Intervention de Françoise Laborde

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 19 mai 2011 : 1ère réunion
Séminaire international sur la féminisation de la pauvreté — Compte rendu de mme françoise laborde

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

A la demande de M. le Président du Sénat, et à l'invitation de Mme Alejandra Sepúlveda Orbenes, qui était alors présidente de la Chambre des députés du Chili et qui a aujourd'hui cédé la présidence conformément au droit institutionnel en vigueur, je me suis rendue le 7 mars dernier, en tant que vice-présidente de notre délégation aux droits des femmes, à un séminaire international sur la féminisation de la pauvreté, organisé par la Chambre des députés du Chili, qui a réuni à Valparaíso une trentaine de parlementaires de tous pays et de tous continents.

Avant de vous présenter les recommandations adoptées dans la « Déclaration de Valparaíso », dont la signature a clos nos débats, je vous parlerai rapidement des problématiques soulevées par la féminisation de la pauvreté et, en particulier, de celles qui ont fait l'objet de la troisième table-ronde, à laquelle j'ai participé, et qui traitait de la pauvreté des femmes en lien avec le travail et l'éducation.

Précisons tout d'abord, rapidement, le sujet dont nous parlons : « découvert » en quelque sorte dans les années 1970 et vulgarisé au début des années 1990, ce concept de féminisation de la pauvreté reflète l'accentuation de la différence entre les taux de pauvreté des hommes et des femmes, ou des ménages dirigés par une femme, d'une part, et des ménages dirigés par un homme ou un couple, d'autre part. Ce concept implique donc une évolution, distincte de la prévalence du taux de pauvreté, plus élevé chez les femmes ou les ménages dirigés par une femme.

La féminisation de la pauvreté est un phénomène mondial, puisqu'aujourd'hui les femmes représentent 70 % des pauvres de notre planète et 60 % des travailleurs pauvres. Ces chiffres traduisent une détérioration de la situation des femmes, imputable, selon les associations internationales spécialisées, à leur statut dans les deux systèmes dominant actuellement notre société-monde : le patriarcat et le néolibéralisme. Ces deux systèmes se conjuguent souvent pour maintenir les femmes en état de pauvreté ; l'un vise à conserver entre les mains des hommes tous les pouvoirs privés et publics, matériels et spirituels, politiques, économiques et culturels, et le second à disposer d'une réserve de main-d'oeuvre bon marché et docile. N'oublions pas, enfin, la troisième cause de la pauvreté des femmes, à savoir la guerre, qui les spolie de tous leurs biens, leur enlève leur travail, les jette dans des camps de réfugiés et leur fait subir des violences extrêmes.

Si le thème de la féminisation de la pauvreté n'a pas fait l'objet d'un rapport de notre délégation en tant que tel, il traverse toutes nos thématiques. Le rapport de la délégation pour l'année 2005-2006 sur « Familles monoparentales, familles recomposées » a, en particulier, relevé une tendance insuffisamment connue : la paupérisation croissante des parents isolés et, plus spécifiquement, des mères en France, qui est au coeur du sujet dont nous parlons aujourd'hui.

En France, le phénomène reflète également les inégalités persistantes sur le marché du travail. Ainsi, la délégation a eu l'occasion de souligner à diverses reprises que :

- les femmes en France représentent 60 % des emplois non qualifiés et 30 % des femmes qui travaillent ont un emploi sans qualification reconnue ;

- les femmes sont très majoritaires (83 %) parmi les salariées à temps partiel ;

- les différences de salaire restent importantes : ainsi, les femmes sont près de deux fois plus souvent au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) que les hommes, et les deux-tiers des salariés à bas salaires sont des femmes. Même à emploi et compétence égales, les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes ;

- ces différences ont pour conséquence, en moyenne, des retraites plus faibles ;

- enfin, les femmes demeurent toujours plus touchées que les hommes par le chômage : 8,3 % sont au chômage en 2008, contre 7,3 % pour les hommes.

Étant également membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, j'ai choisi de participer, lors du séminaire de Valparaiso, à la table-ronde consacrée aux femmes, au travail et à l'éducation, et c'est donc les débats autour de cette problématique que je vous rapporterai aujourd'hui.

Nous sommes partis des constats suivants :

Les premiers concernent les modèles des marchés du travail. Bien que les femmes aient intégré le marché du travail en plus grand nombre durant ces dernières décennies, les marchés du travail continuent à favoriser les hommes.

Quel que soit le pays, le marché du travail est conditionné par le modèle familial traditionnel (un bon salaire pour l'homme, la femme à la maison). Ce modèle repose sur la conception du mariage tout au long de la vie : dans cette configuration, l'homme est le travailleur idéal car il ne s'occupe pas des tâches domestiques.

Par ailleurs, l'une des causes principales des inégalités de genre sur le marché du travail réside dans la persistance de la « sexuation » de certaines tâches, consistant notamment à réserver aux femmes les responsabilités relatives aux soins aux personnes, comme si l'on projetait dans la sphère professionnelle la capacité « naturelle » de la femme à être mère.

Les seconds concernent les modèles de la structure familiale : les familles monoparentales sont le plus souvent constituées de femmes : 88 % en Amérique latine, 85 % en France, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en 2005 ; les femmes ont pris un rôle de plus en plus important dans la structuration de la famille.

Ces deux facteurs conjugués expliquent en grande partie l'état de soumission dans lequel se trouvent les femmes dans les différentes dimensions de leur vie.

Les discussions qui ont eu lieu lors de la table-ronde ont fait émerger des propositions communes qui ont servi de base à la déclaration finale. Je voudrais, ici, en souligner quelques-unes qui me paraissent particulièrement importantes :

- l'absence de « temps libre » contribue à l'aliénation des femmes (temps employé aux tâches domestiques, aux soins aux descendants et ascendants âgés qui s'ajoutent aux activités professionnelles) ;

- il faut valoriser le revenu de la femme au foyer dans le produit intérieur brut (PIB) car, au-delà du pouvoir économique, c'est de reconnaissance sociale et familiale dont elles ont besoin ;

- les inégalités sont entretenues par des cadres culturels puissants, qui encouragent les différentes formes de discrimination de genre. C'est donc dès le plus jeune âge qu'il faut intervenir pour apprendre aux petites filles à dire non.

A l'issue des débats, le séminaire international a adopté la « Déclaration de Valparaíso », en vertu de laquelle les participants se sont engagés à partager l'information qui les aidera à prendre des décisions et élaborer des politiques capables de répondre à cette problématique.

Parmi ces engagements, je citerai ceux qui me paraissent les plus importants et, notamment :

- la création d'écoles à amplitude horaire étendue et une meilleure couverture des centres de soins pour les enfants ;

- l'adoption de politiques publiques orientées vers le soin aux enfants et aux personnes âgées, que la femme assume traditionnellement. Ainsi devrait être encouragée l'ouverture de crèches, ou de maisons de retraite et de soins aux personnes âgées ;

- l'intégration du travail domestique non rémunéré aux Comptes nationaux, en en reconnaissant la valeur ajoutée au produit intérieur brut (PIB).

Au-delà de ces engagements, les débats auxquels j'ai pu participer au cours de ce séminaire ont conforté ma conviction que, nonobstant la différence des contextes, des cultures et des niveaux économiques, les femmes subissent, partout dans le monde, le poids des mêmes stéréotypes qui les maintiennent dans un état de faiblesse économique, mais aussi psychologique.

Je souhaite que la Déclaration de Valparaíso constitue non une fin, mais une étape dans l'action concertée internationale visant à lutter contre les causes qui maintiennent les femmes dans l'état de pauvreté et c'est avec ce nouvel éclairage que je prendrai part aux travaux, en ce sens, de notre délégation.

Comme vous avez pu l'entendre entre les lignes de mon exposé, les femmes continuent d'être la cible de stéréotypes forts, dans leur milieu personnel comme professionnel, qui tendent à les cantonner dans des rôles subalternes ou subordonnés. Ce sont ces stéréotypes qu'il faut continuer à combattre. Et ce combat commence à l'école. C'est en effet en intervenant dès le plus jeune âge que l'on peut espérer un changement des comportements et c'est en ce sens que nous en sommes tous responsables.

Je terminerai ce court exposé en évoquant le reste du programme de mon déplacement, puisqu'il a été pour moi l'occasion de visiter le lycée français de Santiago du Chili et l'Alliance française de Valparaíso-Viña del Mar.

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