Intervention de Pierre Fauchon

Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante — Réunion du 15 juin 2005 : 1ère réunion
Communication de m. pierre fauchon sénateur

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon, sénateur :

La mission a ensuite entendu une communication de M. Pierre Fauchon, sénateur.

a indiqué qu'il souhaitait présenter à la mission l'économie générale de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dont il a été largement à l'origine.

Il a rappelé qu'il existait deux sortes de responsabilité : la responsabilité civile et la responsabilité pénale. La première correspond à la nécessité de réparer un dommage causé, notamment par la mutualisation du risque que permet le système d'assurances. La responsabilité pénale, a-t-il précisé, constitue une notion bien distincte : il s'agit de punir des fautes, selon le degré de gravité de celles-ci, qui intéressent non seulement la victime, mais également la société. S'il est établi de longue date que l'imprudence engage la responsabilité civile et donne lieu à une réparation, il a fait observer que cette règle n'allait pas de soi en matière pénale, puisqu'il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre. Il a toutefois noté que certains faits d'imprudence constituaient des délits que la société se devait de réprimer. Il a estimé que la jurisprudence traditionnelle, selon laquelle la moindre imprudence pouvait entraîner à la fois la responsabilité civile et pénale, ne paraissait pas satisfaisante, car l'absence de décision pouvait aboutir, par exemple, à engager la responsabilité des élus locaux, des directeurs d'hôpitaux ou encore des enseignants.

a indiqué que, sur la base de ce constat, la commission des lois du Sénat, dont l'attention avait été attirée par des maires faisant l'objet de poursuites, avait engagé une réflexion dans le cadre d'un groupe de travail constitué en son sein. Il a rappelé que certains étaient favorables à une loi spéciale pour les maires, mais qu'il s'était opposé à cette proposition en raison du caractère général de l'application de la loi pénale. Il a ajouté que le Premier ministre de l'époque, M. Lionel Jospin, avait déclaré, devant l'Association des maires de France, que le gouvernement était opposé à une loi spécifique pour les élus locaux.

Il a rappelé que ce problème avait été traité en deux étapes. Une loi de 1996 avait posé le principe de la nécessité, pour apprécier la responsabilité pénale d'une personne physique, de prendre en compte les moyens et les pouvoirs dont elle disposait. Il a noté que cette loi s'était révélée insuffisante et qu'il convenait donc de définir le délit non intentionnel, ce qu'il a fait en déposant une proposition de loi. Il a fait observer que le rapporteur de l'Assemblée nationale sur ce texte, M. René Dosière, avait proposé d'engager la responsabilité pénale des personnes physiques sur la base d'une faute d'une « exceptionnelle gravité », ce qui pouvait apparaître restrictif. Une réflexion approfondie a alors été engagée pour proposer une rédaction plus appropriée, en relation avec le garde des sceaux de l'époque, Mme Elisabeth Guigou. Ainsi, il a été proposé que la reconnaissance de la responsabilité pénale soit fondée sur l'existence d'une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qui ne pouvait être ignorée.

a fait observer que deux aspects de la loi du 10 juillet 2000 pouvaient poser problème. Le premier tient à l'existence d'un lien de causalité indirecte entre l'imprudence commise et le dommage subi. De ce point de vue, il a estimé que certaines des interprétations retenues aujourd'hui étaient inexactes. Il a rappelé que le choix d'une causalité indirecte résultait de la volonté de ne pas faire entrer dans le champ d'application de la loi les accidents de la circulation, qui relèvent presque toujours d'une causalité directe. Par ailleurs, a-t-il rappelé, cette loi n'est pas applicable aux personnes morales. Il a expliqué ce choix par la possibilité de l'existence d'une responsabilité pénale diffuse au sein d'une personne morale, une commune par exemple. Il a ainsi cité le cas d'une affaire d'accident de la circulation s'étant déroulée dans l'Orne, où l'expertise avait montré que 15 intervenants avaient été concernés par la construction d'un parking et d'un arrêt de bus. La loi se devait de tenir compte d'une telle complexité.

Il a indiqué que la loi du 10 juillet 2000 était d'application immédiate, puisqu'elle constituait une loi pénale plus douce. Il a fait observer que, sur son fondement, certaines relaxes avaient pu être prononcées, la faute caractérisée n'ayant pas été reconnue, comme dans l'affaire du Drac ou dans un procès mettant en cause le maire d'une commune qui n'avait pas signalé le danger de se promener au bord d'une falaise. Il a également noté, à l'inverse, que des condamnations, parfois relativement lourdes, avaient été prononcées, par exemple dans l'affaire de l'avalanche de Chamonix, ou à l'encontre d'un enseignant dont un élève s'était tué en tombant d'une fenêtre restée ouverte dans la classe. Il a ensuite évoqué le procès récent du tunnel du Mont-Blanc qui, selon lui, s'est déroulé dans des conditions exemplaires et où toute la gamme des prévenus était présente. Il a fait remarquer que, si le jugement était toujours en attente, le procureur avait demandé une peine moins lourde pour le chauffeur du camion que pour les dirigeants, ce qui contredit l'idée répandue selon laquelle la loi du 10 juillet 2000 fait « payer les lampistes »

Evoquant les principales critiques adressées à cette loi, M. Pierre Fauchon a fait observer qu'elle n'était pas réservée aux élus, mais qu'elle était au contraire d'application générale, comme le montre d'ailleurs la jurisprudence. Concernant l'affirmation selon laquelle la loi ferait obstacle aux poursuites, il a noté que Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy, lors de son audition, n'avait pas abondé en ce sens, et il a estimé que la loi impliquait nécessairement une instruction plus approfondie. Il a considéré que la critique la plus fondée portait sur l'impossibilité de condamner en cas de responsabilité indirecte. Sur ce point, il a estimé qu'il convenait d'attendre le jugement de la Cour de cassation, le problème ne se posant pas pour l'instant. Il a cité une étude sérieuse diffusée sur un site Internet, selon laquelle les condamnations prononcées par les magistrats à l'encontre des élus, sur la base de la loi du 10 juillet 2000, après une période de familiarisation avec celle-ci, étaient en réalité relativement lourdes.

S'agissant de l'amiante, qui pourrait devenir la « plus grosse affaire pénale du siècle », il a considéré que le juge devait établir une faute caractérisée de la part de l'employeur qui n'aurait pas pris les mesures nécessaires en matière de sécurité au travail. Il a rappelé que le juge d'instruction n'avait pour tâche que d'instruire le dossier et de le transmettre au juge du fond, à qui il appartient de se prononcer sur l'existence ou non d'une faute caractérisée. Il a estimé qu'il était également possible, pour les victimes de l'amiante, de recourir à la procédure de la citation directe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion