A titre liminaire, M. Patrick Weil a indiqué que sa réflexion s'inscrivait dans le cadre des travaux qu'il menait depuis une quinzaine d'années sur les questions d'immigration, d'intégration et d'égalité, sous l'angle de la lutte contre les discriminations sur le marché du travail et dans le système éducatif.
Il a précisé, ainsi, que le problème de la discrimination se posait de façon différenciée, essentiellement d'ordre ethnique ou liée au handicap sur le marché de l'emploi, plutôt d'ordre social ou territorial au sein du système scolaire.
Citant une étude récente réalisée par le professeur Christian Baudelot qui constate que l'ensemble des étudiants de l'Ecole normale de la rue d'Ulm sont originaires de 19 départements, il a relevé que plus de 80 départements, essentiellement ruraux ou d'outre-mer, ne sont pas représentés dans les établissements pratiquant une sélection rigoureuse à l'entrée.
Il a estimé que les obstacles au principe de l'égalité des chances dans le système scolaire résultaient, singulièrement, de l'existence d'établissements programmés pour permettre à leurs élèves d'accéder, d'une part, aux classes préparatoires aux grandes écoles, et, d'autre part, aux grandes écoles elles-mêmes, et ne s'inscrivaient pas dans une dimension ethnique.
Soulignant que dans de nombreux lycées, aucun élève n'accédait aux classes préparatoires, il a dénoncé les effets pervers de cette situation : certaines familles choisissent, au prix d'un effort financier, de résider près d'un établissement d'excellence, alors que d'autres s'auto-dévaluent, estimant que leurs enfants ne peuvent y accéder.
Il a relaté un travail de recherche mené en 2004 aux Etats-Unis. Après avoir fait référence au système d'« affirmative action », basé sur une sélection ethnique, il a mentionné que quatre états -Texas, Californie, Floride, Etat de Washington- représentant 80 millions d'habitants avaient mis en oeuvre une nouvelle procédure de sélection des élites, récemment considérée par une décision de la Cour suprême comme un facteur d'égalité des chances dans le système scolaire américain.
Initiée en 1996 par l'état du Texas, la procédure mise en place accorde aux 10 % des meilleurs élèves de chaque lycée un droit d'accès aux établissements d'enseignement supérieur considérés pour l'excellence de leur formation. Il a fait remarquer que ce dispositif a produit un effet notable, puisque 60 à 70 % des promotions de l'Université du Texas sont issues des 10 % d'élèves sélectionnés dans chaque lycée, le pourcentage restant ayant été choisi sur dossier.
Puis il a précisé que la diversité ethnique et sociale avait été assurée et développée, réellement, après la mise en place d'un système de tutorat, accompagnée d'une politique de développement des bourses, qui a contribué à modifier les comportements à l'égard de ce droit, tout en notant que les résultats des étudiants ayant bénéficié de ce dispositif se révélaient supérieurs à ceux sélectionnés sur dossier.
Il a exposé, ensuite, sa réflexion sur une possible application en France d'une procédure similaire pour l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et, éventuellement, aux établissements pratiquant la sélection à l'entrée, compte tenu de l'attention actuelle portée au problème de la diversité sociale dans les filières de formation d'excellence.
Il a rappelé que les expérimentations en cours ne concernaient qu'une quarantaine d'établissements, et excluaient, en conséquence, la plupart des lycéens de l'opportunité d'accéder à de telles formations.
Reprenant l'argumentaire développé dans un de ses ouvrages, il a exposé l'idée qu'un pourcentage - de l'ordre de 8 % - des meilleurs élèves de chaque lycée de France pourrait avoir un droit d'accès aux CPGE et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l'entrée, tout en veillant à ce qu'environ 50 % des places continuent d'être attribuées après examen du dossier scolaire.
Pour conclure, il a considéré que la mise en oeuvre de ses propositions contribuerait à créer une dynamique d'ensemble sur le système éducatif, à l'image des procédures introduites par l'Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) ou l'Institut d'études politiques de Paris, et à favoriser la mixité sociale au sein des différents lycées, offrant ainsi la possibilité à chacun d'accéder à des formations d'excellence, quelle que soit son origine géographique.