lente et donnait lieu à de nombreux reports de la date de clôture ou des reliquats élevés, comme au Vietnam.
Il a également considéré que les résultats des projets étaient contrastés : certains présentaient un impact incertain et auraient dû être arrêtés, en particulier en matière culturelle, pédagogique et de « formation de formateurs ». Les responsabilités en étaient partagées entre l'administration centrale, les postes - qui pouvaient attribuer des objectifs optimistes, irréalistes ou trop flous aux projets -, et la maîtrise d'ouvrage. Il a souligné qu'un projet, bien ciblé et voulu par l'ensemble des parties prenantes limitait le risque habituel d' « acharnement thérapeutique », et que les SCAC maintenaient trop souvent des composantes médiocres, hésitant à les redéployer au profit de composantes plus performantes.
Il a indiqué avoir constaté certains dysfonctionnements, tels que des paiements après fourniture d'un rapport financier plutôt que des factures, ou des rapports de mission d'expert de qualité variable, qui pourraient, selon lui, requérir de l'administration centrale un réexamen des conditions et le cas échéant une actualisation des modèles de convention disponibles.
Il a constaté, de manière générale, une certaine marginalisation de l'outil FSP dans le dispositif de coopération, même si le Vietnam et l'Afrique du Sud constituaient des cas particuliers. Il a également indiqué que la gestion de l'assistance technique par la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) apparaissait trop heurtée et discontinue au Cambodge, avec des vacances de postes qui nuisaient à la cohérence et au rythme d'exécution des projets.
a regretté que les projets FSP ne fussent pas soumis à un « vade-mecum » permettant d'établir de façon harmonisée une présentation synthétique, un suivi critique et une notation des composantes de chaque projet. Il a jugé que cette dimension critique était trop peu présente dans les documents internes des postes. Il a ajouté que les FSP régionaux et mobilisateurs, conçus par la DGCID, apparaissaient parfois peu clairs aux postes, et que le transfert de plusieurs projets à l'AFD avait causé certaines difficultés, source de ralentissement de l'exécution des projets, ou revêtu un caractère trop systématique au Vietnam.
Concernant les instruments FASEP et RPE mis en oeuvre à Hanoi et à Pékin, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a déclaré n'avoir pas constaté de dysfonctionnements majeurs sur ces deux instruments. Certains financements avaient cependant été interrompus ou ralentis en raison de difficultés imputables au bénéficiaire local ou, plus rarement, au prestataire français.
Sur les projets et le positionnement de l'AFD, il a indiqué que le rythme de décaissement était plutôt satisfaisant dans les agences contrôlées. Plusieurs projets connaissaient toutefois un démarrage « poussif », une exécution lente ou des reliquats élevés. La notation des projets était aussi de qualité inégale. En outre, l'antenne régionale de Promotion et participation pour la coopération économique (Proparco) à Bangkok, filiale chargée du financement des entreprises privées, était, à ses yeux, insuffisamment proactive et impliquée, suscitant le désarroi de plusieurs entrepreneurs français.
a jugé que l'Agence recourait encore insuffisamment aux prêts non souverains en Asie, qui pouvaient pourtant déboucher sur de réels succès et des apports très concrets en termes de développement, comme l'illustrait le financement d'une station de traitement des eaux à Phnom Penh. Il a ajouté que l'augmentation du montant moyen des concours ne devait pas non plus conduire l'AFD à se détourner de projets de faible montant mais ayant des effets concrets sur le terrain, ainsi qu'il l'avait relevé au Mozambique.
Il a estimé que le positionnement de l'AFD en Chine était ambigu, trop proche de celui de la mission économique, et s'était révélé hésitant en 2003 et 2004. Parmi les carences de la stratégie en Chine, il a relevé une arrivée trop tardive et une montée en puissance progressive alors que la plupart des autres bailleurs bilatéraux commençaient à diminuer leurs engagements, une stratégie de promotion de l'efficacité énergétique moins « différenciante » qu'escomptée, un soutien indirect aux entreprises françaises pour ne pas contrevenir ouvertement au principe de l'aide déliée, et des prêts concessionnels moins compétitifs que ceux proposés par l'Allemagne ou le Japon.
Enfin en matière de francophonie et de culture, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, s'est félicité de la grande qualité générale des installations et équipements des centres culturels, alliances françaises et médiathèques, qui faisaient de ce réseau un vecteur du prestige et de l'influence de la France. Il a néanmoins estimé qu'il était nécessaire de fusionner, autant que possible, les alliances et centres culturels dans les grandes villes, afin de permettre la création de petites alliances dans des lieux plus reculés mais où perdurait une demande vivace de langue et de culture françaises.
Il a ajouté que dans des pays, tels le Cambodge et le Vietnam, où la francophonie était parfois mythifiée, la promotion de la langue et de la pensée françaises tendait désormais à privilégier les élites locales et la diffusion des diplômes français. La culture et l'enseignement avaient ainsi pris le pas sur l'apprentissage de la langue elle-même. Il a considéré que la maîtrise de la langue dès le plus jeune âge restait le meilleur moyen de modeler la pensée, ce qui l'incitait à promouvoir le développement des classes bilingues. Il a également déploré que dans le cadre du projet mobilisateur Synergie en Asie, le ciblage des élites locales fût accompagné de cours en anglais, donnés par des professeurs français pour un coût élevé.
Il a estimé que le positionnement de l'Institut français d'Afrique du sud (IFAS), qui bénéficiait de moyens importants alors que l'alliance française de Soweto avait quasiment disparu, était révélateur de certaines « tentations » de la francophonie : une diffusion d'ouvrages d'auteurs français assortie de traductions en anglais, et une exposition sur Picasso et les arts premiers qui avait contribué à véhiculer une image de « colon nostalgique ».
a enfin précisé qu'il n'avait pas décelé d'anomalies majeures de nature à justifier une saisine des autorités judiciaires, et qu'il n'avait pas été confronté à des obstacles à contrôle.
Un large débat s'est alors instauré.