Intervention de Jean-Marc Lassus

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 19 mai 2011 : 1ère réunion
Femmes et sports — Audition de M. Jean-Marc Lassus chargé de mission « développement » auprès de la fédération française d'équitation ffe

Jean-Marc Lassus, chargé de mission « développement » auprès de la Fédération française d'équitation (FFE) :

En effet, les femmes sont majoritaires partout au sein de la FFE ; c'est là une de ses principales caractéristiques qui explique que nous ne manquions pas de candidates pour atteindre le taux de 50 % de femmes administrateurs au sein du conseil d'administration. Je commencerai par dresser un bref historique de la Fédération française d'équitation afin de replacer dans son contexte la progression des femmes qui représentent aujourd'hui 80 % des licenciés.

Troisième fédération française en nombre après le football et le tennis, la FFE a pris récemment un nouvel essor puisqu'elle dépasse désormais les fédérations de basket et de judo. Cette évolution récente n'est pas sans lien avec la présence des femmes en son sein.

Soulignons, avant toute chose, la spécificité de la discipline équestre : mettant en relation deux athlètes, l'homme et le cheval, l'équitation, avant d'être une discipline sportive, est une communion entre un homme et un animal. Je pense que ce lien avec la nature, ainsi que la dimension très sociale d'une pratique qui est devenue un sport, expliquent en grande partie l'investissement très fort des femmes dans cette discipline, et pas seulement en tant que cavalières. En qualité de directeur d'un centre équestre à Orléans, j'ai pu constater que ce sont majoritairement les mères qui amènent leurs enfants au club.

Cette forte présence féminine peut aujourd'hui paraître paradoxale étant donné la dimension militaire à l'origine de l'équitation. Rappelons que la loi de 1821, qui instaure en France la possibilité de faire des paris sur les courses de chevaux, était motivée par la volonté de constituer un vivier de chevaux rapides pour la guerre.

Le mouvement olympique ensuite, porté par Pierre de Coubertin à la fin du XIXème siècle, repose sur une forte dimension guerrière. Après la Seconde Guerre mondiale qui décime les chevaux en France, l'équitation devient un « sport de riches », l'entretien du cheval constituant un véritable luxe auquel peu de gens peuvent prétendre. Il est d'ailleurs significatif de constater que le verbe « équiter » - soit, littéralement, « aller à cheval »- disparaisse du dictionnaire en 1954...

Heureusement, l'action concertée du ministère de l'agriculture et du ministère « jeunesse et sports » a permis de relancer la filière. Le premier a investi des moyens dans les années 1970 pour diversifier les races de chevaux et soutenir le développement des races de poneys, notamment. Le second, classant l'équitation dans les « sports à risques », a rendu obligatoire l'obtention d'un diplôme d'Etat pour encadrer la pratique.

J'ai moi- même assisté, enfant, au développement de la filière « poney » qui connaît aujourd'hui un franc succès auprès des enfants et constitue le socle de la fédération.

Aujourd'hui auteur d'ouvrages de pédagogie par le jeu, assistant social et éducateur sportif, j'ai dirigé la FFE durant quelques années ainsi que l'organisation associative de la profession équestre, au sein de laquelle Mme Jacqueline Panis était administrateur.

La seconde spécificité de la FFE réside dans l'originalité juridique de son organisation puisque je vous rappelle que l'exploitant d'un centre équestre est un agriculteur. Premier sport à bénéficier d'une convention collective en 1975, l'équitation est le premier employeur sportif à l'heure actuelle : l'emploi dans cette filière, dont je vous rappelle qu'il est régi par le droit privé, représente 18 % de l'emploi sportif.

Si la loi sur le développement des territoires ruraux de 2004 a consacré juridiquement le caractère agricole des activités de préparation, d'entraînement et d'exploitation des équidés domestiques, un centre équestre ouvert au public a toujours été, avant tout, une ferme. C'est la raison pour laquelle j'ai coutume de dire que les exploitants des centres équestres, qui consacrent la majorité de leur temps aux travaux de la ferme, aux soins et au dressage des chevaux, se « transforment » certains jours, en particulier le mercredi et le samedi, durant quelques heures, en professeurs de sport.

Vous aurez compris que ce métier, qui demande un investissement fort, requiert des compétences très variées qui vont des soins aux chevaux jusqu'à la pédagogie en passant par l'accueil du public, autant de qualités qui, à mon sens, expliquent l'investissement progressif de la filière par les femmes depuis le début des années 1980.

Aujourd'hui prépondérantes parmi les cavalières et les salariées des centres équestres, elles constituent aussi la majorité des dirigeantes de centres équestres depuis 2008. Néanmoins, comme dans les autres sports, leur nombre se réduit dans le sport de haut niveau.

En m'appuyant sur les documents de présentation qui vous ont été distribués, je vais commenter la place actuelle des femmes au sein de la fédération :

- s'agissant des élus, il y a certes, à l'heure actuelle, plus d'hommes que de femmes dans le Bureau, mais le comité fédéral est composé de façon paritaire et la FFE a été présidée par une femme, Mme Jacqueline Reverdy, de 2000 à 2005 ;

- comme l'indique le document de communication intitulé « Premier sport féminin, où sont les hommes ? », la FFE s'inquiète à l'heure actuelle de sa parité. C'est pourquoi elle axe sa communication sur la mixité de ce sport, comme vous le verrez prochainement dans le sport publicitaire qui va être diffusé sur les écrans de télévision.

Néanmoins, comme le prouve la photo d'une petite fille caressant la tête d'un poney en « Une » de l'une des plaquettes de communication, la FFE sait aussi tirer profit du lien affectif privilégié qui s'établit dans la relation entre les filles et les chevaux.

Dans toutes les disciplines équestres, les filles sont omniprésentes, comme vous pourrez le constater par vous-mêmes à travers les photos de cette plaquette.

Dans le sillage des deux athlètes « phares » de la fédération à l'heure actuelle, Pénélope Leprevost et Kevin Staut, les filles ont investi toutes les disciplines, y compris le « horse ball », pratique collective qui repose sur un lourd engagement physique et, pour cette raison, traditionnellement masculine.

Il est intéressant de remarquer que, dans le document de présentation du haut niveau, cette fois-ci les hommes redeviennent majoritaires, à l'exception de l'épreuve d'endurance, qui consiste en une course de 160 km d'une traite, dans laquelle, paradoxalement, les filles restent majoritaires.

Même si Pénélope Leprevost, vice-championne du monde en titre du saut d'obstacles, s'illustre particulièrement dans l'épreuve de saut, cette discipline reste encore dominée par les hommes, de même que l'épreuve de dressage, au sein de laquelle les femmes peinent à stabiliser leur place à haut niveau.

Un autre document vous présente le Parc équestre fédéral de Lamotte, « maison pour les poneys et les enfants », comme l'a souhaité Serge Lecomte, actuel président de la FFE et ancien président du mouvement « poney » à l'origine. Chaque année, en juillet, le parc se transforme en une véritable ville pour accueillir le plus grand rassemblement équestre au monde, 30 000 personnes venant voir concourir 10 000 enfants et 10 000 poneys.

Enfin, je vous ai transmis le résumé de l'étude de Fanny Le Mancq, intitulée « Des carrières semées d'obstacles : l'exemple des cavalier-e-s de haut niveau », qui s'intéresse aux différences entre les carrières masculines et féminines de compétition, dans les sports équestres et, plus particulièrement, dans la discipline du saut d'obstacles.

Comprendre l'économie de la discipline est ici essentiel : un cavalier, dans cette discipline, n'est pas seulement un sportif professionnel, mais aussi un chef d'entreprise sur lequel le propriétaire du cheval aura investi pour « préparer » le cheval, dès sa naissance, à la compétition de haut niveau. La course d'obstacles sera l'aboutissement d'un long et patient accompagnement du cheval par son cavalier qui passe par une succession d'épreuves et de soins quotidiens. Autant dire que c'est un choix de vie, socialement et financièrement lourd, que les femmes hésitent à faire, notamment parce qu'il implique de lourds sacrifices au plan familial.

Du fait de la forte présence des femmes dans la fédération, la question de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle est un sujet qui nous préoccupe particulièrement : la commission originale que nous avons mise en place au sein de la fédération réunissant des médecins du travail de la mutualité sociale agricole et des médecins du sport autour des problématiques particulières rencontrées par les femmes dans nos métiers doit se réunir au mois de juin avec, pour ordre du jour, les questions liées à la maternité : quelles sont les conséquences de la toxicité de certains produits vétérinaires sur la santé de la femme enceinte et peut-on organiser un corps de remplacement lorsque les salariées partent en congé-maternité ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d'apporter des réponses.

Je terminerai ce court exposé en vous alertant sur le sujet qui préoccupe à l'heure actuelle toute la filière équestre du cheval en France : la Commission européenne a traduit la France devant la Cour de justice au motif que le taux de TVA appliqué aux livraisons, importations et acquisitions de chevaux serait contraire au droit communautaire.

Si nous passons effectivement du taux réduit au taux plein, comme c'est le cas déjà pour l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche, au motif que le cheval ne fait pas partie des denrées alimentaires, les conséquences économiques et sociales seront dramatiques pour le secteur qui repose sur des entreprises privées dont les tarifs, à l'heure actuelle, permettent à un grand nombre d'accéder à la discipline équestre, puisqu'une heure d'équitation coûte 12 euros, soit moins qu'une leçon de piano !

Outre que l'on va casser la dynamique de l'emploi, puisque la filière cheval créé 1 000 emplois par an, c'est également la vie des territoires qui est en jeu puisque les investissements privés dans de petites entreprises agricoles sur tout le territoire sont un facteur essentiel du développement durable.

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