Intervention de Antoine Lefèvre

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 25 janvier 2011 : 1ère réunion
Répartition des compétences entre les collectivités territoriales — Examen du rapport

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre, rapporteur :

La délégation procède à l'examen du rapport de M. Antoine Lefèvre, rapporteur, sur la répartition des compétences entre les collectivités territoriales.

Sur ces seules trois ou quatre dernières années, la problématique de la répartition des compétences a donné lieu à de multiples rapports. Je pense, entre autres, à la commission des Lois de l'Assemblée nationale, au groupe de travail piloté par Alain Lambert dans le cadre de la RGPP, au Comité Balladur et, bien sûr, à la mission sénatoriale présidée par Claude Belot.

Rassurez-vous, je n'ai pas conçu le rapport que vous m'avez confié avec l'idée de recommencer, et encore moins de corriger, les travaux précédents, souvent excellents.

Les problèmes que soulève l'enchevêtrement des interventions locales, leurs causes et leurs conséquences, ont déjà été parfaitement analysés. Ils sont connus de tous. J'ai donc pris le parti de me concentrer sur l'unique point qui n'a pas été définitivement tranché et que je résumerai en deux mots : que faire ?

Peut-être trouverez-vous que, derrière cette question, si simple dans sa formulation, se cache une prétention démesurée puisque, c'est vrai, cela fait des années qu'elle attend des réponses. Mais, justement, je crois que ces réponses, elle les a enfin trouvées : grâce à la « mission Belot », qui avait considérablement défriché le terrain, sous la plume de nos collègues Jacqueline Gourault et Yves Krattinger.

Je résume en deux points, sous le contrôle de nos collègues ici présents qui en faisaient partie, l'esprit de la mission :

- premier point : réaffirmer, pour les collectivités territoriales, une compétence d'initiative fondée sur l'intérêt territorial ;

- second point : déterminer des compétences obligatoires pour chaque niveau et prévoir ce qui me semble en constituer le corollaire : une procédure de « constat de carence » à l'encontre de la collectivité qui refuserait d'exercer la compétence qui lui est attribuée.

Nous avons là deux piliers pour une nouvelle architecture qui traduisent un pragmatisme louable :

- d'un côté, on confirme, sous une forme modernisée, une clause générale de compétence dont la suppression pure et simple serait à la fois contraire à la logique de la décentralisation et à l'efficacité de l'action publique locale. La suppression de la clause générale serait aussi bien difficile à mettre en pratique, car elle suppose, ce que les faits démentent tous les jours, que l'on puisse cantonner les collectivités dans des compétences prédéfinies ;

- d'un autre côté, on greffe sur cette capacité d'initiative générale une logique de « blocs de compétences », sous la forme de compétences obligatoires qu'il faut bien énumérer. C'est un point essentiel pour identifier les responsabilités, savoir qui fait quoi ou qui doit faire quoi.

La réforme des collectivités territoriales, issue de la loi du 16 décembre 2010, ne reprend pas tout à fait cette architecture. Elle n'en est pas loin sur le premier pilier : d'une part, elle confirme la clause générale de compétence pour les communes ; d'autre part, en ce qui concerne le département et la région, elle prévoit, certes, de les doter de compétences d'attribution, mais ajoute aussitôt qu'ils peuvent intervenir sur tout objet d'intérêt départemental ou régional pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique.

C'est surtout sur le second point que la loi de 2010 s'éloigne assez nettement des propositions de notre mission. Elle ne prévoit pas vraiment des compétences obligatoires. En revanche, elle opte clairement pour des compétences exclusives puisqu'elle indique, je cite : « les compétences attribuées par la loi le sont à titre exclusif (...). Lorsque la loi a attribué à une catégorie de collectivités territoriales une compétence exclusive, les collectivités territoriales relevant d'une autre catégorie ne peuvent intervenir dans aucun des domaines relevant de cette compétence ».

Des compétences partagées peuvent être prévues par le législateur (et la décision a déjà été prise de partager les compétences « tourisme », « culture » et « sport »), mais le principe de la loi de 2010 est celui de l'exclusivité.

En définitive, notre mission et la loi ont toutes deux prévu, à côté d'un socle de compétences générales pour des affaires d'intérêt local, une dose de compétences d'attribution. Mais ces compétences d'attribution ont été conçues différemment : obligatoires pour l'une, exclusives pour l'autre.

C'est sur ce point que mon rapport met l'accent.

La loi de décembre 2010 envisage expressément des « mesures d'adaptation » de ses dispositions sur la répartition des compétences après leur entrée en vigueur, fixée au 1er janvier 2015. Je me suis donc attaché à présenter des propositions d'adaptation nous permettant de passer de compétences d'attribution exclusives à des compétences d'attribution obligatoires.

Je vous soumets pour cela un dispositif reposant sur quatre séries de pistes.

Premièrement : consacrer le principe de compétences obligatoires partageables.

Pourquoi « partageables » ? L'épithète ne figurait pas dans le rapport de nos collègues Jacqueline Gourault et Yves Krattinger, mais il me semble souhaitable que les compétences attribuées à telle ou telle catégorie de collectivités ne le soient pas à titre exclusif :

- d'abord, pour éviter des « problèmes de frontière » entre des compétences attribuées à des collectivités différentes. Un système de navette par autobus entre un centre de ville et un monument historique relève-t-il de la compétence « transports », « tourisme », « culture »... ?

- ensuite, pour des raisons d'efficacité : que se passera-t-il si la collectivité attributaire est dans l'impossibilité absolue, par exemple pour des raisons budgétaires, d'exercer sa compétence ? Par exemple, va-t-on systématiquement interrompre un réseau sur le territoire d'une collectivité si elle n'est pas en mesure de prendre en charge la totalité des opérations d'investissement qui lui incombent au titre de sa compétence exclusive ?

- enfin, je suis hostile au principe de l'exclusivité afin de laisser les collectivités libres de décider de partager une compétence si des circonstances locales l'exigent. En un mot : faisons confiance à l'intelligence territoriale. C'est ce souci de permettre aux collectivités de s'accorder sur un partage qui me fait vous proposer l'expression « compétences obligatoires partageables » plutôt que celle, moins parlante selon moi, de « compétences obligatoires non exclusives ».

Deuxièmement : préciser comment ces compétences partageables pourront effectivement être partagées.

Sur ce point également, faisons confiance à l'intelligence territoriale et contentons-nous, nous parlementaires, de fournir aux autorités locales les outils pour déterminer ce qu'elles considéreront comme correspondant au partage de compétences idéal.

Ces outils ne peuvent être à mes yeux que contractuels. C'est ce que traduisent mes pistes 2 à 5 :

Piste 2 : élargir le contenu du schéma d'organisation des compétences région-départements aux conditions du partage de leurs compétences respectives. La loi du 16 décembre invite le président de la région et les présidents des départements à conclure un schéma d'organisation des compétences pour fixer certaines règles, relatives par exemple aux conditions de délégation d'une compétence ou de certaines interventions financières. Afin de ne pas créer un instrument supplémentaire, je vous propose de nous appuyer sur ce schéma en élargissant son objet pour qu'il prévoie aussi les conditions du partage des compétences entre les départements et la région.

J'attire votre attention sur un point essentiel : si les collectivités ne se mettent pas d'accord sur les conditions du partage d'une compétence, celle-ci ne sera pas partagée. Elle restera à la collectivité que la loi aura désignée. Je crois que l'on ne peut pas faire autrement : si une même compétence peut être exercée par toutes les collectivités sans accord préalable avec la collectivité que la loi désigne comme attributaire, c'est la porte ouverte à l'anarchie. C'est en outre une question de cohérence : on ne peut pas encourager les collectivités à conclure des accords de partage et, en même temps, leur dire que, à défaut d'accord, il pourra quand même y avoir partage.

Piste 3 : autoriser la conclusion de schémas départementaux de partage des compétences du département et des communes ou EPCI.

Le schéma régional qui sert de support à ma proposition 2 ne concerne que les relations régions-départements. Il me semble indispensable d'impliquer le bloc communal et, pour cela, de prévoir un schéma départemental sur le modèle du schéma régional.

Je précise, pour ceux qui trouveraient mon dispositif compliqué, que ces schémas départementaux pourront être assez simples dans leur contenu -en se limitant à quelques compétences- et dans leur champ d'application : un schéma pourra n'être conclu qu'avec une ou quelques communes (ou EPCI).

D'autre part, le Président de la République a missionné M. Jean-Jacques de Peretti pour rédiger des modèles de schéma régional. On peut également imaginer de rédiger des modèles de schéma départemental.

Mes pistes 4 et 5 tirent les conséquences du fait que les EPCI exercent certaines compétences de plein droit : il me semble y avoir une certaine cohérence à exiger l'accord de la métropole sur le schéma de répartition des compétences entre département et région dès lors qu'elle exerce de plein droit des attributions relevant de ces deux collectivités ; de même, il serait logique que les EPCI aient leur mot à dire sur des schémas départementaux qui porteraient sur des compétences qu'il exercent de plein droit.

Troisièmement, c'est l'objet de ma proposition 6 : mettre en place une procédure de constat de carence en cas d'inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence. Il s'agit de reprendre une proposition essentielle de la « mission Belot », puisque c'est ce constat de carence qui permettra de faire en sorte qu'une compétence obligatoire soit effectivement exercée par son attributaire.

Quatrièmement, et pour terminer : assurer que le partage des compétences soit effectivement respecté. Intellectuellement, on pourrait imaginer d'assurer la compatibilité des interventions des collectivités exerçant une compétence en partage en permettant à l'une d'elles d'exercer une tutelle sur une autre. Comme vous l'aurez peut-être deviné, je refuse de vous proposer une telle solution (qui nécessiterait en outre une modification de la Constitution, alors que j'ai opté de vous soumettre des propositions d'ordre législatif dans la perspective des adaptations annoncées de la loi de 2010).

Par conséquent, je ne vois plus, pour faire respecter les règles de partage d'une compétence, que la voie d'un contrôle en pure légalité, faisant, le cas échéant, intervenir le juge administratif.

C'est précisément en nous inspirant du contrôle de légalité exercé par l'État que je vous propose de créer un « contrôle de légalité territorial », permettant aux collectivités de soumettre au tribunal administratif, par déféré, leurs éventuels conflits relatifs au partage de leurs compétences (piste 8).

Pour que ce contrôle de légalité joue pleinement son rôle, il est souhaitable de prévoir un dispositif d'information des collectivités détentrices d'une compétence partagée lorsqu'une collectivité intervient dans ce domaine ; c'est l'objet de ma proposition 7.

Pour conclure, je dirais, même si ce n'était pas évident dans mon propos, qu'il ne faut pas juger trop sévèrement la loi de 2010 dans ses dispositions relatives à la répartition des compétences. Elle a au moins le mérite de jeter les bases d'un dispositif à deux étages, comme le souhaitait la « mission Belot » : un étage « compétence générale » et un étage « compétences d'attribution ». C'est pourquoi je considère qu'elle met la répartition des compétences sur de bons rails... à condition que le second rail soit redressé (ce qui, je l'admets, relativise mon jugement positif).

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion