Intervention de Patrick Mindu

Commission d'enquête sur l'immigration clandestine — Réunion du 15 mars 2006 : 1ère réunion
Audition de M. Patrick Mindu président du tribunal administratif de paris

Patrick Mindu, président du tribunal administratif de Paris :

Puis la commission d'enquête a entendu M. Patrick Mindu, président du tribunal administratif de Paris.

a indiqué que, dans l'esprit du juge administratif, l'immigration clandestine était avant tout synonyme de contentieux de la reconduite à la frontière, bien qu'il connaisse également des litiges, très importants en volume, touchant aux refus de titre de séjour et aux mesures d'expulsion.

Il a souligné que l'immigration clandestine avait profondément affecté l'office du juge et la vie des juridictions administratives au cours des dernières années et que le juge administratif était devenu, par la volonté du législateur, un acteur essentiel de la politique de lutte contre l'immigration clandestine.

Il a relevé que la politique volontariste de lutte contre l'immigration clandestine mise en oeuvre à partir de la fin de l'année 2003 s'était traduite par une forte augmentation des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF) et, mécaniquement, par une multiplication des recours devant les tribunaux administratifs, indiquant que le contentieux des reconduites à la frontière avait désormais toutes les caractéristiques d'un contentieux de masse, auquel les juridictions du premier degré et les cours administratives d'appel, depuis le 1er janvier 2005, étaient cependant très inégalement exposées.

Il a observé qu'en 2004, 16.952 requêtes avaient été enregistrées devant les tribunaux métropolitains et 17.921 en 2005. Il a souligné les grandes différences entre l'impact de ce contentieux sur l'activité des tribunaux administratifs de Bastia ou Limoges, qui ont enregistré quelques dizaines de recours durant ces même années, et celui que connaissaient les tribunaux administratifs de Paris ou de Cergy-Pontoise, auxquels ont été soumises respectivement 6.000 et 1.975 requêtes en 2004, 4.826 et 2.412 requêtes en 2005, ces deux dernières juridictions totalisant à elles seules près de la moitié des affaires dont les juridictions métropolitaines ont été saisies à ce titre en 2004 et 40 % de celles-ci en 2005.

Il a ajouté que les cours administratives d'appel avaient elles-mêmes dû faire face à 5.002 requêtes en 2005, correspondant à un taux d'appel de 25 %. Il a souligné que, contrairement à une idée reçue, le taux d'annulation des APRF au tribunal administratif de Paris était assez faible -de l'ordre de 15 %.

a fait observer que le contentieux des étrangers dans son ensemble représentait désormais plus du quart des affaires enregistrées chaque année, trois tribunaux -Paris, Cergy-Pontoise et Marseille- totalisant à eux seuls la moitié des affaires jugées. Le tribunal administratif de Paris, a-t-il indiqué, a quant à lui enregistré 10.312 requêtes concernant les étrangers en 2005, soit, sur un volume global d'entrées d'à peine plus de 20.000 requêtes, 51 % des affaires nouvelles. Il a estimé que la création par la loi du 30 juin 2000 du référé-suspension et du référé-liberté avait contribué à amplifier ce phénomène.

Il a souligné que cette explosion du contentieux des étrangers était pour une très large part imputable à la pratique de la notification des APRF par voie postale. Il a rappelé que l'administration qui retient un étranger en situation irrégulière pouvait mettre immédiatement à exécution l'arrêté de reconduite si le recours dirigé contre cette décision était rejeté, le jugement intervenant alors, en principe, dans un délai de 48 heures. Il a ajouté qu'elle disposait du même pouvoir pour donner son plein effet à un APRF notifié par voie postale et contesté sans succès devant le juge. Il a néanmoins précisé qu'en pratique, l'administration s'abstenait, sauf dans 1 % des cas, de prendre une mesure d'exécution de la mesure d'éloignement qui supposerait une interpellation de l'étranger à son domicile. Il a conclu que, dès lors que 80 % des APRF étaient notifiés par voie postale, de nombreuses décisions demeuraient inexécutées.

a jugé que la gestion de ce contentieux obérait gravement l'organisation et le fonctionnement des juridictions et que se posaient de légitimes interrogations sur l'utilité du travail accompli au regard des réels enjeux en cause. Il a estimé qu'il conviendrait que, pour assurer le traitement d'un tel contentieux de masse, soient mis en place de nouveaux outils procéduraux mieux adaptés permettant, dans le respect des garanties fondamentales dues aux justiciables, d'alléger la charge des juridictions et de faire recouvrer à ces derniers leur entière capacité de mobilisation sur d'autres contentieux. L'avant-projet de loi sur l'immigration lui a paru apporter une réponse à cette problématique en couplant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire national.

Il a indiqué que, au-delà des politiques publiques mises en oeuvre pour lutter contre l'immigration clandestine, l'extrême complexité du droit applicable et la richesse des potentialités qu'il renferme nourrissaient le contentieux. Il a évoqué le cas, très fréquent à l'occasion du recours dirigé contre un APRF faisant suite à un refus de titre de séjour, de l'étranger invoquant, par voie d'exception, l'illégalité du refus du titre de séjour qui lui a servi de fondement.

a souligné que le contentieux s'organisait généralement autour des 3°, 7° et 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui consacrent le droit, pour les étrangers rentrant dans le champ d'application de ces textes, d'obtenir de plein droit la délivrance d'une carte de séjour temporaire sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils sont en situation irrégulière. Il a rappelé qu'en vertu de ces dispositions, pouvaient se prévaloir de ces textes les étrangers justifiant résider en France habituellement depuis plus de 10 ans, ceux justifiant de l'existence en France de liens familiaux et personnels tels qu'un refus de séjour porterait atteinte de manière excessive à leur droit à une vie familiale normale, et ceux dont l'état de santé appelle des soins indispensables qu'ils ne pourraient recevoir dans leur pays d'origine.

Il a indiqué que nombre d'étrangers se livraient à un véritable marathon, d'abord administratif, puis judiciaire, en présentant successivement plusieurs demandes de titres de séjour sur ces différents fondements pour tenter de régulariser leur situation et d'échapper ainsi à une mesure de reconduite. Il a souligné qu'il était fréquent qu'un étranger n'ayant pu faire reconnaître ses droits au titre de l'alinéa 7 de l'article L. 313-11 tente comme ultime recours de se prévaloir de son état de santé pour demeurer en France. Il a estimé que, dans cette circonstance, l'administration offrait actuellement une vulnérabilité toute particulière à laquelle la création récente d'une commission médicale chargée, le cas échéant, d'examiner le demandeur tentait de remédier.

a ajouté qu'en pratique, le rôle du juge ne s'arrêtait pas au contrôle de la légalité des décisions contestées devant lui mais s'étendait encore, du moins lorsqu'il prononce l'annulation d'un APRF, au suivi de l'exécution de son jugement.

Il a souligné que le contentieux de la reconduite à la frontière était, pour le juge administratif, un contentieux difficile, dans la mesure où il doit statuer dans l'urgence (72 heures) et parfois dans l'extrême urgence (48 heures) sur des affaires qui touchent directement aux libertés individuelles. Il a ajouté que cette difficulté était accentuée par le fait que ce contentieux réserve à l'oralité une part prédominante et que les enjeux juridiques du litige n'apparaissent réellement qu'au cours des débats à l'audience, les requêtes introductives se caractérisant très fréquemment par une grande indigence ou un caractère parfaitement stéréotypé, tandis que l'administration s'abstient parfois de défendre ou se contente de présenter ses observations à l'audience.

Il a ajouté que la situation du juge était souvent inconfortable en raison du climat souvent tendu dans lequel se déroulent les audiences, en présence parfois d'associations et de comités de soutien actifs, d'avocats spécialisés et sous le regard attentif des médias, sans évoquer les drames humains auxquels le juge contribue lorsqu'il doit rejeter la requête dont il est saisi.

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