Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 comportait initialement 68 articles. Ayant adopté 54 articles additionnels et supprimé un article, l'Assemblée nationale a transmis au Sénat un texte de 121 articles. Celui-ci en a adopté 58 conformes, a maintenu une suppression conforme, a modifié 26 articles, en a supprimé 37 et en a à son tour ajouté 68. Le texte comporte donc actuellement 152 articles et il revient à notre commission mixte paritaire d'en examiner les 131 qui restent encore en discussion.
Mais nous sentons tous bien ici que ce traditionnel panorama quantitatif des apports successifs de nos deux Assemblées et des dispositions restant encore en discussion revêt cette année un caractère purement académique. Car je le dis d'emblée tout net : la perspective d'un accord sur la loi de financement pour 2012 me paraît tout à fait irréaliste.
Cela est dû à la posture totalement irresponsable adoptée par le Sénat tout au long de la discussion du texte. Je me dois en effet d'attirer votre attention sur le caractère ubuesque du projet de loi issu des travaux du Sénat, tant sur la forme que sur le fond.
La forme, d'abord, qui n'est pas chose négligeable quand il s'agit de nos lois financières, car il faut avoir à l'esprit les exigences constitutionnelles et organiques dans ce domaine. Or, comment le texte adopté par le Sénat se présente-t-il ? Comme une loi de financement privée de ses éléments essentiels tels que prévus par la loi organique : pas de première partie, qui vaut loi de règlement, pas de deuxième partie, qui vaut loi rectificative. Voilà donc la loi de financement privée de ses deux premières parties, au prétexte que le Sénat ne veut pas endosser les comptes de 2010 et de 2011.
Mais à quoi bon s'efforcer de nier la réalité ? Qu'on le veuille ou non, ces comptes sont bien là et leur sincérité ne peut être remise en cause, car ils sont retracés dans des tableaux d'équilibre validés par la Cour des comptes. Le rejet en bloc des deux premières parties est absurde et aberrant. Le Sénat avait, bien entendu, toute latitude pour marquer son désaccord avec la politique menée en 2010 et 2011 : pour ce faire, il aurait très bien pu modifier le rapport figurant en annexe A afin d'expliciter sa position sans remettre en cause les comptes.
Ensuite, je suppose qu'on ne doit l'adoption de la troisième partie, relative aux recettes et à l'équilibre général, qu'à l'obligation explicitement énoncée par la loi organique : sans adoption de la troisième partie, il est en effet impossible de passer à la discussion de la quatrième partie, relative aux recettes.
Car à quoi ressemblent les troisième et quatrième parties telles qu'adoptées par le Sénat ? Elles s'écartent des exigences posées par la loi organique, et ce sur plusieurs points capitaux. Ici aussi, libre au Sénat d'avoir son opinion sur les dispositions organiques, lesquelles ne sont au demeurant certainement pas parfaites. Mais ces dispositions s'imposent à nous tous et il était de son devoir de les respecter.
J'en viens même à me demander si le Sénat n'est pas purement et simplement hostile à l'existence même des lois de financement. Car en rejetant systématiquement les tableaux d'équilibre, les prévisions de recettes, les objectifs de dépenses, les objectifs d'amortissement de la dette et les plafonds d'emprunts de trésorerie, il a dénaturé et même tourné en ridicule cette catégorie de loi. Que signifie en effet une loi financière privée de ces éléments qui en font toute la spécificité et toute la portée ? Elle n'a tout bonnement plus de sens, sans compter qu'elle ne manquerait évidemment pas d'être censurée par le Conseil constitutionnel.
Ici aussi, loin de moi l'idée de reprocher au Sénat d'avoir exprimé son opposition au projet de loi présenté par le Gouvernement et modifié par l'Assemblée nationale. Mais il le fait avec une irresponsabilité très inquiétante pour une majorité sénatoriale qui entend se poser en avant-garde d'une alternance politique. Car le Sénat avoue ainsi son impuissance et son manque de courage à mesurer les conséquences financières de ses choix : il modifie amplement les troisième et quatrième parties mais, prétextant des difficultés techniques, botte en touche dès qu'il s'agit d'en évaluer les effets, ce qui est pourtant précisément l'objet d'une loi de financement.
Ce comportement traduit bien plus de légèreté que de responsabilité. A ce simple titre, si nos collègues du Sénat persistaient dans cette voie, un accord serait tout naturellement impossible sur le texte.
Sur le fond, le texte adopté par le Sénat n'est guère plus acceptable, tant par ses modifications que par ses ajouts ou ses suppressions, et traduit des préoccupations plus idéologiques et partisanes que pragmatiques et réalistes, dont certaines illustrent les difficiles équilibres internes à la majorité sénatoriale.
Côté recettes, l'addition irréaliste des prélèvements supplémentaires se passe de commentaires : forfait social, prélèvement sur les revenus du capital, taxe sur les transactions sur devises, retraites « chapeau », stock options et attributions gratuites d'actions, part variable de rémunération des opérateurs de marchés financiers. La suppression du dispositif des heures supplémentaires, le conditionnement du bénéfice de la « réduction Fillon » à la conclusion d'un accord en matière d'égalité professionnelle et l'abattement de 20 % du montant de la « réduction Fillon » pour sanctionner le recours excessif au temps partiel sont autant de mesures aux incidences économiques néfastes. Le comble est atteint avec cette surréaliste et anachronique « contribution patronale sur les technologies se substituant aux travailleurs » : serions-nous revenus au temps où les machines étaient détruites par les ouvriers qui craignaient qu'elles ne les remplacent ?
En contrepartie, les baisses de prélèvements paraissent toutes malvenues. C'est le cas de la diminution du taux de taxation des contrats solidaires et responsables, qui ne tient pas compte de la situation véritable des organismes complémentaires d'assurance maladie dans leur totalité - je dis bien des organismes complémentaires, pas seulement des mutuelles. C'est aussi le cas de la disposition portant de deux à trois ans le délai de prescription pour le paiement des prestations de l'assurance maladie. C'est enfin le cas de l'exclusion des produits intermédiaires titrant plus de 18° de l'extension de l'assiette de la cotisation sur les alcools forts aux alcools titrant jusqu'à 25°. Je salue néanmoins la fermeté du rapporteur général du Sénat, qui s'est opposé à tous les amendements qui visaient à affaiblir la portée de l'article 16.
Côté dépenses, comment ne pas s'opposer à la suppression de l'article 35 qui tend à améliorer la performance des établissements de santé, de l'article 35 bis qui rétablit les « ristournes » des laboratoires de biologie médicale aux établissements de santé, de l'article 37 qui prévoit d'expérimenter la prise en compte de la performance des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes dans la tarification du forfait relatif aux soins et de l'article 55 qui fixe le montant de la contribution de la branche AT-MP au financement des dépenses supplémentaires liées au dispositif de retraite pour pénibilité ?
Pourquoi avoir rétabli les dotations à certains fonds que le Gouvernement entend désormais lui-même minorer ? Et que penser de la suppression de la possibilité de racheter des périodes de formation pour les personnes relevant du régime des cultes ou du refus d'allonger la durée de résidence en France requise pour l'attribution de l'allocation de solidarité aux personnes âgées aux personnes de nationalité étrangère ?
Suite aux ajouts du Sénat, le nombre de rapports demandés atteint la vingtaine : on sait qu'il s'agit parfois de contourner par ce biais les contraintes posées par l'article 40 de la Constitution, mais cette inflation de rapports devient déraisonnable.
En conclusion, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 tel qu'adopté par le Sénat me paraît inadmissible et je vois donc mal comment nous pourrions aboutir à un quelconque accord sur un texte. Comme le ministre chargé de la santé l'a rappelé, la gauche propose toujours d'augmenter les dépenses et les prélèvements, comme si la crise n'était, pour elle, que virtuelle !
Nous essayons en revanche, à travers ce projet de loi de financement, de sauvegarder la croissance de l'économie, qui est à la base de tout, ainsi que la solidarité entre nos concitoyens pour qu'ils puissent faire face à la maladie, à la vieillesse et à l'accueil des enfants. Dans cette période de crise profonde, la position de la majorité est la plus raisonnable et la mieux adaptée.